Thèmes et interprétations

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Terme
RATE

Quand, à trente-quatre ans, Mirbeau publie « Un raté » (Paris-Journal, 19 juin 1882), son bagage est officiellement des plus restreints, pour ne pas dire des plus dérisoires : sous son nom, il n’a en effet fait paraître que des chroniques parisiennes et des chroniques théâtrales dans L’Ordre de Paris, dont le tirage est très faible ; quelques articulets dans une minable feuille de chou ariégeoise, à la diffusion confidentielle ; et une poignée d’articles dans Le Gaulois, dont l’écho, certes bien supérieur, ne s’en limite pas moins, pour l’essentiel, au gratin. Tout le reste de sa production est parue anonymement (éditoriaux de L’Ordre de Paris, « Journée parisienne » du Gaulois), ou sous le nom de ses employeurs successifs (Dugué de la Fauconnerie, Saint-Paul et Arthur Meyer), ou sous pseudonyme (il signe Gardéniac ses « Petits poèmes parisiens » de 1882). Rien donc, dans sa production journalistique pourtant abondante, qui lui confère le moindre prestige ni la moindre notoriété : il lui faudra attendre encore quatre mois pour que le scandale du « Comédien » (Le Figaro, 26 octobre 1882) le fasse sortir de l’obscurité.

Quant à sa production littéraire, elle est encore nulle et non avenue, même s’il a déjà rédigé La Gomme, qui paraîtra beaucoup plus tard sous le nom de Félicien Champsaur, L’Écuyère, publié sous le nom d’Alain Bauquenne, et sans doute d’autres pièces et romans écrits comme ”nègre” et parus sous diverses signatures, mais qui pour autant ne sont nullement mis à son actif. De sorte qu’il se sent les mains vides et qu’il a l’impression d’avoir complètement raté sa vie, alors qu’il caressait, dans sa jeunesse, bien « d’autres ambitions ». On comprend qu’il ait dû avoir fort envie de s’écrier, comme son misérable double Jacques Sorel d’« Un raté » : « Je voudrais aujourd’hui reprendre mon bien ; je voudrais crier : “Mais ces vers sont à moi ; ce roman, publié sous le nom de X, est à moi ; cette comédie est à moi.” On m’accuserait d’être fou, ou un voleur. »

Pour ne plus se sentir un « raté », frustré de sa paternité littéraire, il va lui falloir franchir deux étapes : d’abord, mettre fin à la prostitution politico-journalistique qui a été la sienne pendant douze ans, et mettre dorénavant sa plume au service de ses propres valeurs (c’est ainsi qu’il commence, à l’automne 1884, sa longue campagne pour les artistes novateurs dans ses Notes sur l’art de La France) ; ensuite, publier des œuvres littéraires sous son propre nom : ce ne sera le cas qu’avec ses Lettres de ma chaumière, en novembre 1885, et surtout avec Le Calvaire, qui paraîtra en novembre 1886, alors que le pseudo-débutant sera arrivé à l’âge canonique de 38 ans 1/2.

Voir aussi les notices Négritude et Prostitution.

 

P. M.

           

Bibliographie : Sharif Gemie, « Un raté. Mirbeau, le bonapartisme et la droite »,  Cahiers Octave Mirbeau, n° 7, pp. 75-86 ; Pierre Michel, « Les débuts d’un justicier », préface des Premières chroniques esthétiques, Presses de l’Université d’Angers, 1996, pp. 5-17 ; Pierre Michel,,  « Quelques réflexions sur la “négritude” », Cahiers Octave Mirbeau, n° 12, mars 2005, pp. 4-34.

 


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