Thèmes et interprétations

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Terme
SACRALISATION

SACRALISATION

 

            Sacraliser, c’est conférer un caractère sacré, donc intouchable et tabou, à quelque chose qui est d’ordinaire considéré comme profane, dans une société donnée. Pour un écrivain comme Mirbeau, qui s’emploie à déconstruire toutes les valeurs de la société bourgeoise et de l’économie capitaliste, la sacralisation est le complément indispensable de la désacralisation (voir la notice) : s’il profane nombre de valeurs considérées comme sacrées dans la société de son temps, c’est aussi pour pouvoir leur substiturer d’autres valeurs, auxquelles il entend conférer un caractère sacré, qui les mette hors d’atteinte du profanum vulgus et qui puisse en retour susciter le respect.

            Pour Mirbeau, il semble que trois choses, au moins, soient ainsi sacralisées : la nature en général, et tout particulièrement les fleurs, pour lesquelles il a une véritable « religion », selon la formule d’Albert Adès ; l’amitié, qui est de sa part l’objet d’un culte, d’où certaines de ses déceptions, quand l’ami sur lequel il a jeté son dévolu et sa vénération n’est pas à la hauteur de ses exigences (par exemple, Paul Bourget, Jean-François Raffaëlli, et même, sur le tard, son confident Paul Hervieu) ; et surtout l’art, domaine où trônent les dieux qu’il s‘est donnés : au premier chef Auguste Rodin et Claude Monet, mais aussi Vincent Van Gogh, Camille Pissarro, Paul Cézanne et Camille Claudel.

            Bien sûr, le mot “art” est ambigu, et, pour lever tout risque de confusion, il convient de préciser que l’art que vénère Mirbeau, celui qui suscite en lui une émotion esthétique hors de la portée du commun des mortels, n’a évidemment rien à voir avec la production commerciale des fabricants de grandes machines historiques, ou de portraits aussi insignifiants que des « reproductions photographiques », ou encore de jolies statuettes décoratives à destination des salons bourgeois. Il ne s’agit là que de mystifications grossières, dont la légitimation tient à l’organisation de l’art officiel, à base de Salons, d’écoles des beaux-arts et de grotesques médailles prétendument honorifiques : elles sont tout juste bonnes à susciter le respect des masses crétinisées pour ceux qui ont les moyens financiers de s’offrir, à prix d’or, ces signes extérieurs de richesse et qui prétendent, en conséquence, avoir le monopole du bon goût.

            À ces mystifications, socialement déplorables et esthétiquement calamiteuses, qui constituent autant de profanations de l’Art, Mirbeau oppose le « mystère divin de l’art » véritable, seul apte à faire ressentir « le frisson de la vie ». Les grands artistes créateurs, du passé et du présent, sont les seuls qui nous permettent d’en avoir un aperçu. L’Art, c’est en effet ce qui permet à « quelques personnalités très rares » d’accéder à des domaines inaccessibles à l’individu moyen, livré à ses seules ressources, de voir et de sentir ce que les autres jamais ne verront ni ne sentiront, et de découvrir, par le truchement de leur art, ce qu’il y a derrière et au-delà des apparences superficielles des êtres et des choses. Dans un deuxième temps, par leurs œuvres, ces artistes, dotés d’une personnalité exceptionnelle, ouvrent à leur tour aux « âmes naïves » –  c’est-à-dire les individus qui, par leur résistance, ou grâce à leur force d’inertie, n’ont pas été complètement laminés par la crétinisation programmée – le chemin de la découverte du Beau et de l’émotion esthétique.

Curieusement, quand il parle de l’art et tente de faire sentir son incomparable grandeur, un matérialiste radical tel que Mirbeau semble bien souvent flirter avec l’idéalisme platonicien ou baudelairien. Mais, bien sûr, il est alors dûment laïcisé : Mirbeau ne croit nullement à l’existence d’un Beau et d’un Bien planant dans le ciel des Idées.

P. M.

           

Bibliographie : Nella Arambasin, « La Critique d’art d’Octave Mirbeau, ou l’élaboration d’une anthropologie religieuse », Cahiers Octave Mirbeau, n° 4, 1997, pp. 197-223.


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