Thèmes et interprétations

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PATRIE

PATRIE

 

            Mirbeau a toujours détesté l’usage que les nationalistes, patriotes auto-proclamés, ont fait de l’idée de patrie : une forme de xénophobie poussant au conflit avec l’autre et justifiant les guerres, les conquêtes et les massacres, qu’il s’agisse des Allemands, au nom de la « Revanche », ou des peuples « barbares » d’Afrique et d’Asie, au nom du « progrès », de la « civilisation » et de la « religion d’amour » qu’est censé être le christianisme : « L’idée de patrie n’évoque en moi que d’horribles images de violence, de ténèbres, de haine, de meurtre, d’extermination. Elle est pittoresque, mais singulièrement régressive et, osons le dire, criminelle. [...] C’est cette idée de ptrie qui entretient encore, parmi nous, l’abominable question des races, laquelle, par les méfiances qu’elle engendre, les haines qu’elle soulève, les guerres qu’elle déchaîne, pèse toujours si lourdement sur l’humanité. Or il n’y a point, il ne devrait point y avoir de questions de races. Une seule race : l’humanité. » (Réponse à une enquête sur l'idée de patrie, La Revue, 15 janvier 1904).

            Il s’est donc toujours employé à la démystifier d’importance, notamment dans le chapitre II du Calvaire, que la revancharde Juliette Adam refusa de publier en feuilleton dans La Nouvelle revue et qui fit scandale lors de la sortie du roman, fin novembre 1886. Au cours de la débâcle de l’armée de la Loire, le narrateur, Jean Mintié, s’interroge sur cette « patrie » que l’on évoque si abusivement pour pousser deux peuples voisins à s’entretuer : « Qu’était-ce donc que cette patrie, au nom de laquelle se commettaient tant de folies et tant de forfaits, qui nous avait arrachés, remplis d’amour, à la nature maternelle, qui nous jetait, pleins de haines, affamés et tout nus, sur la terre marâtre ?… Qu’était-ce donc que cette patrie qu’incarnaient, pour nous, ce général imbécile et pillard qui s’acharnait après les vieux hommes et les vieux arbres, et ce chirurgien qui donnait des coups de pied aux malades et rudoyait les pauvres vieilles mères en deuil de leur fils ? Qu’était-ce donc que cette patrie dont chaque pas, sur le sol, était marqué d’une fosse, à qui il suffisait de regarder l’eau tranquille des fleuves pour la changer en sang, et qui s’en allait toujours, creusant, de place en place, des charniers plus profonds où viennent pourrir les meilleurs des enfants des hommes ? » 

            Face aux hurlements d’indignation des « revanchards », Mirbeau a ajouté une préface à la neuvième édition du Calvaire pour présenter une image bien différente de la véritable patrie, la seule qui compte et qui mérite qu’on se batte pour elle, le patrimoine universel de l’humanité : « Le patriotisme, tel que je l'aime, travaille dans le recueillement. Il s'efforce de faire la patrie grande avec ses poètes, ses artistes, ses savants honorés, ses travailleurs, ses ouvriers et ses paysans protégés. S'il pique un peu moins de panaches au chapeau des généraux, il met un peu plus de laine sur le dos des pauvres gens. Il s'acharne à découvrir le mystère des choses, à conquérir la nature, à la glorifier dans ses œuvres. Il tâche d'être, grâce à son génie, la source intarie de progrès où les peuples viennent s'abreuver. Et s'il ne ressemble pas aux brutes forcenées, aux criminels iconoclastes, brûleurs de tableaux, démolisseurs de statues, qui ne peuvent comprendre que l'Art et que la Philosophie rompent les cercles étroits des frontières et débordent sur toute l'humanité, il sait, croyez-moi, quand il le faut, se “faire casser la gueule” sur un champ de bataille, comme les autres et mieux que les autres » (Préface du Calvaire, 8 décembre 1886). 

            La patrie ainsi conçue constitue une valeur trop importante pour qu’on puisse envisager un seul instant d’en confier la défense aux professionnels du meurtre et aux braillards avinés du pseudo-patriotisme xénophobe.

P. M.

 


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