Pays et villes

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Terme
BELGIQUE

« Tout le monde sait qu’il n’y a pas de poètes en Belgique, qu’il n’y a rien en Belgique, et même que la Belgique n’existe pas…La Belgique n’est qu’une plaisanterie inventée, un jour de festin par M. Camille Lemonnier : une mauvaise plaisanterie. » Cette sentence péremptoire, signée Octave Mirbeau au bas d’un article « Propos belges », publié par le Figaro le 26 septembre 1890, aurait pu être prononcée un quart de siècle plus tôt par Charles Baudelaire. Le grand poète maudit avait fait pire, plus injurieux encore. Il avait des excuses : il était malade, poursuivi par ses créanciers et désespérément à la recherche d’un éditeur pour ses poèmes en prose ; ses conférences ennuyaient un maigre public bruxellois. La crise qui l’avait terrassé en l’église Saint-Loup de Namur lui avait rendu la Belgique définitivement antipathique. Seul, son ami Félicien Rops échappait à sa haine ( « Pas d’artiste excepté Rops », in Pauvre Belgique). Il faut reconnaître que le jeune état belge ne brillait pas par sa littérature à l’époque.

Léon Bloy, lui, n’avait aucune de ces excuses, vingt ans après Mirbeau, quand il écrivait dans son journal, le 2 février 1910 : « Les Belges… ces banlieusards de la littérature… Il y a des jours où je me demande si la Belgique existe réellement, si elle n’a pas été inventée. » Sans doute s’était-il souvenu de l’article du Figaro et en avait-il reproduit les termes, presque mot pour mot ; sans comprendre l’humour du grand imprécateur cependant. Évidemment ! Car Mirbeau ironisait bien sûr en 1890, et vilipendait, de sa plume grinçante, les réactions nombrilistes de ses compatriotes, jeunes ou vieux – Paul Adam notamment –, qui n’avaient pu supporter l’éloge dithyrambique qu’il avait fait, un mois auparavant, dans le même Figaro, d’un jeune écrivain inconnu de tous, sauf de Mallarmé, et qui avait le grand défaut de n’être pas Français. Pire, il était Belge, Flamand de surcroît.

Mirbeau, une fois de plus, s’était montré visionnaire. Il avait dû bien rire, en 1911, après avoir appris que le jury suédois avait attribué le prix Nobel de littérature à Maurice Maeterlinck. Il est étonnant qu’à cette occasion il n’ait pas songé à rappeler à ceux-là qu’il avait eu du nez. Était-ce de la modestie ? Peut-être, mais la maladie l’avait depuis longtemps contraint à se retirer des tribunes de la presse.

Mirbeau connaissait déjà la Belgique pour y avoir été au moins plusieurs fois. Dans lesdits « Propos belges », il précisait : « Je ne puis oublier, tout à fait ce que j’ai appris autrefois, ce que j’ai vu, ce qui m’a ému, ce qui m’a charmé. Bruxelles, Anvers, Bruges, Liège, Gand, toutes ces merveilles où dort tout un passé de gloire, où rayonne encore l’âme éternelle et protectrice de tant de génies : les Van Eyck, les Rubens, les Van Dyck, etc., comment admettre que tout cela n’est qu’un rêve ou qu’une blague de M.Camille Lemonnier ? » Le reste de son article était de la même eau à l’égard d’une Belgique «  terre unique où ceux d’entre nous, abreuvés d’amertumes, écœurés d’injustices, lassés de luttes stériles et sans espoir, ont eu cette joie si délicieuse et si grave de se sentir enfin compris, de se sentir enfin aimés ? » Il pensait à Mallarmé, J.-K. Huysmans, Verlaine (qui était un peu, et même beaucoup belge quand même !), et Villiers de l’Isle-Adam.

Le 16 juin 1880, comme correspondant du Gaulois, il avait fait à Bruxelles le compte rendu de l’inauguration de l’Exposition Universelle, la première d’une longue série en Belgique. Elle se déroulait sur le champ de manœuvres militaires d’Etterbeek et on y célébrait le cinquantième anniversaire de l’indépendance du pays. L’arc de triomphe n’était pas encore construit et le parc dit du Cinquantenaire n’était pas encore aussi vaste et arboré tel que Mirbeau le verrait, vingt-cinq ans plus tard, lors de son voyage dans sa Charron 628-E8. Ce compte-rendu du 16 juin, publié dans le volume 1 de la Correspondance générale, est à l’adresse d’Arthur Meyer, directeur du Gaulois et sous signature de Tout-Paris. Mirbeau y est très élogieux pour l’organisation et la réussite du spectacle, qu’il compare à celui de l’Exposition Universelle Paris le 1er  mai 1878… sauf la pluie qui avait épargné la capitale belge !

En septembre 1885, Octave Mirbeau entamait une correspondance avec Félicien Rops qu’il avait rencontré dans l’atelier de Rodin. Le peintre et caricaturiste namurois, ami de Baudelaire qui l’avait visité à Namur en 1864, était installé depuis plus de dix ans à Paris, où il séjournait entre de nombreux voyages en Hongrie, Espagne, États-Unis et Canada. Il est alors au sommet de son art et l’illustrateur le mieux payé de Paris ; il illustra notamment Mallarmé,  les Diaboliques de Barbey d’Aurevilly et Péladan. Mirbeau avait également eu le projet de faire illustrer certains de ses contes cruels par le maître belge. Le projet n’aboutira pas malgré l’accord et les essais de Rops. Mirbeau considérait Rops comme un des plus grands esprits de son époque ; il en a fait le portrait élogieux dans un article du Matin du 19 février 1886. Dans  Le Calvaire (1886), premier roman autobiographique signé Mirbeau et écrit à cette époque, le peintre Joseph Lirat est largement inspiré par la personnalité de Félicien Rops (voir Hélène Védrine : « L’influence du  peintre de la vie moderne »). Mirbeau  enverra à Rops un exemplaire dédicacé de l’édition originale du Calvaire en novembre 1886. Leur relation épistolaire en restera là, Rops rentrant pour un temps en Belgique. Le musée Félicien Rops à Namur rassemble une grande partie de sa production (www.museerops.be).

