Thèmes et interprétations

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REVUE BLANCHE

REVUE BLANCHE (1889-1903). Fondée à Liège, en décembre 1889, par Auguste Jeunehomme, Joë Hogge, Charles et Paul Leclercq, Louis-Alfred Natanson, la revue connaît d’abord trois séries « belges », puis elle est lancée à Paris en octobre 1891 sous la direction d’Alexandre et de Thadée Natanson. D’abord essentiellement littéraire, elle ouvre progressivement ses pages à la politique, avant de devenir le centre de ralliement des dreyfusards à partir de 1898.

Comparé aux jeunes fondateurs de la revue, nés vers 1870, Mirbeau est un « ancien » ; lorsque la Revue Blanche s’installe à Paris, il est un journaliste et un critique influent, un écrivain consacré. S’il ne signe aucun texte à la Revue Blanche avant la publication du Journal d’une femme de chambre à partir de janvier 1900, l’estime réciproque est manifeste dès les débuts parisiens de la revue, ainsi que le montre sa correspondance avec Romain Coolus, chroniqueur dramatique dont la pièce, Le Ménage Brésile (1893), avait reçu un accueil plutôt froid de la critique. Mirbeau l’assure de son talent et lui promet un article sur « l’exquise Revue Blanche » (19 janvier 1893), compliment auquel Coolus répond par une louange à « l’exceptionnel chroniqueur » dans une chronique de septembre 1893 — Mirbeau sera le dédicataire d’un récit de Romain Coolus, Impasse des Hatons, publié à la revue en novembre 1900. Son nom apparaît d’ailleurs fréquemment sous la plume des jeunes chroniqueurs, qui disent la haute tenue de son style ou le caractère exemplaire de ses prises de position ; il est notamment mentionné, associé à d’autres auteurs plébiscités par la Revue Blanche (Henri de Régnier ou Paul Adam), sous la plume d’Alfred Douglas, à propos du combat en faveur d’Oscar Wilde, le 1er juin 1896, mais aussi au moment du procès en révision du capitaine Dreyfus à Rennes (Victor Barrucand, « Notes sur le procès », 1er septembre 1899), ou encore par  Gustave Kahn, dans son portrait de Laurent Tailhade le 1er octobre 1901, qui fait allusion à la présence d’Octave Mirbeau aux côtés de ce dernier, incarcéré à la Santé pour un article paru dans le Libertaire le 15 septembre 2001. Les « Réflexions anarchistes » de Paul Masson, dernier article du Chasseur de Chevelures, lui sont dédiées.

Une chronique de Paul Adam, issue de la série des « Critiques des mœurs », parue le 15 mai 1896, donne d’ailleurs la mesure de l’admiration pour l’engagement de Mirbeau ; celui-ci fait en effet partie des « énergies de cette fin de siècle », qu’il faut entendre comme les « forces contemporaines » en lutte contre l’hypocrisie ambiante, qu’Adam nomme « le mensonge de la vertu ». En ce sens, Mirbeau annonce, ainsi que Zola, également évoqué dans la chronique, la figure, essentielle à la Revue Blanche à partir de 1898, de l’ « intellectuel ». De fait, c’est en « énergique » qu’Octave Mirbeau répond à « L’Enquête sur l’éducation », publiée le 1er juin 1902, dans laquelle il déclare avec virulence sa haine de l’éducation religieuse ; c’est cette « énergie » encore que les critiques de la Revue Blanche soulignent lorsqu’ils évoquent, de la même façon, la verve du romancier : à propos du Jardin des supplices (1899), Léon Blum, critique littéraire en titre, écrit, le 15 juillet 1899, qu’on ne peut qu’ « aimer ou haïr » une œuvre où paraissent de tels « dons de violence, d’éloquence, de richesse et de grossissement », une « imagination de bourreau […] prodigieuse » ; des Vingt et un jours d’un neurasthénique (1901), Alfred Jarry retient, le 1er septembre 1901, « de l’horreur, du courage, de la violence, de la tendresse, de la justice, fondus en beauté dans trois cents pages ». Sympathique aux anarchistes, comme les jeunes collaborateurs de la Revue Blanche, Mirbeau prend parti en faveur de Félix Fénéon lorsque celui-ci est arrêté, en avril 1894. Les nouvelles fonctions de Fénéon, devenu secrétaire de rédaction de la revue en février 1895, et la collaboration de Mallarmé, à partir du même mois, resserrent les liens de Mirbeau avec la Revue Blanche. Le 10 janvier, Fénéon avait écrit à Mirbeau que les frères Natanson souhaitaient sa contribution, et exprimait sa joie qu’ils puissent ensemble faire leur entrée à la revue.

