Familles, amis et connaissances

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Terme
MILLET, jean-françois

MILLET, Jean-François (1814-1875), peintre réaliste français, qui a fait partie de l’école dite « de Barbizon ». Il est né dans une famille de paysans de la Manche, où il a vécu jusqu’à vingt-trois ans. Il est surtout connu pour ses peintures du dur travail des paysans, confrontés à la nature et en quête de spiritualité. Il a influencé les impressionnistes par son goût des sujets populaires et son plaisir de peindre un coin de nature et il a été aussi une source d’inspiration pour Vincent Van Gogh, qui s’est formé en copiant plusieurs de ses toiles. Soucieux de l’humanité – ce qui l’a fait soupçonner de socialisme –, il n’échappe pas toujours au sentimentalisme. Il a passé ses vingt-cinq dernières années à Barbizon, sans être reconnu ni compris. Mais, après sa mort, il a connu un vertigineux succès, en 1889, avec la vente-record de son tableau le plus célèbre, L’Angélus (1859). Parmi ses autres toiles, citons Le Vanneur (1848), Les Botteleurs (1850), Le Semeur (1851), Le Printemps (1853), Les Glaneuses (1857), L’Homme à la houe (1862), La Bergère (1864), Le Givre, Le Vol de corbeaux, Les Scieurs de long, La Mort et le bûcheron, Les Premiers pas, La Herse,  Le Greffeur, etc.

Mirbeau a longtemps manifesté à Millet une vive et sincère admiration, parce qu’il voyait en lui un homme simple, un humble paysan proche de la terre, qui « poussait sa charrue dans le sillon brun et, le tablier pesant à l’épaule, semait le grain sur la terre remuée par lui » (« À bâtons rompus », Le Gaulois, 24 mai 1886), et qui, mieux que personne, était en mesure de comprendre, d’aimer et de « chanter » le « paysan sublime, dieu de la terre créatrice, semeur de vie, engendreur auguste de pain » (« Le Tripot aux champs », La France, 17 juillet 1885). La publication de La Terre, de Zola, en 1887, lui a permis de mesurer davantage encore l’abîme qui sépare une connaissance purement livresque, et par conséquent, de la part du romancier naturaliste, une totale ignorance de ce qu’est le vrai paysan, et une compréhension profonde telle que celle du peintre, « qui tout naturellement, sans chercher à le grandir, le bloqua, en ses fusains, avec la forme plastique et la beauté sculpturale d’un marbre de Michel-Ange » (« Le Paysan », Le Gaulois, 21 septembre 1887). Mirbeau gratifie aussi Millet d’une « divination de la nature » (« Le Salon VII », La France, 29 mai 1885), parce que « le si magnifique poète de la nature, dans une vision splendide, faite de larmes et de lourds soleils, a si pesamment courbé l’homme vers la terre et l’a si intimement associé aux champs féconds et riches qui le nourrissent, aux bois, aux ruisseaux, aux durs sillons couverts de givre, aux ciels gris de froid d’où tombent les neiges éclatantes et les noirs corbeaux » : aussi ses modestes toiles sont-elles « les chants de la plus belle épopée humaine qui jamais ait été chantée à la gloire de Dieu, de la nature et de l’homme » (« Les Pastellistes français », La France, 9 avril 1885). 

Par la suite, « l’épique Millet » va quelque peu pâtir de l’admiration croissante, et sans la moindre réserve, du critique pour Camille Pissarro qui, contrairement à certaines accusations récurrentes, n’est nullement « la copie impressionniste de Millet » : « Je ne sais pas, au contraire, deux artistes qui soient plus antipodaux l’un à l’autre, d’abord par le métier fruste et souvent vulgaire chez Millet, raffiné, savant, scientifique même, chez Pissarro ; ensuite – et là les différences sont plus importantes – par l’état d’esprit qui les anime devant la nature. Millet est un anecdotier, violent toujours, quelquefois génial, de la vie agreste. Il fait, sans cesse, déborder l’homme sur la terre. [...] M. Camille Pissarro procède par grandes généralisations. Dans ses œuvres, l’homme est en perspective, en quelque sorte fondu avec la terre, où il n’apparaît que dans sa fonction de plante humaine. Il est épars dans la grande harmonie tellurique, et non point localisé dans l’accident biographique où Millet, en le grandissant, le rapetisse » (« Camille Pissarro », L’Art dans les deux mondes, 10 janvier 1891).

Dix-huit mois plus tôt, le scandale de la vente Sécrétan, où L’Angélus avait atteint la somme faramineuse – pour l’époque – de 553 000 francs, nouveau record du monde, avait déjà incité Mirbeau à réviser en baisse sa cote d’amour pour Millet, dont le prétendu chef-d’œuvre, bien inférieur à ses yeux à L’Homme à la houe, était devenu un enjeu national et excitait le fanatisme des nationalistes, désireux d’empêcher à n’importe quel prix le départ de ce « chef-d’œuvre patriotique » pour les États-Unis , alors qu’aucun d’entre eux, « il y a vingt ans, n’eût consenti à en donner dix francs » : « J’aime l’art et j’admire Millet. Mais je dis que payer une peinture 550 000 francs, quelle que soit cette œuvre, est une chose monstrueuse, que c’est un défi barbare porté à la résignation du travail et de la misère, un outrage à la beauté de la mission de l’artiste » (« L’Angélus », L’Écho de Paris, 9 juillet 1889). Ce coup de colère contre le double outrage fait à l’art par la spéculation et le nationalisme à front de taureau valut à Mirbeau les compliments de Stéphane Mallarmé : « Vous êtes le seul à avoir compris que vouloir assigner son prix réel, en argent, à une œuvre d'art, fût-ce un demi-million, c'est l'insulter. L'article sur L'Angélus est une page. »

P. M.


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