Thèmes et interprétations

Il y a 261 entrées dans ce glossaire.
Tout A B C D E F G H I J L M N O P Q R S T U V
Terme
DECORATIONS

Mirbeau n’avait que mépris pour les breloques infantiles distribuées par les gouvernants à leurs clientèles et pour « les honneurs qui déshonorent », selon la formule de Flaubert.

* D’abord, parce qu’elles ne sont jamais décernées à ceux qui les mériteraient (voir, par exemple, « Décorations », Le Gaulois, 5 janvier 1885) et ne récompensent que la médiocrité ou la servilité, quand ce ne sont pas des services inavouables, que la morale réprouve et que la loi est supposée réprimer. De sorte que si, par exception, il arrive qu’on décore une personne de talent ou de génie, comme Auguste Rodin, ou Victor Lemoine, loin de la rehausser dans son esprit, cela ne fait que la rabaisser au niveau des habituels amateurs de hochets : « Ces distinctions me laissent froid même lorsqu’elles atteignent mes amis. J’ai l’habitude d’aimer ceux que j’aime pour d’autres raisons que ce petit ruban rouge, passé à leur boutonnière, et je les juge sur leur œuvre, non sur les récompenses officielles qu’ils en tirent » (« Félix Fénéon », Le Journal, 29 avril 1894). On sait que Mirbeau a failli se brouiller avec Rodin à cause de sa croix (voir « Le Chemin de la croix », Le Figaro, 16 janvier 1888).

* Ensuite, parce qu’elles créent des réseaux de clientèles et de connivences, au servie de nouvelles féodalités, et sapent les fondements de la République, laquelle cesse d’être “la chose du peuple”, comme elle le devrait et le prétend abusivement, pour n’être plus que l’apanage de quelques-uns, qui ont fait « main basse sur la France », comme Mirbeau n’a cessé de le clamer dès l’époque des Grimaces.

* Enfin, parce que, aux yeux de beaucoup de gens, malgré les scandales, elles continuent d’apparaître comme un signe extérieur de respectabilité, qui les impressionne favorablement. Or Mirbeau n’a eu de cesse de discréditer et de s’employer à détruire cette aura de respectabilité injustifiée, qui a pour fonction d’aveugler les électeurs sur les turpitudes des puissants et les dérapages de la République.

Ceux qui acceptent de se laisser décorer baissent gravement dans l’estime de Mirbeau, à l’instar d’Émile Zola, qu’il juge fini, en 1888, et sur le compte duquel il ironise méchamment, quand le grand romancier prétend, à sa décharge, ne faire que suivre l’exemple de ceux-là mêmes qui le poussaient à refuser ces « décorations officielles » : « Et, avec la mine contristée, pleurarde, d’un enfant qui vient de briser un joujou, il gémit : “Et eux, tous les ans, on les décorait !” » (« La Fin d’un homme », Le Figaro, 9 août 1888). Par opposition, on peut accorder un brevet d’honnêteté à quelqu’un qui ne porte aucune décoration et qui est a priori jugé porteur d’une parole non suspecte, tel ce jeune homme qui prend la défense de l’auteur du Désespéré face à tous ceux qui le dénigrent (« Léon Bloy », Le Journal, 13 juin 1897), ou, bien que Mirbeau ne le précise pas, de ce « jeune poète » qui, invité à dîner chez l’Illustre écrivain en compagnie « de gens plus ou moins célèbres » – et à coup sûr décorés ! –, « regarde tous ces gens, autour de lui, avec l’étonnement pitoyable que l’on a devant une assemblée de fous », et ose, seul, affirmer courageusement que Dreyfus est innocent (« Chez l’Illustre Écrivain VII », Le Journal, 28 novembre 1897).

Voir aussi les notices Légion d’Honneur et Respectabilité.

P. M.

 

Bibliographie : Octave Mirbeau, « Décorations », Le Gaulois, 5 janvier 1885, et « Le Chemin de la croix », Le Figaro, 16 janvier 1888.

 

 


Glossary 3.0 uses technologies including PHP and SQL