Thèmes et interprétations

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Terme
FUMIER

D’un matériau l’autre, la valeur et l’imaginaire attachés à la substance connaissent chez Mirbeau des évolutions sensibles. De la boue génératrice de dégoût et d’angoisse, au fumier, source de fécondité et d’émerveillement littéraire, toute une représentation symbolique se trouve modifiée. « Toute matière molle est exposée à d’étranges renversements de valeur », note Bachelard. La sensibilité écologiste de Mirbeau n’est pas à exclure dans cette valorisation du fumier qui parcourt l’oeuvre, comme en témoigne par exemple la correspondance avec Monet. En outre, si Mirbeau n’assimile pas, comme il le fait de la boue, fumier et analité, c’est qu’une définition de l’art est en jeu, qui s’enrichit et se précise par le biais de cette thématique du fumier.

Ce qui intéresse la critique et l’amateur de Mirbeau, c’est avant tout la grande souplesse polysémique du terme et de son emploi métaphorique. Il est ainsi requis dans le discours social, quand il s’agit de vilipender les excès des possédants et des maîtres. Les pauvres sont en effet selon Célestine cet « engrais humain où poussent les moissons de vie, les moissons de joie que récoltent les riches, et dont ils mésusent si cruellement contre nous ». Mais le traitement romanesque du fumier est surtout l’image privilégiée d’une esthétique. Si dans Dans le ciel, Lucien s’extasie face à un tas de pourriture, c’est que dans ce désordre fécond, lui, artiste, discerne la perspective d’un ordre secret qui figure, au vrai, le travail du créateur.

« As-tu quelquefois regardé du fumier ?... C’est d’un mystère ! Figure-toi… un tas d’ordures, d’abord avec des machines […] Des formes apparaissent, des formes de fleurs, d’êtres, qui brisent la coque de leur embryon…C’est une folie de germination merveilleuse, une féérie de flores, de faunes, de chevelures, un éclatement de vie splendide !... »

Les jardiniers chinois du Jardin des supplices ne feront pas autre chose, qui transmuent la richesse de ce matériau ingrat – il est fait de la putréfaction des corps des suppliciés enterrés sur place – en le lieu de contemplation que l’on connaît. Cette prodigieuse alchimie, l’écrivain Mirbeau doit lui aussi la réaliser, se nourrissant de la substance corrompue des vicissitudes sociales alentour, des ordures sécrétées par l’humanité. Une telle dimension cathartique, excrétrice presque, de la littérature mirbellienne, serait confirmée par la portée de libération confiée à la parole des personnages, dont le discours à l’occasion ordurier, s’épanche et débonde en une évacuation qui fait suite à une sorte de digestion des immondices rencontrés : les personnages du Journal d’une femme de chambre évacuent une sorte de trop-plein par le recours à une parole avilie, dégradée et dégradante. Loin d’épouser les implications de la littérature naturaliste, cependant, Mirbeau fait à l’occasion sienne une rhétorique anti-naturaliste en convoquant le registre stercoraire, sommant la littérature de ce dégager de ce modèle de « la vie telle qu’ils nous l’expriment […] vide et raidie dans l’ordure. », preuve que sur le terrain de l’imagination de la matière, la parole et l’écriture de Mirbeau ne sont jamais univoques.

 

S.L.

 

Bibliographie : Samuel Lair, Mirbeau et le mythe de la nature, PuR, 2004, pp.61-62 ; Éléonore Roy-Reverzy : « Mirbeau et le roman : de l’importance du fumier », Un moderne, Octave Mirbeau, Eurédit, 2004, Mont-de-Marsan, p.97-106.


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