Pays et villes

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GIVERNY

Claude Monet s’installe en avril 1883, dans la maison du Pressoir, sise sur une parcelle d’un hectare dite « Le Clos normand », à Giverny, village-rue situé sur la rive droite de la Seine et près du confluent de l’Epte. Ce choix correspond à un nouveau départ dans la vie familiale du peintre,  qui a perdu sa première femme en 1879. Alice Hoschedé accepte de s’occuper de Jean et de Michel, les enfants de Claude Monet, en plus de ses quatre filles, Suzanne, Blanche, Germaine et Marthe, et de ses deux fils, Jacques et Jean-Pierre, qu’elle a eus avec le collectionneur et mécène Ernest Hoschedé. Claude Monet passe également à une nouvelle étape de sa vie artistique. Arrivé à mi-vie, enthousiasmé par la beauté de la campagne environnante, il s’installe définitivement à Giverny.  Les garçons aident le peintre-jardinier au potager et dans le jardin floral qui s’agrandit au détriment du verger, tandis que Jean-Pierre, botanise dans le Vernonnais avec l’abbé Anatole Toussaint, excellent connaisseur de la flore locale ; ils créent un nouveau pavot, le Papaver x Monetii (Touss. & Hoschedé). Les filles servent de modèles au peintre (notamment Suzanne et Germaine), tandis que Blanche aide son beau-père, lorsqu’il va, tôt le matin, au motif, et deviendra elle-même peintre impressionniste. C’est dans ce climat constructif que Monet peint le paysage environnant jusqu’en 1899. Puis progressivement, il va concrétiser l’idée d’inventer son jardin comme motif essentiel de ses nouvelles séries jusqu’au soir de sa vie (1926).

En 1884, Monet et Mirbeau font connaissance par l’intermédiaire du galeriste Paul Durand-Ruel. C’est le début d’une longue et fidèle amitié de plus de trente ans. Octave Mirbeau est le premier écrivain et journaliste à donner une description du jardin floral de Monet. Mirbeau n’est pas le chantre de son ami Monet exclusivement pour son œuvre peinte, mais aussi pour son talent de jardinier. En effet, En effet, tous deux conçoivent le jardinage comme un art de vivre et comme une forme d’art rustique caractérisé par la  recherche permanente de l’harmonie des couleurs, le goût des fleurs simples et l’exigence d’une profusion florale (Monet avait 200 000 plantes annuelles et vivaces) qui se renouvelle au fil des saisons. L’article intitulé « Claude Monet », paru dans L’Art dans les deux mondes du 7 mars 1891, témoigne, avec poésie et exubérance, du bonheur qui règne à Giverny : « C'est là, dans cette perpétuelle fête des yeux, qu'habite Claude Monet. Et c'est bien le milieu qu'on imagine pour ce prodigieux peintre de la vie splendide de la couleur, pour ce prodigieux poète des lumières attendries et des formes voilées, pour celui qui fit les tableaux respirables, grisants et parfumés, qui sut toucher l'intangible, exprimer l'inexprimable, et qui enchanta notre rêve de tout le rêve mystérieusement enclos dans la nature, de tout le rêve mystérieusement épars dans la divine lumière. » À cette époque, Mirbeau habite non loin de Giverny, aux Damps, sur une boucle de la Seine. Cela  lui donne l’occasion de venir souvent au Clos normand  et d’avoir le rare privilège d’être reçu par son ami Monet, qui ne manque pas de lui pardonner son côté possessif. Avec un réalisme saisissant Eva Figes a bien restitué cette parfaite complicité dans son récit Lumière, qui, en juillet 1900, réunit à l’occasion d’un déjeuner Alice Hoschedé, Claude Monet, plusieurs de leurs enfants, Anatole Toussaint (le curé botaniste) et Octave Mirbeau.