Mirbeau appréciait un autre artiste belge, Constantin Meunier, dont il avait fait connaissance par l’intermédiaire de Rodin et de Rops, en 1885 également. Camille Lemonnier avait fait découvrir au jeune peintre bruxellois la région de Charleroi et du borinage, terre de charbonnages et grandes industries métallurgiques. Meunier s’était alors consacré principalement à la sculpture, et le prolétariat, le peuple travailleur était devenu sa principale inspiration. Lemonnier lui a consacré une biographie éditée à Paris chez H. Floury, en 1904. Mirbeau l’a quant à lui révélé au public parisien dans son Salon de 1886, et en a refait l’éloge lors du Salon de 1893 (« Ceux du Champ-de-Mars »,). Dans La 628_E8, il décrit le vain combat de Meunier pour la statue de Zola.

1881 a été l’année du renouveau de la littérature belge. Cette année-là, un jeune étudiant, chassé de l’université de Louvain, Max Waller, rassemblait autour de lui, à Bruxelles, un groupe d’amis épris d’une fervente passion des livres et de la poésie, et fondait la Jeune Belgique. Aux pionniers, Georges Rodenbach notamment, se joindraient très rapidement d’autres jeunes écrivains comme Verhaeren, Van Lerberghe et surtout  Maurice Maeterlinck en 1886. Ce dernier, jeune avocat gantois, ferait, à vingt-huit ans, l’objet du désormais célébrissime article d’Octave Mirbeau dans Le Figaro du 24 août 1890 qui allait véritablement le propulser au firmament   de la littérature francophone puis mondiale. Il faut relire la correspondance que Mirbeau échangea, dès le lendemain dudit article, non seulement avec le jeune écrivain belge, mais avec d’autres écrivains, comme Mallarmé ou Hervieu, pour se rendre compte de l’impact énorme fait par ce coup d’éclat médiatique. Mirbeau a pris dès lors la mesure du génie de Maeterlinck, et ne cessera de l’aimer : dès le 8 septembre 1890, quinze jours après avoir découvert La Princesse Maleine, il rendait compte de son admiration, encore plus grande, pour L’Intruse et Les Aveugles, petits drames en un acte qui viennent d’être réédités, pour la première fois depuis près de cent ans, avec Les sept Princesses, sous le titre Petite trilogie de la mort, dans une édition critique, première du genre, de cet ensemble qui fit date dans l’histoire théâtrale. Il en sera de même pour Pelléas et Mélisande en 1892 et la Vie des Abeilles en 1900. Maeterlinck ne sera pas en reste et encensera son aîné pour Les Mauvais Bergers en mars 1898.

Georges Rodenbach était l’aîné de sept ans du jeune Maeterlinck. Il fit ses études à Gand, avec Émile Verhaeren, dans ce même collège Sainte-Barbe où devaient se rencontrer plus tard Maurice Maeterlinck, Charles Van Lerberghe et Grégoire Le Roy. Docteur en droit, lui aussi, il se consacre très tôt à la littérature, lance La Jeune Belgique avec Max Waller, y introduit ses trois plus jeunes condisciples, fait un premier séjour à Paris, où il reçoit les premiers éloges de François Coppée et Victor Hugo, puis revient en Belgique pour se mêler à la bataille littéraire qu’y livraient ses amis. Il fait son stage au barreau chez Edmond Picard, prononce l’éloge de Camille Lemonnier lors d’un banquet resté célèbre, puis s’installe définitivement à Paris en janvier 1888 comme correspondant du Journal de Bruxelles. Rodenbach fréquente alors les Mardis de la rue de Rome chez Mallarmé, le Grenier d’Edmond de Goncourt et publie en feuilleton Bruges-la-morte en février 1892 dans le Figaro. Il y rencontrera nécessairement Octave Mirbeau dont on connaît l’amitié pour Mallarmé et Goncourt et qui vient de renouer avec le Figaro à l’occasion de la première parution du Journal des Goncourt, mais ce n’est qu’à partir du printemps 1894 que les deux écrivains vont nouer des relations amicales lors d’un dîner chez les Rodenbach et surtout à propos de la représentation au Théâtre Français de la pièce du jeune belge Le Voile. Marguerite Moreno y tient le rôle principal et Léopold II, himsef  assiste à la première. Il ne s’agit évidemment pas du voile, objet des querelles actuelles, mais de celui d’une béguine et qui cache les cheveux dont rêve un jeune homme qui se retrouve tout dépité lorsqu’il les aperçoit enfin. Mirbeau n’y a pas assisté, bien qu’il ait promis d’être au moins présent à la générale ; il n’en fit aucun commentaire. Il intercédera pour que Rodenbach collabore au Figaro et en fera un éloge dithyrambique dans Le Journal du 15 mars 1896 à l’occasion de la parution des recueils de poèmes Les Vies encloses et Le Règne du silence, et surtout à la mort du poète le jour de Noël 1898, quelques semaines après le décès de Mallarmé, dans le même Journal du 1er janvier 1899. Dans le premier de ces articles, Mirbeau rappelle son affection pour la Belgique littéraire : « … n’est-il pas inutile – dussent quelques compatriotes s’alarmer de cette constatation – de redire que Georges Rodenbach nous vint de Belgique, de cette Belgique décriée, et qui, pourtant, avec l’auteur de Vies encloses, nous donna M.Maurice Maeterlinck et M.Émile Verhaeren, c’est-à-dire les trois noms les plus purs, et les plus retentissants, et les plus définitifs de la jeune poésie française ? »

