Thèmes et interprétations

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Terme
FARCES

FARCE

 

            La farce est un genre dramatique de simple divertissement, qui vise prioritairement à faire rire les spectateurs en recourant à des procédés bouffons, que les partisans d’un théâtre « noble » méprisent et jugent grossiers et tout juste bons pour un public populaire, non cultivé et avide de divertissements vulgaires. Mais la farce, chez des dramaturges tels que Mirbeau ou Ionesco, et, avant eux, chez Molière, peut aussi être utilisée comme un moyen satirique de susciter la réflexion et, selon l’adage, de châtier les mœurs par le rire.

            C’est pourquoi Mirbeau n’a pas hésité à produire des farces, qui complètent avantageusement ses deux grandes comédies que sont Les affaires sont les affaires (1903) et Le Foyer (1908). Il en a regroupé six dans ses Farces et moralités (1904). Il y distancie délibérément les spectateurs en recourant à des procédés farcesques :

            – La parodie : parodie du langage amoureux (Les Amants), de la logomachie politique (L'Épidémie), du style journalistique (Interview), des « grimaces » de la respectabilité bourgeoise (Vieux ménages), des conversations mondaines (Scrupules).

            – L'emballement et le crescendo : dans L'Épidémie, les conseillers municipaux affolés votent des crédits qui, en un instant, passent de dix à cent millions de francs, qu'ils prétendent « trouver dans [leur] patriotisme » ; dans Le Portefeuille, le Commissaire, saisi de frénésie répressive, fourre tout le monde au bloc, y compris sa maîtresse ; dans Interview, les questions du journaliste taré se font de plus en plus pressantes, absurdes et menaçantes.

            – Le délire : délire du journaliste (Interview), de la « vieille podagre » qui se croit abandonnée et mourante (Vieux ménages), du Commissaire (Le Portefeuille), des conseillers municipaux (L'Épidémie), ou de l'Amant en rut, emporté par le désir (Les Amants).

            – Tout un jeu de cocasseries verbales qui ont pour fonction de dynamiter les préjugés et les faux semblants : « Mon tout... mon cher tout... mon cher petit toutou... » (Les Amants) ; « Il s'agit de respecter la loi... ou de la tourner... ce qui est la même chose... » (Le Portefeuille) ; « Qui dit payer... dit voler... » (Scrupules) ; « Échanger votre commerce borgne... contre une finance aveugle... » (ibid.) ; « Toutes les pourritures doivent être égales devant la loi » (L'Epidémie) etc.

            – L'éloge paradoxal : éloge du bourgeois stupide et grugé (L'Épidémie) ; du vol, unique moteur des activités sociales les plus respectées (Scrupules) ; de la presse d'intoxication qui empoisonne quotidiennement douze millions de lecteurs (Interview) ; de l'adultère bourgeois en tout bien tout honneur (Vieux ménages) ; de la saine pourriture et de l'insalubrité socialement nécessaire (L'Épidémie) ; d'une loi absurde et injuste, qui n'en constitue pas moins le fondement de l'ordre social (Le Portefeuille). En prêtant aux personnages des propos qu'ils pensent in petto, bien souvent, mais qu'ils se garderaient bien de crier sur les toits, le dramaturge affiche son mépris pour la crédibilité théâtrale.

            – Les renversements brutaux : dans L'Épidémie, le conseil municipal débloque brusquement les crédits refusés quelques minutes plus tôt ; dans Le Portefeuille, le « héros » Jean Guenille est, d'un instant à l'autre, traité comme un délinquant ; dans Les Amants, la scène de désespoir amoureux va s'achever sur l'oreiller quelques minutes plus tard ; dans Vieux ménages, la jalousie apparente de l'épouse aboutit à proposer à son mari la « jolie voisine » de préférence à ses bonnes. C’est la preuve que, contrairement à ce qu’affirmait Aristote, « natura facit saltus ».

            – L'inversion des normes sociales et des valeurs morales en usage : dans Vieux ménages, un honorable magistrat à principes détourne les mineures, et une honnête épouse bourgeoise suggère à son époux un adultère sans scandale ; dans Scrupules, le philanthrope doit sa fortune à des « canailleries », cependant que le voleur est un gentleman qui assume courageusement sa vocation ; dans Interview, le journaliste menace de diffuser sciemment de fausses nouvelles ; dans L'Épidémie, le conseil municipal se soucie comme d'une guigne de la mort des pauvres et des soldats et de l'insalubrité des casernes et des quartiers misérables ; dans Le Portefeuille, le commissaire envoie en prison un pauvre bougre qu'il vient de qualifier de « héros ». La raison est choquée et le spectateur ne peut pas ne pas réagir.

            – Enfin, dans Amants, l'intervention d'un présentateur ridicule, dont le lyrisme de convention, sur le décor romantique à souhait et le banc de pierre moussu qui invite à célébrer « les messes de l'amour », est immédiatement contredit par les premières répliques des amants (« Encore ce banc !... »).

            La farce n'est donc pas un simple ingrédient rajouté à la « moralité » pour mieux la faire digérer en déridant le public. Elle en est inséparable, parce qu’elle est le moyen le plus efficace de toucher l'intelligence critique des spectateurs. 

            Voir Farces et moralités.

P. M.

           

 

 

 


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