Pays et villes

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Terme
MANDCHOURIE

En 1904, alors que Mirbeau collabore à le toute nouvelle Humanité de Jaurès, la Mandchourie est, et va rester pendant dix-huit mois, le théâtre de l’atroce guerre russo-japonaise, qui voit s’affronter, sur le sol chinois également convoité, deux puissances impérialistes. Mirbeau voit dans cette guerre la préfiguration des monstrueuses guerres de l’avenir, et il stigmatise l’indifférence des nations européennes, hypocritement camouflées derrière le principe de non-ingérence.

La présence de reporters occidentaux devrait en principe permettre au public d’être tenu au courant des péripéties de la guerre, mais, d’après Mirbeau, les journalistes français, mal vus des belligérants et très loin du front, ne rapportent que la version officielle des Russes et participent à une grave campagne de désinformation : « Voilà pourquoi, à supposer qu’il existe, le Japon n’a ni armée, ni flotte, ni argent, ni approvisionnement, ni munitions... Voilà pourquoi les Japonais, pauvres petits diables de rien du tout, hâves, faméliques, épuisés, décimés par la peste et le typhus, n’ont encore débarqué nulle part, ne débarqueront jamais nulle part, et que, s’ils avaient l’audace dérisoire de débarquer quelque part, n’importe où, trois joyeux cosaques se chargeraient, en riant, de les rejeter à la mer, bons et chers cosaques du Don et de l’Amour !... Voilà pourquoi, ô magie de l’alliance ! bien loin que les obus japonais endommagent les forts qu’ils bombardent et les vaisseaux qu’ils coulent, ils ont cette vertu providentielle et comique de les consolider, de les multiplier... » (« Un sport malade », L’Auto, 25 mars 1904).

Il va donc, pour sa part, s’employer à inverser la tendance en fournissant à ses lecteurs des informations qu’ils ne trouveront pas dans la grande presse, porteuse de la pensée unique et par trop favorable à l’alliance franco-russe qu’il n’a cessé de dénoncer comme contre-nature. Dans « Le Chancre de l’Europe » (L'Humanité, 28 août 1904), il cède la parole à un officier de marine français, qui reconnaît n’avoir rien d’un enfant de cœur et être plutôt du genre « brigand », et qui n’en a pas moins été épouvanté par ce qu’il a vu en Mandchourie, malgré sa cuirasse de dur à cuire : « Il s’est passé là-bas des faits si monstrueux, de telles boucheries humaines, que nous avons peine à en concevoir l’horreur. » « Il y a des bornes à l’horreur, et cette guerre les dépasse », ajoute-t-il, en précisant que cette « guerre imbécile et criminelle », « seuls les Russes l’ont voulue, l’ont déchaînée », même si ce sont les Japonais qui ont ouvert les hostilités. De la bouche d’un autre officier, un capitaine polonais de l’armée russe, Mirbeau recueille, « sur cette guerre honteuse et si atrocement inutile », des récits qui, selon lui, « donnent le vertige, des récits tels que l’imagination la plus frénétique ne saurait concevoir rien de pareil, même dans le domaine du cauchemar ». Pour le premier numéro de l’éphémère revue de Francis Jourdain, La Rue, il en a choisi un, particulièrement épouvantable, où l’on voit deux cents soldats, blessés et sanguinolents, qui, rendus fous par la guerre et le froid glacial,  gesticulent, vociférent et dansent tout nus, par « un froid de vingt-cinq degrés, qui exfoliait la peau et charriait des glaçons dans les veines » (« Ils étaient tous fous... », hiver 1905).

P. M.

 

 

 

 


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