Peu de Belges auront lu ces derniers éloges quand les passions se déchaîneront en Belgique contre les propos « au second degré », mais aussi  contre les vérités enfin révélées par Mirbeau dans La 628-E8 (1907).  1905 est une année cruciale en Belgique où on atteint le sommet de la polémique opposant les partisans de roi, maître du Congo, et les adversaires, de plus en plus nombreux, d’un système esclavagiste et spoliateur. Mirbeau y débarque en Charron dernier modèle ; il passe par Bruxelles et Anvers avant de visiter la Hollande et l’Allemagne. En 1907 il publie un récit de son voyage : Bruxelles, son roi, et le catholicisme omniprésent en Belgique n’y sont pas épargnés. Cette « autofiction » est un chef-d’œuvre à maints égards ; peu le comprendront en Belgique notamment. Les réactions seront virulentes, telles celles de  Pierre Broodcoorens dans La Belgique artistique et littéraire de février 1908 . Même Maurice Maeterlinck, dans un article schizophrénique, mais néanmoins subtil, y va de son petit couplet patriotique et réparateur dans Le Figaro du 30 décembre 1907 intitulé « Chez les Belges 

Au total pourtant, peu de Français ont aimé la Belgique comme Mirbeau et peu l’ont bien comprise comme lui, en lui disant ses vérités. Les plus terribles sont à présent sorties de dessous l’éteignoir qui les couvrait depuis un siècle. C’est un Belge qui vous le dit.

M. Bo.


BELLE-ÎLE

C’est en novembre 1886 que Mirbeau et sa compagne Alice Regnault sont allés passer cinq jours à Belle-Île, pour rendre visite à l’ami Claude Monet, qui y travaillait à une série de toiles sur les côtes rocheuses de l’île. Arrivant de Noirmoutier, ils ont dû suivre un itinéraire un peu compliqué pour parvenir au Palais, avec plusieurs heures de retard. À cause du mauvais temps, qui va prolonger davantage encore leur voyage de retour et en faire une épreuve délicate, ils ont dû y rester deux jours de plus que prévu. Mirbeau manifestera son admiration pour les toiles de Monet, exposées en mai 1887, en affirmant qu’il a « véritablement  inventé la mer, car il est le seul qui l’ait comprise ainsi et rendue, avec ses changeants aspects, ses rythmes énormes, son mouvement, ses reflets infinis et sans cesse renouvelés, son odeur » (« L’Exposition internationale de la rue de Sèze », Gil Blas, 13 mai 1887). Pour sa part, il rapportera de ce premier séjour la matière d’une nouvelle consacrée au hameau de Kervilahouen, peuplé de quelques marins dotés d’un admirable courage auquel il rendra hommage (« Kervilahouen », Revue indépendante, janvier 1887). 

Impressionnés par la beauté sauvage de l’île, Octave et Alice sont retournés à Belle-Île à la mi-juin 1887, au lendemain de leur mariage en catimini, à Londres, en quête d’une maison où ils puissent être à l’abri des cancans parisiens. Ils n’en trouvèrent point à leur plaire, au cours des trois semaines qu’ils y passèrent,  et, pour finir, s’installèrent à Kérisper, près d’Auray. Mais, de Belle-Île, Mirbeau rapporta deux corneilles à moitié apprivoisées, qui lui inspirèrent un conte d’un profond pessimisme existentiel, « Les Corneilles » (Gil Blas, 25 octobre 1887).

P. M.


BOURBON-L'ARCHAMBAULT

 

Petite ville de l’Allier, située au cœur du bocage bourbonnais, dotée d’une forteresse et  disposant de sources thermales exploitées depuis l’antiquité. Elle comptait 3 400 habitants à l’époque de Mirbeau (2 600 aujourd’hui).

C’est à Bourbon-l’Archambault qu’a abouti la randonnée de cinq jours qu’a effectuée Mirbeau en juillet 1884 et qu’il évoque dans Sac au dos. Après «  les interminables routes » et « les fatigues épuisantes » de cette expédition pédestre, c’est dans une piscine de cette station thermale qu’il « renaï[t], à la vue de ce parc plein d’ombre, de ce château superbe qui protège la ville, de cette ville tranquille et décente où l’on a toutes les joies des stations balnéaires, sans être gêné par les insupportables promiscuités des stations de jeu ». Mais il est visiblement trop fatigué pour nous en dire plus...

P. M.


BRAY-LÛ

Bray-Lû, nommé aujourd’hui Bray-et-Lû, est un petit village du Vexin, situé dans la vallée de l’Epte, à 70 km de Paris, 17 km de Vernon et 30 km de Cormeilles-en-Vexin. On y comptait environ 400 âmes vers 1900 (750 aujourd’hui).

Mirbeau y a villégiaturé pendant l’été 1902, après avoir traversé largement la France en automobile dans le courant du mois de juillet. Arrivé sans doute début août, il y est resté, semble-t-il, jusqu’à la mi-octobre. Il n’y a pas été heureux du tout : sa  femme neurasthénique a continué de lui donner des inquiétudes, et lui-même a été bien malade, incapable de lire et d’écrire – alors qu’il espérait avancer dans Un gentilhomme –, et il a été long à se remettre. Là-dessus est arrivée la nouvelle de la mort soudaine d’Émile Zola, qui l’a vivement frappé au moral et obligé de surcroît à se rendre deux fois à Paris, pour la veillée mortuaire, le 29 septembre, et pour les obsèques, le 5 octobre, malgré son lamentable état physique et mental. Il semble alors de nouveau au fond de l’abîme : « Ah ! je vous jure que la vie ne m'a pas été souriante et, si elle devait se prolonger de la sorte, j'aimerais mieux m'en aller dans le grand tout », écrit-il à Édouard Noël.

P. M.

BREDA

Breda est une ville des Pays-Bas, située dans le Brabant septentrional et proche de la Belgique. Aujourd’hui peuplée de quelque 170 000 habitants, elle n’en comptait que 30 000 au début du vingtième siècle. Elle a été rendue célèbre par une toile de Velasquez connue sous le nom des Lances, ou La Reddition de Breda – advenue en 1624.

