Thèmes et interprétations

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Terme
CENSURE

CENSURE

 

Mirbeau et la censure

 

            Mirbeau s’est opposé à maintes reprises à la censure théâtrale, tant dans son principe même qu’à l’occasion des problèmes rencontrés par des pièces telles que Germinal, de William Busnach, d’après le roman de Zola, en 1885 (voir « Émile Zola », Le Matin, 6 novembre 1885), de Quelqu’un troubla la fête, de Marsolleau, en 1900, puis, en 1901, de Décadence, d’Albert Guinon, de Ces Messieurs, de Georges Ancey, et des Avariés, d’Eugène Brieux, et ce indépendamment de la valeur théâtrale des pièces concernées : « En principe [...], je suis ardemment, furieusement contre la Censure. Je n’admets pas que quelqu’un... n’importe qui... lequel est généralement un ignorant et un imbécile, ait le droit de mettre des entraves à l’impression, à l’expression de la pensée humaine. Cela me paraît aussi fou que si on interdisant à un boulanger de vendre du pain dans une boulangerie » (« En flânant », Le Journal, 1er décembre 1901,

            Il voit dans la censure, confiée par la République à un « pâle fonctionnaire » qui n’y entend goutte, un moyen préventif d’empêcher les idées de se répandre dangereusement pour l’ordre établi : « Des idées, je vous demande un peu... N’est-ce point de la folie ?... Cela seul justifierait l’interdiction [de Décadence], car la République, de même que les monarchies, n’aime pas beaucoup qu’on vienne la troubler, dans sa digestion, avec des idées. Les idées peuvent germer, est-ce qu’on sait ? Il peut arriver que des gens qui ne pensaient pas, qui ne pensaient à rien, se mettent tout d’un coup à penser que tout n’est pas pour le mieux dans la société » (« Décadence », Le Journal, 24 février 1901) .

            Pour autant Mirbeau ne se fait pas d’illusions sur les effets qu’aurait la suppression de la censure théâtrale (laquelle est advenue en 1906) : cela ne changerait rien à la crise du théâtre. D’une part, parce que, tout bien pesé, et nonobstant certaines interdictions qui rappellent fâcheusement l’Empire ou font penser à l’Autriche et à l’Espagne, force lui est de reconnaître qu’en France, « la censure est, en général, assez tolérante ». Ensuite, parce que le régime de la totale liberté accorderait aux seuls directeurs de théâtre un droit de vie et de mort sur les pièces qui leur seraient présentées, et que leur censure préalable serait peut-être pire encore : « Il serait absolument impossible à un honnête auteur de faire représenter sa pièce sur un théâtre... Il suffirait qu’elle soit belle pour que le directeur, effrayé, la supprimât en la tripatouillant du fait seul de cette beauté » (« En flânant », loc. cit.). Enfin, parce que la crise du théâtre a des causes profondes et durables, liées au système théâtral en vigueur (voir la notice Théâtre), et que la censure n’y est pour rien.

 

La censure et Mirbeau

 

            Au théâtre, Mirbeau n’a pas été véritablement confronté à la censure institutionnelle. Tout juste a-t-il craint un moment, en 1900, lors d’un projet de tournée des Mauvais bergers en province –  projet qui, pour finir, n’a pas abouti – que des préfets ne fissent du zèle et n’interdissent la pièce par crainte de désordres publics. En revanche, en 1908, il s’est heurté à l’inflexibilité d’un directeur de théâtre, Jules Claretie, administrateur de la Comédie-Française, qui, après avoir reçu Le Foyer, a pris peur en découvrant les audaces de la pièce et en a suspendu les répétitions ; mais Mirbeau portera l’affaire devant les tribunaux et aura gain de cause. En province, certains maires, tel celui d’Angers, interdiront la pièce, lors de la tournée Baret de l’hiver 1909, mais la plupart du temps ces interdictions seront annulées par les préfets.

Par ailleurs, pour ce qui est des romans de Mirbeau, nous savons, par des extraits de lettres de l’éditeur Georges Charpentier au romancier, que la Justice suivait de près la publication de Sébastien Roch en feuilleton dans L’Écho de Paris, pendant l’hiver 1890. Mais aucune plainte ne fut déposée pour atteintes aux bonnes mœurs, comme le sujet pouvait le laisser craindre. Le Jardin des supplices (1899) et Le Journal d’une femme de chambre (1900) échappèrent également aux ciseaux d’Anastasie, confirmant qu’en France la censure est effectivement plus « tolérante » qu’en Belgique, où Le Jardin des supplices a été interdit par un magistrat de Bruges, ou, a fortiori, qu’en Autriche et en Allemagne : en Autriche, Le Jardin des supplices et Le Journal d’une femme de chambre, publiés par le Wiener Verlag, sont carrément interdits par la censure, en 1901 ; en Allemagne, toutes les traductions allemandes de Mirbeau parues en Autriche, au Wiener Verlag, et en Hongrie, chez Grimm, sont également interdites ; et, en 1907, aucun éditeur n’a osé publier La 628-E8, par peur d’une condamnation à la prison ferme et à une lourde amende.

P. M. 

 

            Bibliographie : Norbert Bachleitner, « Traductions et censure de Mirbeau en Autriche », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001, pp. 396-403; Octave Mirbeau, « À propos de la censure », Le Gaulois, 20 juillet 1885.


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