Thèmes et interprétations

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Terme
THEATRE POPULAIRE

Mirbeau a mené une lutte brève, mais dense, en faveur du théâtre populaire, au sein du comité réuni par la Revue d’Art Dramatique, en novembre 1899. À ses côtés, Romain Rolland, Maurice Pottecher, Louis Lumet, Maurice Bouchor, Camille de Sainte-Croix, Lucien Descaves ou Émile Zola, tous promoteurs d’une démocratisation du spectacle. L’objectif qui les rassemble : la construction à Paris d’un Théâtre du Peuple, pour lequel un concours doté d’un prix est lancé par la revue. Mirbeau rencontre donc, avec certains membres du comité, certaines personnalités du gouvernement, telles que Georges Leygues, ministre des Beaux-Arts, et Adrien Bernheim, inspecteur des Beaux-Arts et commissaire du gouvernement auprès des théâtres subventionnés. Ces derniers deviennent ses « têtes de Turcs » dans les articles particulièrement corrosifs qu’il consacre à la question du théâtre populaire dans la presse.

Mirbeau y affirme également une solide théorie du théâtre populaire, qui s’apparente pour lui au politique, au social, comme à la rénovation de l’art dramatique. En effet, le théâtre populaire constitue pour lui une émanation de la démocratie, un vecteur d’éducation culturelle et civique pour la population. Rappelant que le théâtre possède, par essence, une mission sociale, il refuse de le voir réservé à une élite et lutte pour l’édification d’un vaste lieu, égalitaire dans son architecture. Il s’oppose par ailleurs, finalement, au principe du subventionnement, après l’avoir recherché au sein du comité de la Revue d’Art Dramatique : « La participation de l’État, c’est la routine, le fonctionnarisme, l’étranglement » (La Revue bleue, 5 avril 1902). La subvention engendre selon lui d’inacceptables compromissions et entrave la liberté créative, d’autant plus que l’État et la Ville de Paris, en dépit de l’intérêt affiché, n’ont guère passé le stade des vœux pieux.

Lorsqu’il participe au Congrès international de l’Art théâtral, en juillet 1900, Mirbeau déplore que la section chargée de réfléchir aux modalités de fondation d’un théâtre populaire n’ait pas eu de répercussions au sein des instances supérieures du pays. Et il manifeste son hostilité au projet de Bernheim quant aux représentations à bas tarifs des spectacles émanant des quatre subventionnés. L’auteur dramatique, s’il ne dédaigne pas l’impact éducatif des chefs-d’œuvre du patrimoine, opte néanmoins pour la création d’un répertoire nouveau et spécifiquement composé pour le peuple : « L’art doit être socialiste, s’il veut être grand » (L’Écho de Paris, 22 avril 1891). D’où les tensions avec certains membres du comité, hostiles à toute forme de politisation du théâtre, comme Maurice Pottecher. Même si les membres du comité sont dreyfusards, à l’instar de Mirbeau.

C’est que ce dernier est aussi un auteur, qui a produit des pièces à forte teneur sociale et politique, telles que Les Mauvais bergers (1897), L'Épidémie (1898) ou encore Le Portefeuille, monté en 1902 par un autre grand défenseur du théâtre populaire, Firmin Gémier. Pièces qui trouvent logiquement asile dans les programmes de théâtres syndicalistes et anarchiste comme des universités populaires. En 1900, il joue personnellement L’Épidémie à la Maison du Peuple de Montmartre, lieu susceptible d’accueillir favorablement l’écho satirique et politique de l’œuvre. En 1903, on retrouve Mirbeau dans la liste des personnalités patronnant le Théâtre populaire de Belleville, initiative privée destinée à concrétiser un idéal toujours plébiscité par les autorités, mais jamais encore réellement mis en œuvre.

Mirbeau n’épargne donc pas les élus socialistes dans les diatribes qu’il rédige pour la presse ; il souligne leur inertie, comparable à celle de l’ensemble du gouvernement. Inertie qui explique peut-être son désintérêt pour la question du théâtre populaire, qui n’occupe que quelques années de son activité journalistique et son amertume : « En France, ce n’est qu’à force de dire et de redire les choses qu’on parvient à les faire entrer dans la cervelle des gens… C’est dur, mais cela finit toujours par rentrer… Il suffit d’attendre… un siècle ou deux » (Le Journal, 9 février 1902). Cependant, la question de la démocratisation du spectacle ne peut se résumer à cette période « visible ». Plus profondément, elle apparaît dans l’écriture dramatique de Mirbeau, dans ses textes politiques, dans sa croyance viscérale en une nécessaire reconsidération du théâtre. Mercantile et boulevardier, le théâtre se doit, selon lui, de retourner à son essence, celle d’un art politique et social, divertissant, certes, mais sans occulter sa mission éducative et citoyenne : « C’est une affaire où il n’y a pas d’affaire à faire ! » (Le Journal, 28 janvier 1900). Le théâtre populaire, ainsi, synthétise les engagements politiques et artistiques de Mirbeau, en dehors de son activité au sein du comité, car il constitue pour lui la voie de rénovation de l’art et des rapports sociaux.

N. C.

 

Bibliographie : Georges Bourdon, « M. Octave Mirbeau », Revue bleue, 12 avril 1902 ; Nathalie Coutelet, « Octave Mirbeau propagandiste du théâtre populaire », Cahiers Octave Mirbeau, n° 11, 2004, pp. 185-203 ; Nathalie Coutelet, «Octave Mirbeau et le théâtre populaire », in Actes du colloque de Cerisy Octave Mirbeau : passions et anathèmes, Presses de l'Université de Caen, décembre 2007, pp. 103-115 ; Nathalie Coutelet, « Le Théâtre Populaire de la Coopération des Idées », Cahiers Octave Mirbeau, n° 15, 2008, pp. 139-150 ; Octave Mirbeau, « Le Théâtre Populaire », Le Journal, 28 janvier 1900 ; Octave Mirbeau, « Le Théâtre Populaire », Le Journal, 9 février 1902.

 

 

 

 

 


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