Mirbeau y est passé au printemps 1905, lors du périple en voiture qu’il évoque au chapitre V de La 628-E8 (1907). Arrivant d’Anvers, il est déçu par cette ville qu’il ne souhaitait visiter que dans le vain espoir d’y retrouver des traces de Van Gogh : « Breda est une ville tout à fait quelconque et tellement insignifiante qu'il m'affole de penser qu'elle ne soit pas belge... Je ne la mentionnerais pas si, dans sa cathédrale, l'emphase tout italienne d'un sculpteur bolonais ne s'était avisée de faire, au-dessus d'un tombeau, porter les armoiries de je ne sais quel petit prince de Nassau [Engelbert], tout simplement, par Regulus, Jules César, Hannibal et Philippe de Macédoine. » Mais, ajoute-t-il, au prix d’une erreur factuelle, « Breda est la ville où naquit Vincent Van Gogh » – lequel est né en réalité dans le presbytère de Groot-Zundert. Or, comme son ami Rodin, Mirbeau croit « à l'influence profonde et secrète du milieu sur la direction et la destinée d'un esprit » : « Je crois que les choses natales laissent une empreinte durable sur le cerveau et qu'il est très difficile de s'en affranchir, plus tard. » Mais c’est en vain qu’il cherche cette « empreinte » : à son grand étonnement, il  « ne trouve aucune affinité entre Vincent Van Gogh et Breda », où, d’ailleurs, personne n’a gardé le moindre souvenir du peintre. Peu après, à Rotterdam, Mirbeau apprend « qu'un parent très proche de Van Gogh vivait à Breda, entouré de la plus belle collection qui soit de ses œuvres », mais « ne porte pas le nom de Van Gogh » : « Voilà pourquoi “Van Gogh, ça ne leur disait rien” ».

P. M.



Bibliographie : Octave Mirbeau, La 628-E8, Fasquelle, 1907, chapitre V. 

 

 


BRESIL

La présence d’Octave Mirbeau au Brésil est certes modeste, mais elle n’est pas nulle pour autant. En dehors des traductions importées du Portugal, il se trouve en effet que trois de ses romans ont été traduits et publiés au Brésil même. À une date indéterminée, sans doute vers 1910, a paru, à Rio de Janeiro en même temps qu’à Lisbonne et Paris, O Padre Julio,  édité par les  Livrarias Aillaud & Bertrand, dans une traduction d’Alves Bastos, qui a l’air d’être complète ; il semble qu’il y ait eu au moins deux rééditions. Dans les années 1940 a été publiée, également à Rio, par les éditions Casa Mandarino, une traduction du Jardin des supplices, O Jardim dos suplicios, dans une traduction de A. S. Costa. En 1947, c’est au tour du Journal d’une femme de chambre, qui paraît à São Paulo sous le titre infidèle, mais aguichant, de Segredos de alcova [“Secrets d’alcôve”], aux éditions Prometeu, dans une collection significativement baptisée « Eros », et dans une traduction d’Alfredo Ferreira ; le volume a été réédité la même année 1947, puis en 1953 et en 1956, et enfin, semble-t-il, en 1998.  Plus récemment, un extrait du roman,  intitulé « A nova empregada » [“la nouvelle employée”] et traduit par Celina Portocarrero, figure dans une anthologie érotique, As 100 melhores histórias eróticas da literatura universal [“les 100 meilleures histoires érotiques de la littérature universelle”], parue en 2002 à Rio de Janeiro, aux éditions Ediouro (pp. 340-345). 

Par ailleurs, La Grève des électeurs (A greve dos eleitores), traduit par Plinio Augusto Coelho, fait partie d’une autre anthologie, anarchiste celle-là : intitulée Os Anarquistas e as eleições [“les anarchistes et les élections”], elle a paru en 2000, à Saõ Paulo, aux éditions Imaginario, dans la collection « Escritos anarquistas » [“écrits anarchostes”].

Concernant l’accueil fait à Mirbeau, il convient tout d’abord de signaler le chapitre dithyrambique que lui a consacré, en 1926, João Pinto da Silva, dans un volume publié à Porto-Alegre par la Livraria do Globo  Vultus do meu caminho : estudos e impressiões de literatura [“visages de mon chemin : études et impressions de littérature”]. L’auteur y passe en revue la galerie des caricatures mirbelliennes et voit en Mirbeau un « créateur titanique », un homme d’une bonté, d’une générosité et d’ « un amour universel » exceptionnels, et « une des plus grandes figures littéraires de ce  siècle ». Deux écrivains contemporains se sont également intéressés à Mirbeau. D’une part le poète  aveugle Glauco Mattoso : il a composé un sonnet « naturaliste » directement inspiré par Le Jardin des supplices. (voir « Soneto 104 naturalista ») ; et il a commenté le roman à deux reprises : en 2001, en traitant de l’image des prisons dans la littérature et au cinéma (« Aulas de jaulas – O que a literatura e o cinema podem dizer sobre a prisão ? ») ; puis, en 2004, en présentant l’art suprême de la torture tel que l’a évoqué Mirbeau (« Cuando o ceguinho queima a lingua »). D’autre part, l’essayiste et polémiste Janer Cristaldo : il évoque une première fois le même roman de Mirbeau dans son roman autobiographique de 1986, Ponche Verde, et il y voit une anticipation des dictatures “gorilles” d’Amérique latine ; une vingtaine d’années plus tard, revenant sur le jardin exotique imaginé par Mirbeau,  il fait un rapprochement entre les supplices chinois, jugés barbares, et les instruments de torture, bien européens, utilisés par l’Inquisition et qu’il a pu voir exposés dans un musée de Tolède (« Nosso jardim em Toledo », 2008).

