Thèmes et interprétations

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Terme
SCANDALE

Le mot « scandale » est profondément ambigu, puisqu’il résulte de la publicité donnée à des choses considérées comme immorales ou criminelles, mais d’ordinaire passées sous silence, sans qu’il soit toujours facile de faire le départ entre le choc produit par les choses répréhensibles elles-même, que l’on découvre avec horreur, et celui provoqué par la révélation de ce qui avait été soigneusement occulté. Et Mirbeau a été victime de cette ambivalence du mot. À cause de sa pédagogie de choc et de son souci de l’efficacité maximale par  la médiatisation à outrance de tel ou tel de ses combats, il a pu en effet être soupçonné de rechercher le scandale. Sa carrière de journaliste et d’écrivain en a ainsi été jalonnée, depuis l’affaire du  Comédien en octobre 1882 jusqu’à celles de La Mort de Balzac, en novembre 1907, et du Foyer en 1908, en passant par le scandale du chapitre II du  Calvaire (1886), ou de romans comme L’Abbé Jules, (1888) ou Le Journal d’une femme de chambre (1900), qui ont délibérément choqué une partie non négligeable du lectorat et de la critique.

Il conviendrait toutefois de faire un distinguo entre le scandale recherché pour lui-même, histoire de se faire mousser et d’acquérir à bon compte une notoriété qui eût été plus difficile à conquérir par des moyens moins médiatiques, et le scandale causé par les sujets traités, lorsque l’écrivain transgresse un tabou et dévoile des secrets soigneusement camouflés, ce qui met à mal la respectabilité des institutions et des gouvernants. Dans Le Comédien ou Les Grimaces (1883), quelle que soit la sincérité du journaliste qui fait ses gammes, la part de médiatisation volontaire est probable, à une époque où, après une dizaine d’années de besognes obscures, pour des employeurs successifs, dans L’Ordre de Paris, L’Ariégeois ou Le Gaulois, Mirbeau aspire à être enfin  reconnu dans le monde de la presse. En revanche, il est clair que la démystification de l’armée et de l’idée de patrie dans Le Calvaire, la dénonciation des viols commis par des prêtres dans des collèges religieux, dans Sébastien Roch, ou encore celle de la charité-business dans Le Foyer, sur la scène de la Comédie-Française,  obéissent à de saines préoccupations éthiques et visent à porter à la connaissance du plus grand nombre des maux de la société française qu’il convient d’éradiquer. Quant au Jardin des supplices, ce cauchemar d’un juste, entre Goya et Kafka, il nous fait apparaître la vie comme un enfer et l’organisation sociale comme une monstruosité et une aberration institutionnalisées, ce que la majorité des lecteurs n’a pas envie d’entendre : le scandale procède, en l’occurrence, d’un refus de regarder Méduse en face. Dans tous ces exemples, ce n’est pas le contenu des romans qui est scandaleux, mais c’est bien, en vérité, la réalité qui se trouve ainsi dévoilée à la faveur d’une fiction ! Le mal est dans les choses elles-mêmes, et non dans les œuvres littéraires qu’elles inspirent.

On le sait, malheur à celui par qui le scandale arrive ! À force d’obliger ses lecteurs à découvrir ce que leurs bonnes digestions leur interdisaient de voir, alors que, pour la plupart, ils n’aspiraient qu’à conforter leur bonne conscience, c’est Mirbeau lui-même qui a fini par devenir scandaleux, comme s’il était responsable des horreurs que ses œuvres ne font que refléter : et le tour est joué... On le lui a fait chèrement payer après sa mort, quand il n’était plus là pour faire « trembler les puissants à la façon des prophètes » , selon la formule de Thadée Natanson.

P. M.


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