Thèmes et interprétations

Il y a 261 entrées dans ce glossaire.
Tout A B C D E F G H I J L M N O P Q R S T U V
Terme
ROMANTISME

Mirbeau a passé sa jeunesse sous le Second Empire, à une époque où la jeunesse cultivée était imprégnée de romantisme, surtout en province. Il en a donc subi lui aussi subi l’influence, mais a mené une dure bataille contre lui-même pour se débarrasser de l’empreinte romantique, comme par ailleurs de l’empreinte religieuse (voir Empreinte).

Le jeune Octave qui se révèle à travers ses lettres à son confident Alfred Bansard des Bois, est encore, très visiblement, marqué par la culture romantique. Certes, de son propre aveu, il n'est pas « hugolâtre », et il se moque des artifices poétiques et des « grimaces » de ceux qui se drapent dans le mal du siècle pour singer les maîtres et être dans le vent, comme il raillera plus tard les pâles épigones du symbolisme, attardés à de puériles exhibitions vestimentaires. Mais il n'en subit pas moins l'influence, qui est à la fois un héritage de ses lectures et un symptôme de ce qu’il appelle une  « chlorose de l'esprit », caractéristique du « bourgeoisisme » provincial. Tourné vers le ciel des idées, avide de grands sentiments, d'aventures rares et de nobles engagements, il est inadapté à l'exercice d'une profession bourgeoise – et surtout à celui du notariat exécré ! – et incapable de se résigner à la médiocrité de la vie à laquelle il se sent condamné. Les traces en subsisteront toute sa vie. Ainsi, en 1880, évoquera-t-il « tous les accessoires sentimentaux du romantisme qui est en nos moelles et auquel tous, plus ou moins, nous obéissons » (« La Fin d'une légende », Le Gaulois, 28 avril 1880) et, au soir de sa vie, confiera-t-il à Albert Adès que son œuvre est dénaturée par un certain romantisme dont il n'a jamais pu se défaire (« L'Œuvre inédite d'Octave Mirbeau », Excelsior, 3 juin 1918).

Ce « romantisme » apparaît notamment dans certains aspects de son esthétique : ainsi l'attention au « mystère » et à « l'âme » des choses, la priorité accordée à l’émotion esthétique, au détriment de l’explication raisonnée, et le thème de l'innocence du regard de l'artiste s'inscrivent dans la continuité du romantisme allemand, auquel semble aussi se rattacher sa critique musicale. Romantique également, sa quête perpétuelle d’un idéal auquel sa raison se refuse pourtant à croire et qui n’est, de son propre aveu, que du « donquichottisme » (voir ce mot) : Georges Rodenbach ne voyait-il pas en lui, à juste titre, « le Don Juan de l’Idéal, de tout l’Idéal » ? Romantique encore, ce besoin tenace d’admirer les grands créateurs et qui est le moteur de sa critique d’art, passionnée et anti-intellectualiste. Quant à sa tenace neurasthénie, elle semble bien être une forme prise par un nouveau mal du siècle, où le spleen pourrait bien résulter, pour une bonne part, d’un idéalisme constamment déçu, mais toujours renaissant de ses cendres.

Ce n'est pourtant pas faute d’avoir combattu cette imprégnation, car, pour lui, le romantisme et le symbolisme représentent les deux faces de la même erreur idéaliste et sont deux formes littéraires du mensonge, qu’il renvoie dos à dos : « Faux sublime, fausse farce, fausse douleur, fausse joie, faux rire du romantisme mort et du symbolisme mort-né » (« Le Secret de la morale », Le Journal, 10 mars 1901). Comment s’y prend-il ?

* D'abord, en utilisant, comme Flaubert, les armes de l’autodérision et de l'humour sur soi, comme en témoignent déjà ses lettres de jeunesse, et aussi, à la fin de sa vie, des œuvres narratives telles que La 628-E8 et Dingo, ce qui crée parfois un effet de non-sens plutôt inconfortable pour le lecteur.

* Ensuite, en nous présentant de l'amour une image diamétralement opposée à la convention des romans idéalistes à la mode et dûment débarrassée de ses oripeaux romantiques, et, plus généralement, en se gaussant et en nous incitant à nous méfier des illusions idéalistes de tout poil : la lucidité constitue en effet le plus efficace des remèdes.

* Enfin, en inscrivant délibérément toute son œuvre romanesque dans un courant que, faute de mieux, et « bien qu'ennemi des étiquettes et des formules », il se résignera à qualifier de « réaliste », en précisant bien, pour éviter tout contresens, que le véritable « réalisme », qui n'a rien à voir avec la caricature qu'en donnent les naturalistes, est, à ses yeux, « l'art qui exprime toute la vie », c'est-à-dire celui de Tolstoï et de Dostoïevski (Interview par Louis Vauxcelles, Le Figaro, 10 décembre 1900). La noirceur, dont témoignent tous ses romans, dans sa représentation “réaliste” de l’humanité, et qui l’a souvent fait d’accuser d’exagération (voir ce mot), pourrait bien constituer une réaction de sa raison à sa tendance spontanée à céder au sentiment et à croire ce qu’il serait tellement plus confortable et rassurant de pouvoir croire.

Ses premiers romans officiels, Le Calvaire (1886), L'Abbé Jules (1888) et Sébastien Roch (1890), portent témoignage de ce combat, perpétuellement recommencé, contre l’imprégnation romantique relevée par nombre de commentateurs.  

Voir aussi les notices Symbolisme, Réalisme, Lucidité, Neurasthénie, Le Calvaire et Lettres à Alfred Bansard.

P. M.

 

Bibliographie : Gérard Bauër, préface du Calvaire, André Sauret, 1958, pp. 11-29 ; Anna Gural-Migdal, « Entre naturalisme et frénétisme : la représentation du féminin dans Le Calvaire », Cahiers Octave Mirbeau, n° 15, 2008, pp. 4-17 ; Geneviève Richard, Octave Mirbeau : un Don Quichotte romantique de l'époque naturaliste, mémoire dactylographié, Université de Calgary, 1971, 80 pages ; Mathieu Schneider, « La géopolitique musicale d’Octave Mirbeau », in L'Europe en automobile – Octave Mirbeau écrivain voyageur, Presses de l’Université de Strasbourg, 2009, pp. 181-192 ; Laurence Tartreau-Zeller, « Mirbeau face à Gauguin : un exemple de la nécessité d'admirer », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001, pp. 241-255.

 

 

 

 

 


Glossary 3.0 uses technologies including PHP and SQL