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CRITIQUES
LITTÉRAIRES |
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Dans le domaine de la littérature et du théâtre, Octave Mirbeau a joué
le même rôle de découvreur et de justicier que dans celui
des beaux-arts.
Refusant tous les étiquetages réducteurs, allergique aux théories promotionnelles
et aux dogmes qui enferment, réfractaire aux écoles autoproclamées,
rebelle à tout embrigadement, fût-ce pour la “bonne cause”, il a toujours
soigneusement préservé sa liberté de jugement et il a fait de
l'émotion la pierre de touche de l'œuvre d’art en général, et
de l’œuvre littéraire en particulier. C’est cette exceptionnelle ouverture
d'esprit qui lui a permis d'apprécier les auteurs les plus différents,
par-delà les compartimentages des histoires littéraires et des manuels
scolaires.
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POUR UN THÉÂTRE NOUVEAU
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Les premiers articles signés de son nom dans L’Ordre de
Paris, Mirbeau les a consacrés à la critique théâtrale. Très vite
il y manifeste son indépendance de pensée en s’attaquant à la routine,
à la fabrication industrielle de pièces abêtissantes, au star system
et à la société du spectacle, symptôme de la décadence d’une société
bourgeoise en voie de pourrissement (voir « Le Comédien »,
en octobre 1882). Et il est rapidement convaincu que le théâtre est
mort de son conformisme et de son industrialisme et qu’il serait vain
d’essayer de le ressusciter.
Il n’en loue que davantage ceux qui, comme Henry Becque, Maeterlinck
et Ibsen, ont le courage de chercher des voies nouvelles. De
même, il apporte d’emblée son soutien aux tentatives de dépoussiérage
d’André Antoine et d’Aurélien Lugné-Poe et, au tournant du siècle, il
se bat pour un théâtre véritablement populaire, qui contribue à l’éducation
et à l’émancipation du peuple.
Dans
sa critique dramatique, il se distingue radicalement, non seulement
des critiques bourgeois tels que Francisque Sarcey, défenseur d’un théâtre
anesthésiant et promoteur de “la pièce bien faite”, mais aussi des naturalistes
par trop attachés aux détails insignifiants (le fameux «bouton
de guêtres»), et il manifeste des exigences de vérité
et de justice : il préconise des pièces qui fassent penser sans être
pour autant des thèses; il attend de la profondeur, une observation
pénétrante, des personnages dotés d’une véritable épaisseur humaine,
et des dialogues vivants et synthétiques.
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UNE CRITIQUE “À LA HACHE” |
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Dans le domaine romanesque, Mirbeau a certes évolué,
mais il a toujours su distinguer les talents originaux. Il vouait
une admiration inconditionnelle à Jules Barbey d'Aurevilly,
qui l’a fortement influencé à ses débuts.
Jules Barbey d'Aurevilly
Ses
premières chroniques littéraires publiées à L'Ordre de Paris,
au Gaulois, dans Les Grimaces et à La France, tiennent
du pamphlet : comme son « illustre maître », il y dénonce,
“à la hache”, le cabotinisme et le réclamisme, les écrivains
bien-pensants et académisables, la camaraderie et le mercantilisme
qui dénaturent les jugements et qui étouffent les talents, il tourne
en dérision la littérature industrielle, consolante et sentimentale
: « Est-il possible que notre littérature soit à la merci des
ignorances d'une poignée de cocottes, du parti-pris et du scepticisme
d'une poignée de viveurs et de l'indifférence d'une poignée de journalistes
? » C’est tout un système social et culturel qu’il met en
cause et qu’il voue au ridicule.
 Il
s’attaque aussi au pseudo-réalisme érigé en système et il
critique le naturalisme béat d'écrivains frappés de myopie, qui
sondent les reins des cuisinières, ne perçoivent que les détails au
détriment de la pensée, et se gargarisent de prétentions pseudo-scientifiques
: il y voit la plus grande erreur dans le domaine de la création artistique
et littéraire, et le critique aussi vigoureusement que l’académisme.
Très tôt il s’attache au contraire aux apporteurs de neuf : Jules Vallès,
Edmond de Goncourt, Tourgueniev, et, ce qui est plus surprenant, Arthur
Rimbaud, dont il est le premier, dès 1882, à citer des vers inconnus
et à proclamer le génie.