Au printemps 1892, époque des Cathédrales et de la construction du pont japonais, Monet, à la recherche d’un jardinier pour faire face à la croissance et à la multitude des tâches de jardinage ainsi qu’à ses propres exigences quotidiennes ne manque pas de solliciter Mirbeau, qui connaît l’importance de s’entourer de jardiniers consommés, tel Lucien qui tient son jardin des Damps, pour recueillir des renseignements sur le candidat Achille Savoir. Celui-ci est connu de Lucien comme négligent, paresseux « et de plus, il boit » ! (lettre à Claude Monet, avril 1892). Finalement, en juillet, Mirbeau  procure à Monet son futur chef-jardinier en la personne de Félix Breuil, fils du jardinier de son père, à Rémalard, dans l’Orne. Jean-Pierre Hoschedé témoigne qu’il fit merveille, avec quatre ou cinq aides sous ses ordres » (Claude Monet ce mal connu, Pierre Cailler, Genève, 1960, t. I, p. 64). Il restera vingt ans au service de Monet.

En 1893, trois ans après être devenu propriétaire de la maison au crépi rose du Clos normand, Monet achète une nouvelle parcelle située sur le bord de du Ru, petit bras de l’Epte, de l’autre côté de la route Vernon-Gisors et de la ligne de chemin de fer. Il a le projet d’y établir son jardin d’eau. Sa demande visant à détourner un bras du petit affluent de la Seine et à construire deux passerelles pour accéder à son nouveau jardin est refusée : « Merde pour les naturels de Giverny, leurs ingénieurs », écrit Monet à Alice, lorsqu’il apprend la réticence des élus. Mirbeau intervient alors auprès de Monsieur le Préfet au nom de son ami Claude Monet, pour décrocher une autorisation : « Vous me rendrez bien heureux, en l’accordant, pour lui, d’abord, qui a la passion des fleurs, pour moi ensuite, car, lorsque je viens à Giverny, c’est une joie de voir ce coin de féerie. » Quelques jours après, deux arrêtes préfectoraux permettent à Claude de réaliser le rêve de sa vie.

En mai 1894, Monet reçoit en gare de Vernon ses premiers nymphéas, commandés à Joseph Bory Latour-Marliac, de Temple sur Lot. Ce grand collectionneur de bambous en France a réussi à hybrider une trentaine de nymphéas rustiques. C’est aussi l’époque où, de façon informelle, Gustave Geffroy est à l’origine du cercle de Giverny, censé réunir autour de Claude Monet ses amis les plus proches : Octave Mirbeau, Georges Clemenceau, Auguste Rodin, Paul Cézanne et l’instigateur du cercle. Cézanne, « si singulier, si craintif de voir des nouveaux visages » (lettre de Geffroy à Monet), et  qui ne voit plus Monet depuis des années, accepte l’invitation de Geffroy pour le 28 novembre 1894. Il est déjà, depuis quelques jours, à Giverny, pour peindre les environs.

Les premières peintures du  jardin d’eau datent de 1895. En 1897, Monet crée son deuxième atelier et ses premières serres chaudes. En 1898-1899, année du Jardin des supplices, Monet commence ses premières séries des Bassins aux nymphéas, qui sont exposées fin 1900. L’année suivante, il entreprend d’acheter un nouveau terrain, de redessiner son étang et de demander l’autorisation de détourner un bras communal de l’Epte pour cultiver ses plantes d’eau à une plus grande échelle, ce qui lui est accordé. Il entoure une partie du nouveau bassin de grands bambous et de saules pleureurs pour filtrer la lumière sur les nymphéas et se préserver du regard des curieux qui se font de plus en plus nombreux aux grilles clôturant le jardin d’eau le long du chemin du Roy.

En 1908 Monet écrit à son ami Geffroy : « Ces paysages d’eau et de reflets sont devenus une obsession. C’est au-delà de mes forces de vieillard, et je veux cependant arriver à rendre ce que je ressens. J’en ai détruit… J’en recommence… et  j’espère que de tant d’efforts, il sortira quelque chose » (Wildenstein, lettre 1561).