P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel, « Glauco Mattoso et Le Jardin des supplices », Cahiers Octave Mirbeau, n° 12, 2005, pp. 286-290 ; Pierre Michel, « Janer Cristaldo et Le Jardin des supplices »,  Cahiers Octyave Mirbeau, n° 15, 2008, pp. 192-200.

BRETAGNE

Octave Mirbeau découvre la Bretagne en octobre 1859, à onze ans, au prestigieux collège jésuite Saint-François-Xavier de Vannes. Son père, officier de santé à Rémalard, dans le Perche, soucieux de promotion sociale et de bonne éducation pour son fils, l'y a inscrit comme interne.

Le 9 juin 1863, il est renvoyé. Officiellement pour ses mauvaises notes. Officieusement, un jésuite, son maître d'étude, aurait tenté de le violer. Mirbeau racontera trente ans après, dans son roman Sébastien Roch (1890), sa vie au collège, en pleine période de cléricalisme et d'anticléricalisme militants, sur fond de république encore fragile. Il n'oubliera jamais « ces pourrisseurs d'âmes » qui enchaînent « l'esprit de l'enfant pour mieux dominer l'homme plus tard » et qui auront pourtant, malgré eux, façonné l'esprit vengeur de notre grand polémiste. Quoi qu'il en soit, Mirbeau ne se lassera jamais de la « farouche et mystérieuse beauté » des paysages maritimes.

C'est la Bretagne qu'il choisit à la veille de Noël 1883, pour guérir de son fiasco passionnel d'avec Judith Vimmer, qu'il décrira dans un autre roman Le Calvaire (1886) : « Je vais à l'extrême pointe du Finistère dans les paysages du Raz et de Plogoff essayer de me guérir de Paris...»

Il s'installe à Audierne chez le légendaire Antoine Batifoulier « au ventre pantagruélique », avant d'élire domicile chez Bidault, « le personnage le plus laid d'Armorique ». Comme plus tard son abbé Jules pour apaiser ses sens, il passe le plus clair de son temps à marcher dans la campagne, à escalader les rochers et à regarder la mer « tragique et splendide » . Mieux que la plaine, la montagne ou la forêt, la mer est « l'amie des inconsolés ». Peu à peu, il se dégrise de « l'alcoolisme de l'amour » et retrouve le chemin des hommes. Il fréquente le café Malterre, rencontre le poète Frédéric Le Guyader, accompagne les pêcheurs en mer, visite Quimper, « la ville la plus extraordinaire du monde », et se lance même dans la politique locale aux côtés du candidat... réactionnaire, contre le républicain, qui est battu aux élections!

En juillet 1884, Mirbeau regagne Paris, pour des raisons alimentaires. Au contact de la nature bretonne, sa sensibilité s'est aiguisée. Acquis aux novateurs de la peinture impressionniste, il commence une grande carrière de critique d'art et puise largement dans ses souvenirs bretons les sujets de plusieurs Lettres de ma chaumière : « Les Eaux muettes », « Audierne », « Un poète local »...

Mirbeau retrouve la Bretagne en novembre 1886, quand il apprend que son ami Claude Monet s'est installé à Belle-Ile pour peindre des motifs nouveaux. Avec sa compagne Alice Regnault, il visite grottes et gouffres derrière Monet et admire les toiles du peintre, remplies de vagues « qui se chevauchent l'une après l'autre, crêtées d'écume » et « qui marquent dans la carrière du maître paysagiste une phase encore inconnue ».

Avec la fin du printemps 1887, après son mariage en catimini, à Londres, avec Alice, Mirbeau, qui veut se mettre au vert pour écrire un nouveau roman, revient à Belle-Île avec sa femme pour chercher, en vain, une maison à louer à leurs goûts, qui ne sont pas modestes en matière d'habitat. Ils reviennent sur le continent et dénichent la propriété « admirable » de Kérisper, près d'Auray. « … ce pays vous enchantera ! Il n'en est pas de plus beau », écrit-il à Rodin. « Venez ici. C'est la solitude admirable et complète. Les siècles n'ont point passé sur ce coin de nature » s'adresse-t-il à Claude Monet.

Dans cette « demeure d'un chef chouan », il se lance  comme un « bagneux » dans la rédaction de L'Abbé Jules, l'un de ses meilleurs romans. Au mois de janvier 1888, les excès de travail, de tabac, conjugués à la fièvre paludéenne, ont raison de sa santé. Huit mois plus tard, virement lof pour lof, il prend conscience que le climat « malsain » d'Auray ne lui convient pas. « Quel sale pays que la Bretagne », lance-t-il dans un moment de déprime. Son séjour aura duré un an et demi.

Mirbeau ne reviendra en Bretagne qu'en septembre 1899, pour assister à Rennes au procès en révision du capitaine Dreyfus, en faveur duquel il s'est engagé, avec Zola, Clemenceau, le colonel Picquart. L'occasion est belle, pour lui, de réveiller le souvenir de ses anciens maîtres jésuites, en la personne du Père du Lac, devenu directeur de conscience du haut État-major et zélateur de l'antidreyfusisme. « Du conseil de discipline de Saint-François-Xavier au conseil de guerre de Rennes, il y a incontestablement une manière de fil rouge », observe avec pertinence Jean-François Nivet.

Ainsi, pour Mirbeau, la Bretagne aura été à la fois un refuge, une terre de souffrance et une éducatrice. Ses paysages l'ont ramené à l'essentiel : l'amour de la nature et de la vie, à l'envers de « l'odieux Paris ».Ses hommes et ses femmes, dans leur simplicité « gothique », le reposent des cocottes et des pantins de la capitale. Il les saisit dans les gestes simples de la vie quotidienne : pêcheur qui radoube son canot, femme qui ramende des filets, pilote qui brave la tempête, paysan qui lutte avec la lande.

