Thèmes et interprétations

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Terme
FEMME

Pour avoir beaucoup souffert de quelques femmes (Judith Vimmer et Alice Regnault, notamment), Mirbeau a eu fâcheusement tendance à généraliser à tout le sexe dit faible et s’est fait de la femme une image peu engageante de créature, certes séduisante, mais généralement peu intelligente et volontiers cruelle, dont la seule mission serait de perpétuer l’espèce et, à cette fin, d’attirer des mâles dans ses rets, de les « dominer » et de les « torturer » (« Lilith », Le Journal, 20 novembre 1892). Plus que de misogynie, chose du monde la mieux partagée à l’époque, et sans doute encore à la nôtre, il s’agit chez lui de ce que Léon Daudet a appelé de la « gynécophobie », où la haine des femmes est surtout l’expression de la peur qu’elles lui inspirent et de la fascination qu’elles exercent sur lui.

Mais les œillères que lui imposaient les souffrances subies, et dont une part de responsabilité lui était imputable – comme il le fait ironiquement remarquer à un autre gynécophobe, August Strindberg (Gil Blas, 1er février 1895) – ne l’ont pas empêché de proclamer à trois reprises le « génie » de Camille Claudel, d’être élogieux pour Berthe Morisot, Éva Gonzalès, Georges de Peyrebrune, Séverine, Anna de Noailles et Colette, et surtout de faire de femmes ses porte-parole dans ses trois œuvres majeures : Clara dans Le Jardin des supplices (1899), Célestine dans Le Journal d’une femme de chambre (1900) et Germaine Lechat dans Les affaires sont les affaires (1903). Certes, la première est aussi une sado-masochiste, la seconde est fascinée par Joseph parce qu’elle voit en lui un violeur et assassin d’enfant, et la troisième fait preuve d’un absolutisme qui lui prépare des lendemains qui ne chanteront pas, ce qui rend leurs messages quelque peu ambigus. Reste que Clara débite des articles de Mirbeau dénonçant les atrocités coloniales, que Célestine est l’œil et la plume d’Octave pour nous dévoiler les coulisses du théâtre du monde et que Germaine exprime, sur le mariage et sur les affaires, des opinions très progressistes qui sont celles de son créateur et qui ont beaucoup choqué les critiques (tous mâles) de l’époque. Comme quoi le gynécophobe Mirbeau pourrait bien être doublé d’un « un bien misérable gynolâtre », comme il l’écrit plaisamment.

Et puis Mirbeau est un des tout premiers à avoir proclamé, dès 1890, le droit à l’avortement et à s’être battu pour que les femmes puissent disposer du contrôle de leur propre fécondité, combat féministe s’il en est ! Comme quoi les rancœurs de l’homme malheureux dans ses amours n’aveuglent pas complètement l’intellectuel engagé dans des combats éthiques.

Voir les notices Gynécophobie, Néo-malthusianisme, Strindberg et Le Journal d’une femme de chambre.

P. M.

 

Bibliographie : Emily Apter, « Sexological Decadence : The Gynophobic Visions of Octave Mirbeau », The Decadent Reader - Fiction, Fantasy, and Perversion from Fin-de-Siècle France , New York, Zone Books,  1998, pp. 962-978 ; Pierre Michel, « Octave Mirbeau : “gynécophobe” ou féministe ? », in Christine Bard (dir.), Un Siècle d’antiféminisme, Fayard, 1999, pp. 103-118 ; Pierre Michel, « Autobiographie, vengeance et démythification », préface de Mémoire pour un avocat,  Éditions du Boucher, 2006, pp. 3-15 ; Jean-Luc Planchais, « Gynophobia : le cas Octave Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 4, 1997, pp. 190-196.

 

 

 

 

 


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