C’est probablement grâce à Gustave Geffroy que Monet reçoit également Georges Clemenceau, qui a une résidence à Bernouville. À partir de 1909, les visites dominicales du Tigre à Giverny  sont de plus en plus rapprochées. Cette amitié aidera Monet à surmonter le décès d’Alice Hoschedé (1911) et à poursuivre jusqu’à la fin de sa vie ses séries. Clemenceau, retiré de la vie publique (1920), contribue activement à l’installation des Grandes décorations au Musée de l’Orangerie. L’ensemble des œuvres des nymphéas représente plusieurs centaines de variations sur le même thème et c’est une parcelle de Giverny qui est représentée dans le monde entier.

C’est à partir de 1914 que Monet lance la construction d’un grand atelier afin de poursuivre son idée des Grandes décorations. Les travaux d’aménagement prennent fin en juillet 1916, quelques jours après la visite de Mirbeau, Geffroy, Descaves, Hennique et J.-H. Rosny. Ils ont pu admirer les premières Grandes décorations. À cette occasion, le peintre de la lumière confie à Lucien Descaves : « J’en ai encore pour cinq ans environ. »

Parmi les autres amis fidèles de Giverny, Sacha Guitry, tant aimé d’Octave Mirbeau et du grand peintre, nous offre, en 1916, dans  son courageux et novateur film Ceux de chez nous, un portrait du « silencieux au regard parlant » (E. de Goncourt), qui témoigne du bonheur qu’il a vécu dans la féerie de son jardin. En écho à cette séquence, le comédien, improvisé cameraman et excellent photographe, a filmé le « Don Juan de l’idéal » (Georges Rodenbach) avec sa stature de condottiere et  le feu de son doux regard rayonnant dans son jardin de Cherverchemont. Au soir de sa vie, Octave revient une dernière fois à Giverny ; le « Génie apparu des jardins » (Paul Hervieu) peut quitter sans regrets les jardins des délices et des supplices dans les bras de son jeune ami Sacha Guitry.

Monet rend son dernier souffle à Giverny le 6 décembre 1926, dans les bras de Clemenceau, qui le veillera jusqu’à son ensevelissement. : « Non, non ! Pas de noir pour Monet, voyons ! Le noir n’est pas une couleur », s’est écrié Clemenceau en arrachant un rideau de fleurs pour recouvrir le cercueil, rapporte Sacha Guitry. « Mirbeau aussi aimait les fleurs », avait confié le peintre de la lumière à Marc Elder quelques années auparavant, en regardant Alice Hoschedé disposer sur la table un bouquet de soucis.

J. C.

 

Bibliographie : Georges Clemenceau, Claude Monet, Plon, 1928 (réédition Perrin, Paris, 164 p.) ; Marc Elder, À Giverny chez Claude Monet, 1924 (réédition Le Livre d’histoire-Lorisse, Paris, 2009) ; Gustave Geffroy, Monet, sa vie, son œuvre,  Crès, 1928 (réédition Macula, Paris, 1980, 556 p.) ; Jacqueline et Maurice Guillaud, Claude Monet au temps de Giverny, ouvrage réalisé à l’occasion de l’exposition Monet  au Centre Culturel du Marais par les auteurs en 1983, Paris, 318 p. ; Sacha Guitry, Cinquante ans d’occupation, Presse de la cité, coll. Omnibus, Paris, 1993, 1326 p. (passim) ;  Le Jardin de Monet à Giverny, l’invention d’un paysage, Musée des impressionnismes, Giverny, 2009, 144 p. ; Marianne Alphant, Claude Monet, une vie dans le paysage, Hazan, Paris, 1993, 710 p. ; Eva Figes, Lumière, traduit de l’anglais par G. Bardebette, Éditions Rivages, Paris, 1985, 115 p. ; Daniel Wildenstein, Monet ou le triomphe de l’Impressionnisme, Taschen Wildenstein Institut, Cologne, 2003, 480 p.

 


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