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Terme
REDON, odilon

REDON, Odilon (1840-1916), peintre, dessinateur et pastelliste français, venu tard à la couleur et à la lumière. Ami de Mallarmé et visionnaire, il a été revendiqué par les symbolistes. Pourtant, à ses débuts, il a soutenu la lutte des Impressionnistes contre l'académisme et a même participé à l'une des expositions du groupe. Mais il les jugeait « trop bas de plafond » et a fait très tôt bande à part pour frayer des voies nouvelles, annonciatrices du surréalisme, par la place accordée au rêve et à l’inconscient. Insatisfait par la subjectivité restreinte de l'art impressionniste tel que l'avait défini Zola – « un coin de nature vu à travers un tempérament » –, dans la mesure où elle faisait la part trop belle à une supposée “réalité extérieure”, il a affirmé au contraire les droits de l'imagination (L’Homme cactus, L’Araignée qui pleure, etc.) et la primauté de la mémoire et du sentiment personnel. Même si son art s'enracine dans « la réalité vue », c'est « l'invisible » qui l'intéresse et qu'il tâche de rendre perceptible avec les seuls moyens de la peinture. Ce faisant, il définit un art idéaliste, qui tourne le dos à la vogue réaliste-naturaliste du début des années 1880. Il est l’auteur d’albums de lithographies : Dans le rêve, À Edgar Poe, Hommage à Goya, La Tentation de saint Antoine.

Mirbeau a d’abord été très sévère avec Redon, représentant d’un art idéaliste « qui oppose la chose rêvée à la chose vécue », et il va jusqu’à tourner en ridicule un de ses dessins de fleur : « Ainsi M. Odilon Redon vous dessine un œil qui vagabonde, dans un paysage amorphe, au bout d'une tige. Et les commentateurs s'assemblent. Les uns vous diront que cet œil représente exactement l'œil de la conscience ; ceux-là expliqueront que cet œil synthétise un coucher de soleil sur des mers hyperboréennes ; ceux-là qu'il symbolise la douleur universelle – nénuphar bizarre – éclose sur les eaux noires des invisibles Achérons. Un suprême exégète arrive, qui conclut : “Cet œil au bout d'une tige est tout simplement une épingle de cravate” »... Mirbeau se moque des pseudo-exégètes, qui camouflent leur ignorance ou leur insensibilité esthétique derrière de doctes commentaires creux et les artistes ratés – est-ce le cas de Redon ? – qui tournent délibérément le dos à la Vie, critère infaillible pour juger d'une œuvre d'art : « Le propre de l'idéal est de n'évoquer jamais que des formes vagues, qui peuvent aussi bien être des lacs magiques que des éléphants sacrés, des fleurs extraterrestres aussi bien que des épingles de cravate, à moins qu'elles ne soient rien du tout. » Pourtant, moins de cinq ans plus tard, en janvier 1891, quand, sur la suggestion de Mallarmé, Redon lui offre un exemplaire de sa Tentation de saint Antoine, il lui écrit ces mots étonnants : « Je vous dirai, Monsieur, que d'abord je vous ai nié, non pas dans votre métier, que j'ai toujours trouvé très beau, mais dans votre philosophie. Aujourd’hui, il n’est pas d’artiste qui me passionne autant que vous, car il n’en est pas qui ait ouvert à mon esprit d’aussi lointains, d’aussi lumineux, d’aussi douloureux horizons sur le Mystère, c’est-à-dire sur la seule vraie vie. Et je crois bien, Monsieur – et je ne sais pas de plus bel éloge à vous faire – je crois bien que je vous ai compris et aimé, du jour où j'ai souffert. » Comme le peintre, en effet, Mirbeau a toujours critiqué l'étroitesse de vue des naturalistes qui ne perçoivent que l'enveloppe des êtres et des choses, sans jamais en pénétrer l'âme, et il se pourrait donc qu’il découvre chez Redon le Mystère qu’il apprécie tant chez Maurice Maeterlinck, qui lui « a révélé le plus de choses sur l'âme ». Dans l’interminable crise qu’il traverse alors, la souffrance semble aussi de nature à le rapprocher du peintre. Mais la part de politesse n’est sans doute pas négligeable, dans cette lettre de remerciement, et, vu l’abîme qui sépare les deux artistes, on est en droit de douter que le rapprochement ait été durable : de fait, Mirbeau n’a jamais écrit l’étude annoncée et, dans « Une heure chez Rodin » (Le Journal, 8 juillet 1900), se gaussant une nouvelle fois des critiques d’art, il rappellera un mot malheureux d’Odilon Redon à propos du Victor Hugo de Rodin : « Comme tout cela est malade ! »

P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel,  « Mirbeau et Odilon Redon », Histoires littéraires, n° 2, 2000, pp. 136-139.


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