Thèmes et interprétations

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Terme
MYTHE

N’échappe pas au mythe qui veut. À sa portée anhistorique, à son emprise irrationnelle, il n’est pas possible qu’un écrivain cartésien comme Mirbeau, qui plus est admirateur des auteurs réalistes, n’ait pas tenté de se soustraire. En vain, manifestement. Déterminé par un imaginaire fécond et troublé, influencé par un contexte esthétique propice aux tendances décadentes, désireux de participer à l’avènement d’une écriture qui rompt avec les codes, Mirbeau est l’auteur de romans et d’un théâtre travaillés par une dimension mythique. Non qu’il faille voir dans la récurrence d’un intertexte mythologique l’une des formes de cohérence de son œuvre ; Isis, figure de la maternité pitoyable, dans Le Calvaire, Narcisse, figure récurrente de ces personnages voués à l’analyse de soi, Icare, auquel est attachée l’incapacité de s’élever chez des personnages minés par une conduite d’échec, ou Méduse, dont le masque effroyable possède un effet fascinant, occupent certes une certaine place dans le texte mirbellien. Mais en dépit de la présence en filigrane de ces figures classiques dont la place tranche avec l’esthétique naturaliste qui constitue l’horizon littéraire dominant des années 1880-1890, et malgré le rôle souterrain de figures comme Prométhée ou Dionysos dans La 628-E8 (1907) ou Dingo (1913), la structure mythique de l’œuvre mirbellien se lit sur un autre registre.

Elle s’origine dans une représentation très personnelle de la nature qui parcourt l’œuvre, tout en étant soumise à une évolution. C’est cette idée de nature qui aide à vivre, tant les personnages romanesques, que l’auteur lui-même, semble-t-il. Fortement marquée par son aspect contradictoire, ce n’est que dans la sphère imaginaire du mythe que se comprend la logique interne de cette conception de la nature. À la fois intellectuelle et profondément affective, mystérieuse et appelant la révélation de ce mystère, la nature est, dans l’œuvre, redevable d’un syncrétisme à la fois philosophique, littéraire, poétique, qui rend opportun le qualificatif de mythique. Le mythe de la nature prend la fonction de moteur de l’évolution des personnages, comme Jules, en 1888, ou de compensation affective chez Jean Mintié (Le Calvaire, 1886) ou Sébastien Roch ; il rend nécessaire cette proximité entre l’homme et la nature, rappelle l’urgence de se défier d’une approche trop intellectualiste qui répudierait la sensibilité physique. Nombre de motifs ou de thèmes romanesques se lisent ainsi, non selon une perspective obvie, mais en imposant au lecteur un dépassement par une manière de déchiffrement. La place du motif de la circularité, dans L’Abbé Jules, par exemple, imprime au récit sa marque prégnante, que l’on retrouvera de façon vertigineuse dans les déferlements floraux, stylistiques et esthétiques, rencontrés dans Le Jardin des supplices, en 1899. Car le mythe se dit et s’écrit. Dans Le Journal d’une femme de chambre, en 1900, la compréhension mythique de la nature, sa rhétorique, servent d’impulsion au transfert monstrueux des catégories, dans une société qui déshumanise : glissement de l’homme avili à l’animal, de l’homme à son espace familier, du maître au domestique.

La portée critique de l’œuvre trouve aussi à se consolider dans cette figuration mythique. Le théâtre de Mirbeau acquiert ainsi, par-delà sa diversité, une véritable résonance avec l’ensemble romanesque, car on y retrouve des motifs assez peu dramatiques dans leur traitement : la place que la mort et l’amour occupent, celle du peuple et de la révolte, la passion, font songer à des forces dont l’emprise irrationnelle dépasse l’humain. Écrire le mythe autorise l’œuvre à assumer une portée poétique et ontologique, chez un écrivain longtemps réputé platement naturaliste.

Mettre en avant un mythe de la nature sert aussi d’antidote à un fourmillement de mythes condamnables sécrétés par la société dont Mirbeau honnit les valeurs. Avant Barthes, Mirbeau pointe excellemment les rites et stéréotypes bourgeois, auxquels il oppose la vérité et la spontanéité d’un mythe fécond, celui de la vie. Détourner le langage, idolâtrer les apparences, inverser la culture en fait de nature, assumer pleinement sa hantise de l’altérité, sont quelques-unes des conduites déviantes choisies par la société pour témoigner de sa tendance à épouser les forces de mort aux dépens de la vie. Le mythe mirbellien épouse sans conteste une ligne globale qui mène son auteur d’un pessimisme radical à la perspective entrevue d’un rapport pacifié avec l’existence, avec les autres, avec soi.

Voir aussi les notices Méduse, Amour, Mort,  Nature et Symbolisme.

S. L.

 

Bibliographie : Monique Bablon-Dubreuil, « Un gentilhomme : du déclin d'un mythe à l'impasse d'un roman »,  Cahiers Octave Mirbeau, n° 5, 1998, pp. 70-94 ; Pierre Citti, « L’Annonciateur et le mythe de l’origine », in Actes du colloque d’Angers Octave Mirbeau, Presses de l’Université d’Angers, 1992, pp. 321-330  ; Claude Herzfeld, La Figure de Méduse dans l’œuvre d’Octave Mirbeau, Nizet, 1990, 105 pages ; Samuel Lair, « Éros victorieux, ou Clara, Juliette, Aude et les autres », Cahiers Octave Mirbeau, n° 9, 2002, pp. 50-61 ; Claude Herzfeld, « La Foule, figure mythique, selon Octave Mirbeau », in La Foule – Mythes et figures de la Révolution à aujourd’hui, Presses de l’Université de Rennes, 2004, pp. 77-93 ; Samuel Lair, Le Mythe de la nature dans l’œuvre de Mirbeau, Presses Universitaires de Rennes, 2004, 361 pages ; Samuel Lair, « Une illustration littéraire du mythe de l'Éternel Retour : Le Jardin des supplices, d'Octave Mirbeau (1899) », in Studia Romanica Posnaniensa, Poznan, volume XXV, 2008, pp. 49-65 ; Samuel Lair, « Mirbeau dramaturge : des mythes et des monstres », in Un moderne : Octave Mirbeau, J.& S. éditeurs – Eurédit, 2004, pp. 219-252 ; Éléonore Roy-Reverzy, « Le Mythe de la nature dans l’œuvre de Mirbeau », dans les Actes du colloque de Clermont-Ferrand sur Les Mythes de la décadence, C. R. L. M. C., Clermont-Ferrand,  2001, pp. 23-36 ; Anita Staron, « De l’ascension à l’envol : l’espace comme métaphore chez Octave Mirbeau », dans les Actes du colloque de Cracovie, Les Images, Symboles, Mythes et la Poétique de l’Ascension/Envol, Cracovie, Wydawnictwo Uniwersytetu Jagiellońskiego, 2007, pp. 121-125.

 

 

 

 

 

 


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