Il est fasciné par leur dimension atemporelle, leurs mœurs primitives, leur vie sans pollution, leur héroïsme au quotidien. Les paysannes sont d'une « beauté ancienne, d'une pâleur liturgique de vitrail ». Quant aux hommes, ils sont « magnifiques, nobles et beaux comme aux premiers âges ».

Cette vision d'esthète rousseauiste ne dure pas. Son installation à Auray, en Morbihan – « qui est ce qu'il y a de plus bretonnant dans toute la Bretagne » – a ravivé sa haine pour ses anciens tourmenteurs jésuites. Mirbeau est passé à l'heure des grands combats et poursuit de sa hargne tous « les négateurs de vie » : prêtres, recteurs, vicaires, jésuites, qui exploitent la crédulité des faibles, violent les consciences, exacerbent le nationalisme et soufflent l'esprit réactionnaire.

Ses convictions progressistes et modernistes, son tempérament d'anarchiste, se sont cabrés contre le « fatalisme catholique ».et « la résignation de bêtes domestiques » des Bretons : « Il y a de l'Oriental dans ce Celte anémié, du musulman dans ce catholique, dont l'esprit part sans cesse en caravane de prières vers la Mecque de Sainte-Anne ». Sous sa plume, le Breton devient un gogo « tardigrade », craignant Dieu », « respectant le Diable », imperméable au progrès avec « sa peur spéciale de l'automobile ».

La Bretagne édénique de naguère a perdu son pouvoir d'attirance et d'apaisement et s'est transformée en un immense « jardin des supplices ». L'horreur imprègne l'atmosphère des contes et des romans. On y viole, on s'y pend, on y vit dans les étables, « avec les cochons et les vaches », on y pratique l'inceste, on y meurt noyé, écrasé, mutilé, dévoré par les... bigorneaux. Les pèlerinages ne sont plus que des « bretonneries », où l'on vend des saucisses et des sardines.

La douleur est aussi sociale. La Célestine du Journal d'une femme de chambre, originaire d'Audierne, connaît l'exil et la servitude. À défaut de pouvoir vivre « au pays », elle va se vendre, comme ses milliers de consœurs, aux bureaux de placement parisien. Il est loin le temps où Mirbeau quêtait les joies impressionnistes et sensuelles de la Bretagne, à la recherche « de l'odeur iodée des goémons et de l'arôme vanillé de la lande en fleurs ». «  Du sang, de la misère et des larmes ont brouillé son regard et souillé les idylliques tableaux de Van Eyck et de Monet », conclut Jean-François Nivet dans son excellente préface de Croquis bretons d'Octave Mirbeau..


J.-P. K.


Bibliographie : Octave Mirbeau, Croquis bretons, préface et notes de Jean-François Nivet, éditions Séquences, Rezé, 1993; Pierre Michel et Jean-François Nivet, Octave Mirbeau, L'imprécateur au cœur fidèle, biographie, Librairie Séguier, 1990.

 


BRUGES

          Bruges est une belle ville flamande chargée d’histoire, dotée de merveilles architecturales constituant un patrimoine exceptionnel – notamment les béguinages à « la tristesse pacifiante » – et de canaux qui lui confèrent un charme extrême. Elle était peuplée d’environ 50 000 habitants vers 1900. C’est le poète et romancier Georges Rodenbach, grand ami de Mirbeau, mort prématurément, qui a assuré à la ville sa notoriété littéraire, bien qu’il n’y ait jamais vécu, grâce à deux romans, Bruges la Morte (1892) et Le Carillonneur (1897), où son « âme individuelle » est en harmonie avec celle de la ville : « S’il a chanté Bruges, avec cet accent unique, ses pierres illustres et ses canons, et ses cloches, et son silence, et ses ombres humaines et ses visages lointains, et tout ce passé terrible et charmant, c’est que Bruges, c’est encore de la mort, une mort blanche comme les cygnes qui dorment sur le lac d’amour, blanche comme le béguin des béguines, et comme l’âme de ces femmes que, dans les rues très anciennes, on voit aux fenêtres closes, derrière les transparents de dentelle… » (« Notes sur Georges Rodenbach », Le Journal, 1er janvier 1899).

          Mirbeau a eu l’occasion de visiter Bruges à plusieurs reprises, notamment fin août 1896, en compagnie de Rodenbach. Il a toujours été fasciné par cette « ville unique », « une des seules villes préservées jusqu’ici des atteintes du progrès et des passions mauvaises qu’apporte avec lui le négoce ». Cette ville « en dentelles », avec son « aspect de rêve » ses « antiques merveilles », ses « rues de silence, de renoncement et de paix », son « décor d’une survie si pénétrante et d’une mort si éternelle », « s’est endormie et nul ne l’a réveillée ». Mais si le temps a lézardé ses antiques richesses, il « n’a rien pu contre son âme », et les figures qu’on y rencontre aujourd’hui n’ont pas changé depuis l’époque de Van Eyck et de Memling, « vivantes momies, toujours contemporaines de cette architecture de prières ».

          Or, voilà qu’en 1896-1897 est discuté et adopté un projet de modernisation de la vieille ville, que Mirbeau dénonce dans une chronique du Journal, « Adieu à Bruges », car il y voit un véritable « meurtre ». :  « On démolit tout ce qui fait sa gloire et tout ce qui est resté sa raison d’être, c’est-à-dire son âme elle-même ». Dix ans après, dans La 628-E8, il note que « Bruges sort, enfin, de son long silence mystique » et que « le bruit des marteaux, le sifflement des usines dominent aujourd'hui le chant de ses carillons et le chuchotement mortuaire de ses béguinages ».

P. M.

 

            Bibliographie : Maurice Guillemot, Villégiatures d’artistes, Flammarion, 1897, p. 200 ; Octave Mirbeau, « Adieu à Bruges », Le Journal, 28 février 1897.


