Thèmes et interprétations

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Terme
EUGENISME

Si l’eugénisme était pratiqué par les sociétés grecques de l’antiquité et défendu par des philosophes comme Platon, le mot a été employé pour la première fois par le psychologue et physiologiste anglais Francis Galton (1822-1911), un cousin de Charles Darwin, dans Inquiries into Human Faculty and its Development. Mêlant à la fois les avancées scientifiques de son époque, notamment le darwinisme, et les présupposés idéologiques, Galton fonde une théorie dans laquelle il propose d’assurer la prédominance des êtres humains qu’ils considèrent comme supérieurs et d’éliminer ceux qui sont, à ses yeux, inaptes. Favoriser la survie des uns et interrompre la reproduction des autres : voilà le credo qu’il défend dans de multiples articles – réunis dans un ouvrage paru en 1908, Essays on Eugenics – et jusqu’à la fin de sa vie.

Sans utiliser le mot, Mirbeau expose les principes de l’eugénisme, à travers les confessions de Georges, le narrateur d’Un homme sensible, un conte paru dans Le Journal en 1901 : « Tout enfant, j’étais même doué d’une sensibilité excessive, exagérément douloureuse qui me portait à plaindre – jusqu’à en être malade – les souffrances des autres… pourvu – cela va de soi, car je suis un artiste – qu’elles ne se compliquassent point de laideurs anormales ou de monstruosités physiologiques. » Puis il ajoute : « C’est la nature qui, par moi, proteste contre la faiblesse, et, par conséquent, contre l’inutilité criminelle des êtres impuissants à se développer sous le soleil ! La nature  n’a souci que de force, de santé, de beauté ! Pour l’œuvre de vie indestructible, elle veut une vigueur sans cesse accrue, des formes de plus en plus harmonieuses. Sans quoi, c’est la mort ! »        

Dans Les Vingt et un jours d’un neurasthénique, l’aviculteur est encore plus explicite : « Vous comprenez ? J’ai des sujets qui ont des qualités… mais qui ont aussi des tares… On n’est pas parfait, que diable !... Alors, j’augmente les qualités, et je détruis les tares. » Certes, il s’agit ici de la sélection des poules, mais l’allure du « petit homme » (« Un tablier blanc noué autour des reins, la tête coiffée d’une calotte ronde ») et les instruments utilisés (« des fioles, des bandes, des rouleaux de ouate hydrophile) sont trop proches de ceux d’un « interne » des hôpitaux pour que le lecteur n’assimile pas son travail à celui d’un médecin adepte des méthodes eugéniques.

Offrir la parole à ceux qui prônent l’eugénisme ne vaut pas quitus. De fait, cette « nouvelle science » défendue par Francis Galton et ses disciples va à l’encontre des convictions mirbelliennes pour plusieurs raisons :

* Elle donne d’abord la priorité à la théorie pure et désincarnée. Or, pour Mirbeau, la nature reste la grande maîtresse et il se méfie comme d’une peste de toutes les idéologies, surtout quand elles prétendent améliorer la « race humaine » ou apporter, de force,  le bonheur aux hommes.

* Elle établit, ensuite, une hiérarchie entre les individus. Postulat qui va à l’encontre de tous les combats de l’écrivain. Non seulement il « se raidit à l’idée d’une supériorité sans faille de l’homme sur l’animal » (Samuel Lair, Mirbeau et le mythe de la nature), mais il est convaincu que toutes les créatures  méritent la même attention. Ne s’intéresse-t-il pas d’ailleurs aux éclopés de la vie, aux bossus, culs-de-jatte et autres contrefaits ? Peu importent les critères physiques et intellectuels ! Pour Mirbeau, c’est la sensibilité aux êtres et au monde qui fait la différence.

* Elle inspire, enfin, une politique où les forts sont privilégiés contre les faibles. Tous les eugénistes sont convaincus de la primauté de l’hérédité sur le milieu social et culturel. Ils voient dans les grands principes démocratiques les signes d’une dégénérescence de l’espèce humaine et rejettent toute solidarité avec les miséreux. Comment Mirbeau pourrait-il soutenir une telle entreprise ? Au contraire, il réclame une meilleure éducation pour les pauvres et mène une lutte incessante pour que tous les citoyens, sans exception, aient le droit à la parole.

Eugénisme théorique, eugénisme social, eugénisme politique : rien ne trouve grâce aux yeux d’un romancier trop conscient des dangers que représente une telle science entre les mains d’apprentis-dictateurs.

Voir aussi les notices Handicap, Monstruosité, Darwin, Lombroso, Scientisme et Un homme sensible.


Y. L.

 

 


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