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COMBATS ESTHETIQUES

C’est sous ce titre que Pierre Michel et Jean-François Nivet ont recueilli, en deux gros volumes de 521 et de 640 pages, les articles que Mirbeau a consacrés à la peinture et à la sculpture au cours de sa longue carrière de journaliste, entre 1877 et  1914. Il s’agit essentiellement des articles parus dans la grande presse, notamment La France, L’Écho de Paris, Le Gaulois et Le Journal, complétés par quelques préfaces à des catalogues d’expositions. À deux exceptions près, seuls ont été rassemblés les articles parus sous son nom, les articles parus sous pseudonyme ayant été publiés dans les Premières chroniques esthétiques. Le tome I, qui couvre les années 1877-1892, comporte une longue préface, « Mirbeau critique d’art ». En annexe du tome II, qui couvre les années 1893-1914, on trouve reproduit le catalogue de la vente de la collection d'œuvres d'art de Mirbeau, les 24 février et 21 mars 1919 (pp. 533-580), ainsi que des notices de peintres et sculpteurs cités (pp. 581-612), un index et une table des matières.

 

Une critique passionnée

 L’ensemble est extrêmement révélateur de l’importance du rôle joué par Mirbeau dans l’histoire de l’art, à une époque charnière, sans qu'il recoure jamais pour autant au jargon des spécialistes, ni qu'il joue au “critique d’art”, personnage qu’il exècre et qu’il compare avec humour au ramasseur du crottin des chevaux de bois... En 1910, tirant une espèce de bilan de son tiers de siècle de combats pour le Beau, il note avec satisfaction que les académistes qu’il a vilipendés ont vu leur cote s’effondrer et sont « plus que morts » (« Plus que morts », Paris-Journal, 19 mars 1910), cependant que les toiles de Monet et de Van Gogh atteignent des sommets (qui ont été invraisemblablement dépassés depuis un siècle).

Plus encore qu’un découvreur (encore que Maxime Maufra, Constantin Meunier, Vincent Van Gogh, Camille Claudel, Aristide Maillol et Maurice Utrillo lui doivent leur première reconnaissance), il est un annonciateur, un passeur et un vulgarisateur, qui se sert du pouvoir qu’il a difficilement conquis dans la grande presse pour servir la cause du Beau et crier ses enthousiasmes et ses exécrations :

* Ses passions, ce sont d’abord les « grands dieux de [son] cœur » que sont Monet et Rodin, dont il est quasiment le chantre officiel,  mais aussi Pissarro, Degas, Renoir, Cézanne, Raffaëlli, Van Gogh, Gauguin, les Nabis, Camille Claudel, Maillol, etc.

* Ses exécrations, ce sont d’un côté, les symbolistes, préraphaélites, « larvistes », « vermicellistes » et autres « kabbalistes », dont il exècre l’inspiration artificielle, qui tournent « un dos méprisant » à la nature et qu’il voue au ridicule qui tue ; et, de l’autre, les académistes, les pompiers, les fabricants de toiles peintes et les industriels de la statuaire, couverts de prix et de breloques, décorés comme des vaches aux comices agricoles, et qui, de surcroît, s’opposent de toutes leurs forces aux artistes novateurs : ses têtes de Turc sont Alexandre Cabanel, William Bouguereau, Édouard Detaille, Gérôme, Boulanger, Carolus-Duran, Dagnan-Bouveret, Benjamin-Constant, Denys Puech, etc.

 

La mission du critique

Hostile au système des Salons, ces « Bazars des médiocrités à treize sous », et à l’intervention de l’État niveleur dans le domaine des beaux-arts, Mirbeau est partie prenante du système marchand-critique (voir la notice), qui se met en place dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle et qui permet aux peintres impressionnistes de subsister malgré l’ostracisme des Salons officiels. Mais il ne se fait aucune illusion sur les marchands et galeristes, et le mercantilisme en art lui semble éminemment dangereux, puisqu’il tend, à son tour, à étouffer les véritables talents et les voix originales, si elles sont jugées non rentables.

Son devoir de critique malgré lui n’est pas d’analyser et d’interpréter les œuvres, car cet exercice lui semble vain et arbitraire : « L’œuvre d’art ne s’explique pas et on ne l’explique pas. L’œuvre d’art se sent et on la sent. Paroles et commentaires n’y peuvent rien ajouter, et ils risquent, en s’en mêlant, d’en altérer l’émotion simple, silencieuse et délicieuse » (« Claude Monet », L’Humanité, 8 mai 1904). Il est, plus modestement, d’essayer de faire partager à ses lecteurs ses coups de cœur et ses dégoûts, voire ses « haines », comme disait Zola, dans l’espoir de permettre à quelques artistes novateurs de se faire connaître et reconnaître et de vivre décemment de leur art. Il est avant tout un porte-voix, qui fait de l’émotion esthétique, toute subjective, le critère de ses jugements en matière d’art. Mais, n’entretenant aucune  illusion sur les hommes ni sur le système éducatif (voir la notice École), il sait pertinemment qu’un nouveau snobisme risque de se mettre en place, sans que le grand public parvienne jamais à éprouver de véritables émotions esthétiques.