BRUXELLES

 

            Octave Mirbeau a eu à maintes reprises l’occasion de se rendre dans la capitale de la Belgique, notamment en juin 1880, envoyé en reportage pour le compte du Gaulois, puis fin août 1896 (il passe alors la nuit à l’hôtel du Grand Miroir, en compagnie de Georges et Anna Rodenbach), en avril 1905, lors de son périple en automobile à travers la Belgique (il descend alors à l’hôtel Bellevue), puis en septembre 1907, à la veille de la publication de La 628-E8, qui lui fait craindre de ne plus y être désormais persona grata. Il y fait en effet  de Bruxelles, cette « capitale comique » et « d'opérette », immensément ennuyeuse et qu’il accuse de vouloir toujours singer Paris, une évocation pittoresque et bouffonne, d’une réjouissante mauvaise foi, dans la lignée de Baudelaire. Ce qui n’a pas manqué de susciter une levée de boucliers de la part de nombre d’intellectuels belges, visiblement dépourvus d’humour, qui se sont sentis outragés dans leur honneur national, parce qu’ils ont pris au premier degré toutes les fantaisistes assertions du romancier.

Il est vrai qu’il n’y va pas de main morte. Ainsi affirme-t-il d’entrée de jeu, comme s’il s’agissait d’une concession majeure et douloureuse : « Après tout, on peut aimer Bruxelles. Il n'y a là rien d'absolument déshonorant... » Certes, mais il s’avère que même les notaires carapatés avec les économies de leurs clients aiment  encore mieux le confort moderne de la prison de Fresnes que l’exil et à l’ennui bruxellois, tellement dissuasifs au demeurant que des caissiers tentés de les imiter  préfèrent encore rester honnêtes... En quoi, d’ailleurs, ils ne se distinguent guère du roi Léopold II, perpétuellement absent pour ses plaisirs ou ses affaires, ni de la majorité des intellectuels et artistes bruxellois, qui choisissent, à la première occasion, de s’exiler à Paris dans l’espoir d’y décrocher une lucrative consécration. Tout lui paraît horriblement laid, et particulièrement « le Palais de Justice, où ils ont entassé pêle-mêle, tant qu'ils ont pu, des souvenirs de monuments sur des monuments de souvenirs, pour n'aboutir qu'à un monument d'une laideur invraisemblable [...], tellement laid, que ça en devient beau »... Rien ne trouve grâce à ses yeux, et tout est passé au crible de sa dérision : l’accent belge, l’armée belge, la Justice belge, l’avant-garde artistique belge, l’effroyable affairiste qu’est le roi des Belges coupable d’ensanglanter le Congo, et les mœurs curieuses des indigènes, sur lesquels Mirbeau jette un regard compatissant et désarçonné, parce que tout lui semble faux et décalé, comme s’il s’agissait perpétuellement de théâtre : « Tout me paraît ridicule à Bruxelles, me donne envie de rire, mais d'un rire terne, d'un rire sans éclats, de ce rire glacial, douloureux qui rend tout à coup si triste, si triste, triste comme son ciel d'hiver, ses boulevards circulaires, les livres de M. Edmond Picard, les poèmes de M. Ivan Gilkin, les couvertures de M. Deman, les meubles de M. Vandevelde »...

            Naturellement, il ne faudrait pas prendre au pied de la lettre ce qui risquerait alors d’apparaître comme une forme de xénophobie, car Bruxelles vue à travers le filtre très particulier de l’esprit ludique d’un romancier en quête d’exutoire thérapeutique, c’est « un espace purement fantasmagorique », comme le dit Gwenaël Ponnau¨.

 

P.M.

 

            Bibliographie : Octave Mirbeau, La 628-E8, Fasquelle, 1907, chapitre II ; Gwenal Ponnau, « Haro sur la Belgique ? Les Amoenitates belgicae de Mirbeau », in L’Europe en automobile – Octave Mirbeau écrivain voyageur, Presses Universitaires de Strasbourg, 2009, pp. 97-108.

 

 

 

 

 


BULGARIE

 

Il s’avère que Mirbeau a été beaucoup plus présent en Bulgarie qu’on n’aurait pu l’imaginer et qu’il a même « marqué profondément la vie littéraire en Bulgarie pendant la période antérieure à la première guerre mondiale », selon l’historien bulgare Niko Nikov. Il semble qu’il y ait eu là conjonction de deux intérêts, au début du vingtième siècle : l’un pour l’engagement politique de l’intellectuel, particulièrement apprécié par les courants libertaire et tolstoïen — et ce n’est évidemment pas un hasard si ce sont des hommes de gauche, se rattachant à ces courants, qui ont traduit ses œuvres ; l’autre pour l’écrivain, romancier et dramaturge, qui semble le seul, ou l’un des rares, à être capable d’assure le dépassement du naturalisme et le renouvellement des genres littéraires, et ce, dans un cadre culturel général où la littérature française apparaît, à l’intelligentsia bulgare libérale et progressiste, comme un utile contrepoids à l’influence allemande et à la domination russe. Du bilan des traductions, il ressort que la grande époque a correspondu, en Bulgarie  comme en Russie, aux années 1906-1912, et qu’en revanche la période communiste a été particulièrement réfractaire au génie du libertaire Mirbeau, qui a été de nouveau édité, mais sans excès, après la chute du régime.

Comme d’habitude, ce sont ses deux romans les plus célèbres qui ont été le plus souvent traduits :

Le Jardin des supplices (Градината на мъките) a paru à Sofia, en 1909, aux éditions Jivot, dans une traduction de Georgi Chopov, rééditée en 1918. Une autre traduction, dont l’auteur est inconnu, a paru chez Glouchkov, en 1911. En 1992 la traduction de Chopov a été republiée, à Tirnovo, chez Abagar. Enfin, quatre ans plus tard, est sortie, à Pleven aux éditions E.A, dans la collection « Slavata na Frantsia » [“la gloire de la France”], une nouvelle traduction, due à Teodor Valentinov Mihailov et de .Krasimir Vasiliev Mirtchev, sous un titre légèrement différent, Градината на мъченията [“jardin des souffrances”] (1996, 180 pages).

