Thèmes et interprétations

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Terme
ACADEMIE FRANCAISE

L’Académie Française est une des institutions que Mirbeau a le plus souvent brocardées. Il la juge à la fois inutile, ridicule, hypocrite, injuste et néfaste.

* Inutile, parce que, en dépit de sa réputation de gardienne des lettres françaises, elle est en réalité complètement étrangère à la littérature : « Ces bonnes gens-là n’ont rien à voir avec les lettres… », confie Mirbeau à Louis Vauxcelles (Le Matin, 8 août 1904).  Jamais au grand jamais, un talent n’aura été découvert et honoré par elle, ses élus étant choisis et ses prix décernés sans tenir le moindre compte du mérite des impétrants : « Il ne s’agit pas que l’Académie s’en aille découvrir quelque part le mérite ignoré et caché, le mérite fier, le mérite libre… Nullement… Elle ne doit connaître de la littérature et de la poésie de son temps, que ce qu’en contient la loge du concierge de l’Institut, où sont  déposés les volumes  des concurrents. » C’est pourquoi « M. Charles-Louis-Philippe n’aura jamais de prix, parce qu’il a vraiment autre chose à faire que de porter ses livres chez le concierge de l’Institut, et de les mettre dans le tas des ouvrages dédicacés à l’académicien X… qui sont les seuls où l’on doive choisir l’ouvrage couronné, c’est-à-dire celui qui a le plus de recommandations… Car ce n’est pas le mérite littéraire qu’on récompense… C’est le coiffeur, le pédicure… le médecin… l’amie… de tel ou tel académicien, c’est le dîner en ville… la belle relation… tout, sauf le livre ou le poème qui ne sont là, en réalité, que des prétextes à combinaisons… généralement inavouables… » (« Sur les académies » Le Journal, 12 janvier 1902).

* Ridicule, parce que le mode de fonctionnement de « cette baroque et caduque institution » qui, « dans deux cents ans, paraîtra aussi ridicule à nos descendants que nous paraît monstrueuse la Sainte Inquisition » (« À propos de l’Académie », Le Figaro, 16 juillet 1888), et, en particulier, l’élection de nouveaux « immortels » sur la base de relations de salons, de combinazioni « généralement inavouables » et d’intrigues courtisanes, témoignent de la médiocrité de son recrutement, au sein d’une petite “élite” mondaine auto-reproduite, de sa petitesse d’esprit et de la bassesse de ses préoccupations, qui contrastent avec l’apparat des cérémonies destiné à impressionner les gogos : « Pour faire un académicien, dans le temps où nous vivons, la recette n’est point malaisée. Il suffit de rencontrer un homme poli, de quelques relations, et qui soit capable de commettre finement toute sorte de choses, sauf un livre, une pièce, ou des vers, bien entendu. Mais, dès que vous avez une œuvre à montrer – principalement une belle œuvre –, vous n’êtes plus bon à rien, pas même à devenir académicien. On s’imagine encore, dans le public, qui plus que jamais a le respect des gens en place, des galons et des costumes, que l’Académie exige de ses candidats la preuve d’une supériorité intellectuelle, la justification de travaux littéraires quelconques. Erreur grossière. L’Académie ne demande que des courbettes. Et plus se courbe le candidat, plus il s’agenouille, plus il rampe et plus il a de chances d’être admis dans l’illusoire assemblée ! » (« Notes académiques » Le Matin, 5 février 1886). Ridicule aussi à cause de l’habit vert imposé à ses membres et que Mirbeau tourne en dérision, pendant l’affaire Dreyfus, en évoquant l’équipage carnavalesque de François Coppée converti au nationalisme (« À cheval, Messieurs ! », L’Aurore, 5 janvier 1899).

* Hypocrite, parce que le bon ton et le « respect » dû, paraît-il, à une institution tricentenaire exigent de camoufler soigneusement ses turpitudes : bien qu’elle soit souvent présentée, sans grande malignité, comme une « douairière très vieille, maniérée et prétentieuse, coiffée d’une perruque à poudre, couverte de falbalas surannés, et minaudant et coquetant », en réalité « l’Académie est une vieille sale, c’est certain », comme l’écrit Mirbeau en 1888, à l’occasion de la sortie de L’Immortel, de Daudet (« À propos de l’Académie », loc. cit.). Seize ans plus tard, il ironise sur le compte de ces « personnages opulents et titrés, et très épineux, très chatouilleux », mais parmi lesquels « il y en a un qui vit de la cagnotte d’un tripot », ce qui ne les empêche pas de « faire paraître des scrupules qui [le] renversent »… Dans Le Foyer (1908), il n’hésitera d’ailleurs pas à présenter un académicien coupable d’abus de fonds sociaux et tout prêt à prostituer sa femme pour sauvegarder sa réputation, sa fortune et sa liberté, avant d’aller prononcer à l’Académie un beau discours sur les prix de vertu...

