Thèmes et interprétations

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Terme
LEGION D'HONNEUR

LÉGION D’HONNEUR



Ordre fondé par Napoléon pour récompenser ses officiers, et accessoirement ses féaux serviteurs civils, la Légion dite d’Honneur a été complètement discrédité par le scandale des décorations, qui a éclaté en octobre 1887 : Daniel Wilson, le gendre du président de la République, Jules Grévy,  en organisait le juteux trafic depuis ses bureaux situés dans le palais même de l’Élysée... Mais Mirbeau n’a pas eu besoin de ce scandale pour penser, comme Flaubert, le plus grand mal de ces « honneurs qui déshonorent ». Tout simplement parce que, au lieu de récompenser les gens de bien, les véritables talents et ceux qui ont réellement servi le pays par leur dévouement, leur art ou leur intelligence, ils sont accordés le plus souvent à des médiocres et des rampants, dont il convient d’encourager la fidélité ou de récompenser les basses œuvres. Tel cet obscur Maginard, vague écrivaillon devenu « domestique » au service d’un ministre, qui est chargé de rédiger des « entrefilets » où il « excelle à dénaturer la vérité, et à enrubanner le mensonge » et qui, envoyé en « mission spéciale », rend à son maître des « services politiques » et des « services privés ». Par-dessus le marché, il ne recule devant aucune flagornerie et lui « dit : “Monsieur le président”, comme un prêtre en prières dit : “Sainte Vierge Marie“. C’est pourquoi on l’a nommé chevalier de la Légion d’Honneur » (« Décorations », Le Gaulois, 5 janvier 1885)...

Dans ces conditions, il n’a évidemment jamais été question pour Mirbeau, pas plus que pour Claude Monet, de sacrifier sa dignité en acceptant ce type de déshonorante breloque : quand Raymond Poincaré, ministre de l’Instruction publique, la leur a proposée, à tous deux, en 1895, ils ont refusé nettement. D’autres n’ont pas eu ce scrupule. Zola, par exemple, qui postule de surcroît à l’Académie, et que Mirbeau accuse alors d’avoir tout renié « pour un bout de ruban que peut obtenir, en payant, le dernier des escrocs » : « luttes, amitiés anciennes, indépendance, œuvres » (« La Fin d’un homme », Le Figaro, 9 août 1888). Plus grave encore : Auguste Rodin, dont Mirbeau est le chantre attitré, s’est abaissé au point d’accepter de faire partie de la fournée du 1er janvier 1888, « avec les Goetschy, les Silvestre, les Arène ». Quelle déchéance ! Mirbeau en est ulcéré et, ab irato, fait paraître un article ironiquement intitulé « Le Chemin de la croix » (Le Figaro, 16 janvier 1888), qui a failli le brouiller avec son dieu et qui, pour que se réconcilient les deux amis, a nécessité l’intercession de Claude Monet : « Chaque fois que j’apprends qu’un artiste que j’aime, qu’un écrivain que j’admire, viennent d’être décorés, j’éprouve un sentiment pénible, et je me dis aussitôt : “Quel dommage !” » Puis, après avoir une nouvelle fois proclamé l’incomparable génie du sculpteur qui vient d’être décoré, il met en lumière l’infinie distance qui le sépare de ces dérisoires honneurs : « Qu’est-ce que la croix d’honneur a de commun  avec un génie tel que celui de Rodin ? » Pour finir, Mirbeau souhaite que « les artistes, peintres, sculpteurs, hommes de lettres, forment une ligue contre la Légion d’Honneur » et refusent la croix, mais  « sans mots sonores, sans gestes de théâtre, non seulement parce qu’on en a fait un abus qui la déconsidère, mais parce qu’elle sert à un usage régulier, quotidien, qui ne regarde en aucune façon les artistes ». Car la reconnaissance des artistes créateurs ne peut leur être accordée que par leurs pairs et par les amateurs d’arts et de lettres, et non par des politiciens juste soucieux de se créer une clientèle en distribuant des médailles comme à des vaches aux comices agricoles.

P. M.

 

 

 

 


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