Thèmes et interprétations

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Terme
POESIE

POÉSIE

 

Mirbeau n’a jamais caché qu’il appréciait guère la poésie comme genre littéraire. Ainsi avoue-t-il à Charles Vogel, en 1907 : « La poésie n'a point mes préférences. Je suis même d'avis que, le plus souvent, on n'écrit en vers que parce qu'on ne sait pas écrire en prose, ou bien parce qu'on n'a rien à dire – rien surtout à démontrer, à prouver » (« Le dixième de l’Académie Goncourt », Gil Blas, 24 mai 1907). Sept ans plus tôt, il affirmait déjà, tout aussi catégoriquement » : « C’est avec les vers qu’on habille le plus somptueusement le néant ou le pas grand-chose. Avec les vers, on se tire toujours d’affaire, et combien glorieusement ! Quand il s’agit d’éliminer d’une œuvre d’art la tristesse, la gaieté, la douleur, la passion, l’horreur, tout ce qui est émotion véritable dans un sens ou dans l’autre ; lorsque l’on n’a rien à dire et que l’on ne peut pas faire de la prose avec ce rien tout nu, on fait des vers. Et c’est admirable ! Et, du pauvre imbécile que l’on est, on devient tout de suite un dieu ! Par les vers on rend le vide sonore , et le néant se peuple aussitôt de quelque chose... on ne sait pas quoi... mais de quelque chose » (« Contes pour une malade », Le Journal, 9 septembre 1900).


Il est particulièrement réfractaire à un certain type de poésie, d’obédience symboliste, qu’il juge aussi conventionnelle qu’obscure et prétentieuse, au premier chef celle de Francis Viélé-Griffin, qu’il tourne en dérision dans « Le Poète et la source » (Le Journai, 2 février 1897) et « Le Chef-d’œuvre » (Le Journal, 10 juin 1900). Il s’y moque notamment de ses prétentions à faire œuvre utile grâce au « vers libre », où il ne décèle qu’une « mystification » : « Si libre qu’il soit, un vers doit exprimer quelque chose, une idée, une image, une sensation, un rythme. Or, je défie M. Edmond Pilon de nous prouver que les vers de M. Vielé-Griffin expriment quelque chose d’autre qu’une mystification, laquelle, vraiment, a trop duré. »

Et pourtant, en matière de poésie comme de peinture et de sculpture, Mirbeau a fait preuve d’une stupéfiante prescience. Si sa très vive admiration pour Baudelaire – qui cependant sent encore un peu trop le soufre aux narines de critiques tardigrades tels que Brunetière – n’est plus vraiment une originalité avant-gardiste dans les années 1890, en revanche celle qu’il voue à Stéphane Mallarmé, pour lequel, de son propre aveu, il a un véritable culte, est plus surprenante, car on pourrait penser que rien n’est plus éloigné de la prose journalistique, dont Mirbeau est bien obligé de faire son beurre, que la recherche mallarméenne d’une parole dotée de pouvoirs quasiment surnaturels. Plus étonnant encore est le fait que, à trois reprises au début des années 1880, Mirbeau ait cité des vers de Rimbaud, dont un totalement inconnu aujourd’hui encore (voir l’article de Bertrand Guyomar), à une date où personne ne connaissait l’homme aux semelles de vent.

Ajoutons que c’est Mirbeau qui a lancé Maurice Maeterlinck par son retentissant article du Figaro, le 24 août 1890 ; qu’il a noué une vive et réciproque amitié, pleine d’admiration, avec Georges Rodenbach, auquel il a consacré deux articles ; qu’il a parlé avec chaleur du trop tôt disparu Jules Laforgue ; qu’il a été aussi l’ami d’Émile Verhaeren et d’Henri de Régnier ; et qu’il a participé à la pension accordée à Verlaine à la fin de sa vie. Pour quelqu’un qui n’aimait pas la poésie, il y a là un palmarès qui ne manque pas de stupéfier par sa justesse, entérinée par la postérité. C’est le signe que, ce qui compte le plus à ses yeux, ce n’est pas le choix d’un genre littéraire supposé supérieur et obéissant à des normes établies a priori, mais bien la capacité de l’auteur, quel que soit l’outil choisi, à faire accéder le lecteur à son monde intérieur, à susciter en lui des émotions, à lui révéler ce qu’il n’aurait pas pu voir ou sentir par lui-même. C’est le cas des grands poètes qu’il admire, au même titre que les grands artistes créateurs, mais c’est indépendant du choix qu’ils ont fait du vers comme mode d’expression..

P. M.


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