Thèmes et interprétations

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Terme
DEMONSTRATION PAR L'ABSURDE

Une démonstration par l’absurde consiste à prouver qu’une proposition est valide en montrant que la proposition inverse est erronée. Dans une société où, d’après Mirbeau, tout marche à rebours du bon sens et de la justice, il lui suffira donc de démasquer les mensonges des institutions, les « grimaces » des dominants et les faux-semblants des valeurs établies pour que le lecteur ou le spectateur découvre avec étonnement que la vérité n’est pas du tout là où on l’avait conditionné à la voir. D’une certaine façon, c’est toute l’œuvre de Mirbeau qui constitue une démonstration par l’absurde de l’irrémédiable  folie et de la flagrante injustice de l’organisation sociale. Il lui suffit de montrer, dans leur fonctionnement « normal », les aberrations et monstruosités des institutions telles que la famille, l’école, l’armée, l’Église, l’usine, le système politique, etc., pour qu’on comprenne aussitôt que tout est vicié à la racine et que c’est d’autres institutions que les citoyens soucieux de vérité et de justice auraient besoin. Plus particulièrement, des procédés tels que l’interview imaginaire et l’éloge paradoxal (voir les notices) constituent aussi une manière de démonstration par l’absurde : dans le premier cas, l’interviewé révèle lui-même la vacuité ou l’hypocrisie de son discours officiel et exhibe sans vergogne les véritables arrière-pensées, d’ordinaire inavouables, qui l’animent ; dans le deuxième cas, l’éloge de ce qui, dans une société donnée, est considéré comme un délit, un crime, voire une horreur sans nom, telle que le cannibalisme par exemple, ne peut qu’amener le lecteur  doté d’un minimum d’esprit critique à en conclure que les valeurs consacrées sont à rejeter et que ceux qui les défendent ne sont que de sales hypocrites.

Citons quelques exemples de démonstrations par l’absurde dans l’œuvre littéraire de Mirbeau :

* Lorsque le général Archinard, conquérant du Soudan, se vante, au chapitre IX des 21 jours d’u neurasthénique (1901), d’avoir tapissé ses murs de « peaux de nègres », il fait  la démonstration par l’absurde que la prétendue « mission civilisatrice » du colonialisme n’est en réalité qu’un abominable système d’exploitation des Africains et que la République couvre des atrocités criminelles.

* Dans la nouvelle Un homme sensible (1901), le narrateur justifie ses crimes par une référence au darwinisme, à la lutte pour la vie et à l’écrasement des faibles par les forts. Révolté par ses crimes odieux, le lecteur ne peut que rejeter ses justifications théoriques, et donc condamner la « morale » bourgeoise et l’économie capitaliste qui reposent sur les mêmes présupposés. Il devrait même, s’il est cohérent, faire de la pitié pour les plus faibles et les plus démunis le fondement de son éthique.

* Dans la farce Scrupules (1902), le Voleur démontre, par ses multiples expériences, que toutes les professions honorées reposent sur le vol, mais un vol camouflé, légitimé et donc sans danger pour ceux qui le commettent, et qu’il est donc plus honnête et plus courageux de voler ouvertement et à ses risques et périls. Force est au spectateur d’en conclure que la loi n’est qu’un chiffon de papier pour les dominants et que les valeurs morales dont ils se targuent ne sont que « pure grimace ». 

* Dans une autre farce, Le Portefeuille (1902), le Commissaire applique strictement la loi réprimant le vagabondage et expédie au dépôt un pauvre hère dont il vient de reconnaître qu’il s’est comporté héroïquement. La loi se révèle donc foncièrement absurde et d’une révoltante injustice. Le spectateur de bonne foi ne peut qu’en être choqué et, remontant des effets à la cause, il se voit contraint de remettre en question la loi elle-même et tout l’ordre social bourgeois qu’elle légitime.

* Dans Dingo (1913), Mirbeau se livre à ce que les cyniques grecs appelaient la « falsification » des valeurs, des croyances et des institutions sociales, c’est-à-dire la mise en lumière de leur absurdité et de leurs aberrations par une espèce de contrefaçon, manière de démontrer par l’absurde la nécessité d’un retour à une éthique naturelle.

Voir aussi les notices Démystification, Éloge paradoxal, Interview imaginaire et Cynisme.

P.M.

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