Thèmes et interprétations

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Terme
EAU

La représentation littéraire de l’eau chez Mirbeau achoppe sur l’image sulfureuse et incandescente de l’écrivain, homme volcanique plutôt qu’être voué à la fluidité. Pourtant, l’image poétique de l’eau revêt une certaine cohérence dans son œuvre. Ses premiers ouvrages suggèrent ainsi une sorte de dualité entre, d’une part, le gluant et le boueux, et, d’autre part, la promesse d’une dilution dans une fluidité parfaite.

Le Calvaire (1886) met en scène une série de portraits masculins portés au narcissisme. Les pleurs versés, la fascination pour les surfaces aquatiques, le drame des eaux pures troublées par la guerre ou le tumulte parisien, sont autant de déclinaisons d’une même image, celle de la menace qui pèse sur le bonheur du jeune Mintié complaisamment attardé dans le sommeil lustral de la conscience, et qui peine à secouer cet engourdissement. La longue théorie des miroirs où l’on se contemple précipite sa chute. L’eau renvoie chez les personnages des premiers récits à un solipsisme dont ils ne cherchent nullement à se dégager. Le jeune Sébastien, en 1890, s’évade en des rêves océaniques qui lui confèrent un éphémère sentiment d’unité, à tel point que la vision du plan d’eau stagnante, derrière l’institution religieuse où s’élabore sa tragédie, agit comme un appel suicidaire à se perdre dans l’éparpillement des choses. L’abbé Jules connaît lui aussi cette aspiration à un néant bienheureux qui se traduit en termes de fluidité, tandis que le drame de Mintié, dans Le Calvaire, tient à l’impossibilité de trouver la mort dans la noyade, puisque même les vagues le rejettent.

Le désespoir de ces personnages trouve en fait à se dire dans le rapport singulier à la fluidité : là où la superficialité miroitante des êtres et des choses acquiert une dimension évidemment mensongère et trompeuse, réintégrer l’authentique profondeur des individus et des phénomènes devient une aspiration inaccessible. Au contraire, l’avatar de la boue gluante, en sa réalité de matérialité et de pesanteur odieuses, se substitue à l’image d’affranchissement et de réintégration d’un état d’avant la souillure.

De la poétique développée par Mirbeau aux combats écologiques, il n’y a pas de solution de continuité. L’homme qui cite devant Jules Huret, en 1891, le vers de Catulle Mendès comme une manière de perfection, « Un jet d’eau qui montait n’est pas redescendu », pouvait-il réagir par l’indifférence à la pollution des cours d’eau de la vallée de la Seine souillés par le déversement sauvage des eaux usées, depuis Paris ? Fin 1899, quelques articles de Mirbeau dans la presse montrent comment cette répulsion du visqueux, ancrée dans l’imaginaire, devient le fer de lance d’un discours prônant la salubrité la plus élémentaire. Les mêmes craintes face à la souillure mortifère de l’élément aquatique éclatent dans La 628-E8, où l’insalubrité des canaux hollandais menace de laisser crever à la surface miasmes et fièvres corruptrices.

Voir aussi  Mer, Port, Pourriture et Écologie.

S. L.

 

Bibliographie : Arnaud Vareille et Samuel Lair, « La Dynamique des images de l’eau dans l’œuvre de Mirbeau », in Actes du colloque de Gdansk In aqua scribis, le thème de l’eau dans la littérature, Wydawnictwo uniwersytetu Gdanskiego, 2005, pp. 109-117.

 


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