* Profondément injuste, parce que, en dépit de son évidente stérilité et du grotesque apparat dans lequel elle se pavane, elle conserve un « grand prestige, aux yeux de la foule bourgeoise », de sorte que  la « distinction » qu’elle confère, « le plus souvent mal répartie », n’en classe pas moins « un homme et l'élève au-dessus des autres, et au-dessus de son propre mérite » : « Qui connaîtrait le nom de M. Legouvé, de M. Mézières, et de tant d'autres, si l'Académie n'était venue les prendre à leur obscurité et ne leur avait mis autour du front un peu de rayonnement que projette le soleil de la routine officielle ? » (« Academiana », La France, 10 décembre 1884)... En encensant des nullités et en rejetant des génies comme Balzac (voir La Mort de Balzac), ce conservatoire de choses mortes contribue à fausser gravement la hiérarchie des valeurs littéraires, aussi bien dans la tête des gens semi-cultivés qu’auprès du grand public, au détriment d’écrivains probes et originaux, qui peaufinent leurs œuvres novatrices, ignorés de tous, et qui ont bien du mal à placer leur copie ou à vendre leurs livres.

* Néfaste, et même « désastreuse pour le bien public » comme Mirbeau l’affirme en 1902, après avoir feint, en 1888, de ne pas la juger vraiment dangereuse, dans la mesure où elle s’était révélée  « impuissante à déformer le tempérament » de quelques rares « élus », tels que Victor Hugo, Taine, Renan et Leconte de Lisle » (« À propos de l’Académie », loc. cit.). Alors, d’où vient le danger qu’elle représente pour la littérature ?

- D’abord, pour un anarchiste anti-étatique tel que Mirbeau, « l’existence des Académies » en général, qui « n’encouragent rien que la médiocrité servile », a « supprimé, purement et simplement cette force, supérieure à toutes les Académies, de la collaboration individuelle au bien général de l’humanité » ; elle a « déshabitué les hommes de bonne volonté de faire des besognes indispensables », car « chacun pense que son dévouement, sous ce rapport, est devenu inutile, puisqu’on possède maintenant une institution spéciale, l’Institut, officiellement chargé de cette grande, sublime et difficile mission... »  (« Sur les académies », loc. cit.).

- Ensuite, l’Académie exige de ses nouveaux membres, et des candidats à l’immortalité, qu’ils renient leur passé honorable, si jamais ils en ont eu un, à l’instar de Zola, dont Mirbeau stigmatise les déshonorantes ambitions académiques, avec tout ce qu’elles impliquent : « On le sent prêt à la pire des apostasies : l’apostasie de soi-même. Il peut mieux encore. Si un duc l’exige, il crachera sur l’œuvre admirable qui lui a coûté tant de dures peines, tant de douloureux efforts, tant de labeur prodigieux ; il la brûlera sur le seuil fermé de cette Académie qui, désormais, va rouler, dans la boue de ses intrigues et le ridicule de ses pichenettes, ce magnifique talent dévoyé, ce haut caractère découronné »  (« La Fin d’un homme » Le Figaro, 9 août 1888). Au lieu de contribuer à l’élévation du niveau éthique et intellectuel, ce qui devrait être sa mission, elle ne fait au contraire que le rabaisser gravement.

- Enfin, l’Académie, qui a été fondée par le pouvoir à des fins politiques et qui reste sous le contrôle étroit du pouvoir, est devenue une puissance intouchable et au-dessus des lois, qui peut exercer impunément sa « tyrannie » sur les lettres, au mépris des droits constitutionnels, en faisant, par exemple, pression pour qu’on ne dévoile rien des turpitudes de certains de ses membres, comme Mirbeau en a fait l’expérience lors de la bataille du Foyer, en 1908 : « Est-il possible qu'on n'ait jamais vu un Académicien en posture fâcheuse ? [...] Pourquoi y aurait-il à Paris, en 1908, et sous la Troisième République, des choses dont on n'aurait pas le droit de parler ? Pourquoi ne peut-on pas parler de l'Académie Française ? Pourquoi ne peut-on pas mettre en scène un membre de l'Académie Française ? [...] Nous demandons encore d'où vient ce privilège extraordinaire » (« Contre la tyrannie de l’Académie », Le Matin, 9 mars 1908).

Voir aussi Académisme.

P.M.


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