À la différence de la majorité des écrivains qui se piquent alors de critique d’art, Mirbeau agit d’une manière totalement désintéressée : loin de se servir des artistes qu’il promeut pour assurer sa propre promotion, il met généreusement sa plume, d’une exceptionnelle efficacité, au service des génies contemporains (Monet, Rodin, Pissarro) et des talents méconnus (Cézanne, Maillol, les Nabis) ou oubliés (François Bonvin, par exemple). Il est à la fois un amateur d’art, qui éprouve des émotions très fortes au contact des œuvres et qui a envie de les faire partager, et un mécène d’un rare dévouement, toujours prêt à aider les créateurs qu’il admire et à faire entendre sa voix de stentor pour les imposer à des critiques misonéistes et à un public récalcitrant.

Critique redouté et sollicité, il réussit, à maintes reprises, à mettre en lumière, malgré la malveillance ahurie des directeurs de journaux contre lesquels il doit bien souvent se battre, des artistes restés longtemps ignorés. Non seulement il consacre le triomphe tardif de Claude Monet, Auguste Rodin et Camille Pissarro, que d’autres avant lui ont déjà soutenus, mais il lance aussi de jeunes peintres, comme Vincent Van Gogh, Paul Gauguin ou Félix Vallotton, des sculpteurs comme Camille Claudel et Aristide Maillol, ce qui est encore plus méritoire. En affirmant le caractère révolutionnaire de Cézanne et de Van Gogh, puis des Nabis, il se présente comme « le fourrier de l’art moderne », selon l’expression de Laurence Tartreau-Zeller ; et, en donnant la primauté à la subjectivité et le droit de cité à « l’exagération », il annonce également l’expressionnisme.

Ce n’est pas le moindre apport de Mirbeau que d’avoir affirmé avec force les droits de la subjectivité. À ce tournant du XIXe siècle, qui voit l’épuisement des critères dogmatiques, Mirbeau introduit dans la critique d’art une passion souveraine, faisant d’elle une autre forme de création.

Voir aussi les notices Art, Artiste, Critiques, Système marchand-critique et Premières chroniques esthétiques.


P. M

 

Bibliographie : Nella Arambasin, « La Critique d’art de Mirbeau, ou l’élaboration d’une anthropologie religieuse », Cahiers Octave Mirbeau, n° 4, 1997, pp. 97-123 ; Pierre Citti, « L’Annonciateur et le mythe de l’origine », Octave Mirbeau, Presses de l’Université d’Angers, 1992, pp. 321-330 ; Claude Herzfeld, « Critique esthétique et imaginaire mirbellien », Cahiers Octave Mirbeau, n° 5, 1998, pp. 103-109  ; Laure Himy, « La Description de tableaux dans les Combats esthétiques de Mirbeau »,  in Octave Mirbeau : passions et anathèmes, Actes du colloque de Cerisy, Presses de l’Université de Caen, 2007, pp. 259-268 ; Leo Hoek,  « Octave Mirbeau et la peinture de paysage – Une critique d’art entre éthique et esthétique », Cahiers Octave Mirbeau, n° 12, 2005, pp.  174-205 ; Samuel Lair, « L'Impressionnisme et ses apôtres : Zola et Mirbeau, divergence des approches critiques », Cahiers Octave Mirbeau, n° 1, mai 1994, pp. 47-55 ; Samuel Lair, « L’Art selon Mirbeau : sous le signe de la nature », Cahiers Octave Mirbeau, n° 2, 1995, pp. 133-138 ; Christian Limousin, « Mirbeau critique d'art : de “l'âge de l'huile diluvienne” au règne de l'artiste de génie », Cahiers Octave Mirbeau, n° 1, 1994, pp. 11-41 ; Christian Limousin,  « À quoi bon les artistes en temps de crise ? » Cahiers Octave Mirbeau, n° 4, 1997, pp. 60-77 ; Christian Limousin, « Une critique tranchante », Europe, n° 839,  mars 1999, pp. 79-95 ; Pierre Michel, « Le culte de l’art », in Les Combats d’Octave Mirbeau, Annales littéraires de l’Université de Besançon, 1995, pp. 125-158 ; Pierre Michel, et Jean-François Nivet, « Mirbeau et l’impressionnisme », L’Orne littéraire, juin 1992, pp. 31-45 ; Pierre Michel et Jean-François Nivet, « Mirbeau critique d’art », préface des Combats esthétiques, Nouvelles éditions Séguier, 1993, t. I, pp. 9-36 ; Delphine Neuenschwander, Le Dépassement du naturalisme dans les “Combats esthétiques” d'Octave Mirbeau, mémoire de licence dactylographié, Université de Fribourg, 2007, 250 pages ;  Denys Riout, « Mirbeau critique d&rsq

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