Mais c’est le combat en faveur de Dreyfus qui consacre le rapprochement entre Mirbeau et le groupe de la Revue Blanche, de même que leurs influences mutuelles. Dans ses Souvenirs sur l’Affaire (1935), Léon Blum décrira les visites quotidiennes à la revue d’un Mirbeau « jeté à corps perdu dans la bataille ». En outre, la question de l’art social est alors essentielle à la Revue Blanche, de même qu’elle l’est pour Mirbeau, qui en avait témoigné dans sa réponse à « L’Enquête sur l’influence des lettres scandinaves », lancée par la Revue Blanche en février 1897 ; l’écrivain y insiste sur la nécessité d’une littérature grâce à laquelle les auteurs français prennent conscience qu’ « il existe des âmes humaines aux prises avec elles-mêmes et avec la vie sociale ». Les Mauvais bergers (1898) sont défendus par Louis-Alfred Natanson, cependant troublé comme Jules Renard par le dénouement du dernier acte ; L’Épidémie (1898) est comparée par Félicien Fagus, dans une chronique du 15 février 1900, aux Tisserands (1893) de Gerhart Hauptmann ; cette pièce, écrit-il, fait de Mirbeau une « force de la nature ». La pré-publication du Journal d’une femme de chambre, du 15 janvier au 1er juin 1900, marque l’intégration de Mirbeau au groupe de la Revue Blanche. Coïncidant avec deux périodes importantes de l’affaire Dreyfus, dans laquelle s’engagent pleinement les rédacteurs, le roman constitue un écho à la clameur des « intellectuels » qui résonne alors dans les pages de la revue. De fait, il est longuement salué par Camille de Sainte-Croix, le 1er septembre 1902, comme l’œuvre d’un « homme qui n’a pas peur des mots, des idées, ni des actes », par Coolus dans Le Cri de Paris et par Thadée Natanson dans Le Soir. Au moment où tous les regards se tournent vers l’Exposition universelle, cette publication est un événement d’envergure pour la Revue Blanche ; le roman, qui fait couler beaucoup d’encre (celle de Péguy surtout, particulièrement critique dans Les Cahiers de la Quinzaine), concentre alors les attentions sur le périodique, suffisamment audacieux pour publier une œuvre jugée scandaleuse.

C. B et P.-H. B

 

Bibliographie : Cécile Barraud, « Octave Mirbeau, un “batteur d’âmes” à l’horizon de la Revue Blanche », Cahiers Octave Mirbeau n° 15, mars 2008, pp. 92-101 ; Paul-Henri Bourrelier, « Mirbeau, la Revue Blanche et les Nabis », in Octave Mirbeau, Actes du colloque d’Angers, Presses de l’Université d’Angers, 1992, pp. 131-151 ; Paul-Henri Bourrelier, La Revue Blanche, une génération dans l’engagement 1890-1905, Paris, Fayard, 2007, pp. 938-955 ; Pierre Michel, « Octave Mirbeau, le prolétaire des lettres », in La Belle Époque des revues 1880-1914, Éditions de l’I.M.E.C., 2002, pp. 85-92.  Voir aussi le blog de Paul-Henri Bourrelier consacré à la Revue Blanche.

 

           

 

 

 

 

 


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