Thèmes et interprétations

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Terme
TRIPOT

Peu après sa rentrée dans la presse parisienne, pendant l’été 1884, Octave Mirbeau a lancé une offensive contre le danger représenté par les tripots, à un moment où le législateur hésite sur le droit à leur appliquer et où le préfet de police de Paris autorise certaines ouvertures, mais ferme un cercle. Il travaille encore pour le compte du Gaulois monarchiste d’Arthur Meyer, mais les thèmes du futur anarchiste sont déjà bien présents et sa critique des fausses promesses de la République n’est pas de nature à déplaire à son patron.

Dans une société déboussolée où « rien ni personne » n’est « à sa place » et où tous les gouvernements sont d’accord pour « démoraliser les masses » au lieu de « les moraliser »  (« Les Tripots revenus », La France, 28 janvier 1885), Mirbeau voit dans l’extension des tripots, non seulement à Paris, mais aussi dans les campagnes, le symptôme d’« une époque d’irrémédiable décadence » et de « décomposition » morale, « car c’est là que les volontés s’abrutissent, que les consciences se dégradent, que les énergies se domptent et s’avilissent »  (« Le Tripot aux champs », Le Gaulois, 25 août 1884), alors que « nous devrions avoir de plus hautes et plus nécessaires préoccupations que le plaisir » (« Le Jeu à Paris », Le Gaulois , 5 novembre 1884). Dans les grosses maisons parisiennes, où la tricherie est fréquente, y compris dans les maison les plus huppées qui se targuent d’être patronnées par de respectables personnalités du monde ou de la presse, telles que le Cercle de la Presse, ce sont de grosses fortunes « qui s’effondrent » et des « honneurs qui s’écroulent », cependant que, dans les minables cabarets des villages, « le paysan, sur un coup de cartes, risque ses économies, sa vache, son champ, sa maison » : partout, en effet, « il y a des filous qui trichent et des usuriers qui volent, toute une organisation spéciale et qui fonctionne le mieux du monde » (« Le Tripot aux champs »).

Dès lors, que faire ? Le journaliste envisage deux politiques qui auraient le mérite de rompre avec l’incohérence actuelle :

* Ou bien, comme on l’a fait pour la prostitution, on considère la passion du jeu comme impossible à dominer, et il convient alors de la canaliser le moins mal possible en encadrant très strictement les maisons de jeu que l’on tolère et en leur imprimant « un caractère d’infamie » pour bien mettre en garde quiconque s’y aventurerait à ses risques et périls.

* Ou bien, et c’est une solution de beaucoup préférable, on ferme les tripots, où règne  une « exploitation de la passion humaine dans ce qu’elle a de plus repoussant », afin d’essayer d’endiguer cette passion qui gagne de plus en plus les « cerveaux affolés » ; ce serait là une « mesure de salubrité et de protection publiques » (« Le Tripot », Le Gaulois, 13 octobre 1884). Pour Mirbeau, « le tripot est un accident maladif dans la société », et, s’il est vrai « que quelques-uns en vivent, et fort grassement », ce qui importe le plus, c’est qu’« il y en a beaucoup qui en meurent ». Alors que la réouverture des tripots à Paris « exalterait des passions dangereuses et les développerait chez ceux qui jusqu’ici en ont été préservés », il convient de prévenir « toutes les ruines qui en résulteraient » (« Le Jeu à Paris », Le Gaulois , 5 novembre 1884).

La dénonciation du rôle néfaste des tripots et du jeu participe, chez Mirbeau, de la critique de tout ce qui, dans la société bourgeoise, contribue à abrutir et crétiniser les larges masses pour mieux s’assurer de leur docilité.

Voir aussi les notices Jeu, Plaisir et Crétinisation.

P. M.

 

Bibliographie : Octave Mirbeau, « Trottoir et tripot »,  Le Gaulois, 28 février 1882 ; Octave Mirbeau, « Le Tripot aux champs », Le Gaulois, 25 août 1884  ; Octave Mirbeau, « Le Tripot », Le Gaulois, 13 octobre 1884 ; Octave Mirbeau, « Le Tripot », Le Gaulois, 16 octobre 1884 ; Octave Mirbeau, « Le Cercle de la presse », Le Gaulois, 25 octobre 1884 ; Octave Mirbeau, « Le Jeu à Paris », Le Gaulois, 5 novembre 1884 ;  Octave Mirbeau, « Les Tripots revenus », La France , 28 janvier 1885.


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