Le Journal d’une femme de chambre , pour sa part, a été traduit sous deux titres différents : Гнило общество [“société pourrie”], aux éditions Moderna Biblioteka, en 1909 (460 pages), puis en 1921, aux éditions. Jivot, de Sofia (243 pages), dans une traduction d'Ivan Gantchev ; et Дневникът на една камериерка, traduction fidèle du titre français, d’abord en 1909, à la Biblioteka Prolet, collection « Liber Klub » ; puis en 1985, chez Profizdat, dans une traduction d'Isabelle Georgieva, avec une préface de Venko Christov  (295 pages) ; et enfin deux fois en 1992 : à Sofia, aux éditions P. K. Iavorov, 1992 (196 pages), dans la traduction d'Isabelle Georgieva, reprise de l’édition de 1985, et à Varna, chez A. L., dans la collection « Papyrus », n° 9 (315 pages), dans la traduction d’Ivan Gantchev, reprise de l’édition de 1921. Par ailleurs, des adaptations théâtrales du roman ont été données à Sofia ces dernières années.

Deux autres romans ont également eu droit à une traduction bulgare :

Le Calvaire a paru d’abord en 1907, à Sofia, aux éditions de la revue Biblioteca, sous le titre Lobno miasto [“lieu d'exécution”], dans une traduction de P. Neïkov ; puis en 1909, à Sofia, aux éditions Jivot, sous un titre nouveau apparenté aux titres russe et allemand, Golgota, dans une traduction de Georgi Chopov, rééditée en 1918. En outre, le chapitre II sur la guerre a paru deux fois en brochure,  en 1906 et en 1908.

L’Abbé Jules (Abat Joul) a été publié en 1911 à Sofia, de nouveau aux éditions Jivot, et derechef dans une traduction de Georgi Chopov, qui semble bien avoir été le principal passeur de Mirbeau dans son pays. Un extrait, paru sous un titre signifiant “la fête de l’évêque”, a été publié dans une revue progressiste, en octobre 1907.

De La 628-E8, seul a été traduit le sous-chapitre sur les pogroms antisémites dans la Russie tsariste : en 1910, dans une traduction de Bratoiev, rééditée en 1928 sous le titre d'Evreiski pogromi [“pogroms juifs”].

Pour ce qui est des contes, un recueil de 44 pages, intitulé Razkazi [“contes”], a été publié à Choumen en 1909, traduit par  Ivan Georgiev. D’autres contes, dont cinq seulement ont été recensés, ont été publiés dans diverses revues entre 1906 et 1913, notamment « Porokt » [“le vice”], c’est-à-dire « Pour M. Lépine », et « Slouginia » (« La Bonne ». Une recension plus complète reste à faire.


Le théâtre n’est pas en reste, et quatre pièces de Mirbeau ont été traduites :


Les Mauvais bergers , traduit par G. P. Donev, sous le titre  Лошите овчари [“les mauvais conducteurs”], a paru en 1921, à Sofia, aux éditions P. G. Blasnov, dans une collection du théâtre ouvrier, symptomatique de l’utilisation militante qui devait être faite de cette tragédie prolétarienne. 

L’Épidémie a connu deux traductions : en 1907, par  Chrbanov,  et en 1910 par Bratoiev, dont la traduction a été publiée à la fois dans la « Petite bibliothèque » (n° 5)  et la « Nouvelle bibliothèque » (n° 11).

Scrupules, dont le titre bulgare, Kрадецът, signifie le voleur”, comme en allemand et en russe, a paru aussi en 1910, dans la « Petite bibliothèque », traduit également par Bratoiev Auparavant des représentations en ont été données au Théâtre du Peuple de Sofia à partir du 7 mai 1907.

Quant aux Affaires sont les affaires, c’est T. C. Tontchev qui en a été le traducteur, dans une édition intitulée Интересите преди всичко  [“l’intérêt avant tout”], parue en 1906 à Varna, aux éditions Ikonomov, dans la collection  « Bibliothèque théâtrale ». La pièce a certainement été représentée, mais nous ignorons où et à quelle(s) date(s).



Ce qui est le plus stupéfiant, dans l’aventure bulgare de Mirbeau, c’est la publication, à Plovdiv, en 1922, d’un essai sur la prostitution, Любовта на продажната жена (Lioubovta na prodajnata jena) inconnu en français, et qui a tardivement paru en France en 1994, traduit du bulgare par Alexandre Lévy, sous le titre L’Amour de la femme vénale, traduction littérale du titre bulgare. Alexandre Lévy a ensuite fait paraître une nouvelle édition en bulgare, de nouveau à Plovdiv, mais dans une traduction nouvelle, à l’orthographe modernisée, qu’il a réalisée à partir de sa propre traduction française...  Comment ce texte est-il arrivé en Bulgarie cinq ans après la mort de l’écrivain ? Nous l’ignorons encore. Mais il est plausible que la traduction bulgare ait été réalisée à partir d’une traduction russe, non retrouvée à ce jour, qui aurait pu paraître, vers 1912 ou 1913, dans une revue libertaire, hypothèse qui ne pourra malheureusement être vérifiée que lorsque toutes les revues russes de l’époque auront été dépouillées, ce qui n’est pas demain la veille.

P. M.

 

Bibliographie : Alexandre Lévy, « Lioubovta na prostitutkite », Literaturen vestnik, Sofia, 26 septembre 1995 [en bulgare] ; Pierre Michel, préface de L’Amour de la femme vénale, Éditions Indigo-Côté Femmes, 1994, pp. 7-27 ; Niko Nikov, « Mirbeau en Bulgarie », in Actes du colloque Octave Mirbeau d’Angers, Presses de l’Université d’Angers, 1992, pp. 461-466.


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