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UNE NOTORIÉTÉ AU SERVICE DE LA VIE
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Après douze ans de prolétariat de la plume, Mirbeau accède à la célébrité en 1885-1886. Il écrit alors dans
les plus grands journaux nationaux : Le Matin, Le Figaro,
L'Écho de Paris, et par la suite Le Journal, qui atteindra
le million d’exemplaires vers 1900. Ses chroniques littéraires rendent
hommage aux écrivains qui l'ont ému, dans les genres les plus différents
: Victor Hugo, Élémir Bourges, Jean Richepin, Stéphane Mallarmé,
Jean Lombard, le critique Émile Hennequin. Il reconnaît
en Germinal une œuvre majeure. Surtout, il découvre Tolstoï
et a « la révélation » de L'Idiot de Dostoïevski,
« prodigieux livre », à « la psychologie
inquiétante et visionnaire ».
Tolstoï et Gorki
Dostoïevski
Il mène campagne contre les institutions sclérosantes comme l'Académie
Française, « cette vieille sale », qu’il tourne en
dérision en dévoilant ses dessous peu ragoûtants ; contre les écrivains
mondains et bien-pensants qui anesthésient leur lectorat ; et contre
les psychologues autoproclamés qui, à l'instar de Paul Bourget, exploitent
le juteux filon de « l’adultère chrétien » et sont
préposés à la vidange des âmes des nantis.
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DE MAETERLINCK À LÉON BLOY |
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Mirbeau s'est rapidement imposé comme l'un des premiers critiques de
son temps, sans les œillères et l’esprit classificatoire de Ferdinand
Brunetière et la superficialité de Jules Lemaitre. Ses chroniques, fort
attendues, sont étonnamment efficaces : son article du Figaro,
le 24 août 1890, suffit à lancer un inconnu, Maurice Maeterlinck,
dans le firmament littéraire :
“Je ne sais rien de M. Maurice Maeterlinck. Je ne sais d'où
il est et comment il est. S'il est vieux ou jeune, riche ou pauvre,
je ne le sais pas. Je sais seulement qu'aucun homme n'est plus inconnu
que lui ; et je sais aussi qu'il a fait un chef-d'œuvre. (...) M.
Maurice Maeterlinck nous a donné l'œuvre la plus géniale de ce temps,
et la plus extraordinaire et la plus naïve aussi, comparable et -
oserai-je le dire ? - supérieure en beauté à ce qu'il y a de plus
beau dans Shakespeare. Cette œuvre s'appelle La Princesse Maleine.
Existe-t-il dans le monde vingt personnes qui la connaissent ? J'en
doute.”
Vingt ans plus tard, le poète belge obtiendra le prix Nobel de littérature !
De même, en 1909, il lance à grand fracas une pauvre couturière quinquagénaire
complètement inconnue, Marguerite Audoux, dont le roman, Marie-Claire,
rate de peu le prix Goncourt et connaît un énorme succès de ventes.
En entrant au Journal en 1892 et en y collaborant sous son nom
à partir de 1894, il dispose d'une audience énorme, dont il se sert
pour défendre les écrivains menacés par les « lois scélérates »
de la République : Alexandre Cohen, Félix Fénéon et Jean Grave.
Jean Grave
Il prend la défense d'Oscar Wilde supplicié par les tartuffes
britanniques, et, plus tard, de Maxime Gorki emprisonné par le
régime tsariste. Il révèle Knut Hamsun, l'auteur de La Faim,
et se fait le champion d'Ibsen. Il apporte son appui à Paul Hervieu,
Georges Rodenbach, Léon Daudet, Jules Huret, Ernest La Jeunesse,
et surtout à Remy de Gourmont, Marcel Schwob et Alfred
Jarry, auxquels il apporte une aide multiforme qui leur permet
de survivre ou de percer.
Rémy de Gourmont, Marcel Schwob
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Plus
tard, il soutiendra Sacha Guitry et Adès et Josipovici,
les auteurs de Goha le simple. C'est lui encore qui, malgré l’abîme
idéologique qui l’en sépare, consacre à Léon Bloy et à La
Femme pauvre un article somptueux. Léon Bloy, écrit-il, « est
en état permanent de magnificence ».
Portrait élogieux
d'Octave Mirbeau par Sacha Guitry (vidéo)
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L'ACADÉMIE GONCOURT
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Choisi
par Edmond de Goncourt en 1890, pour succéder à Émile Zola, coupable
de postuler à l'Académie Française, Mirbeau a fait partie des huit premiers
membres de la nouvelle académie, destinée à faire pièce à la « vieille
sale » du quai Conti en promouvant des talents originaux dans
le domaine de la fiction narrative.
Jules et Edmond de Goncourt par Nadar
Fidèle à cette intention testamentaire, Mirbeau a voulu d'emblée qu'elle
serve à honorer les talents méconnus et qu'elle récompense
des œuvres que l'Académie Française n'aurait jamais pu reconnaître.
À partir du premier prix Goncourt, décerné en décembre 1903, il a
donc régulièrement bataillé en faveur d'écrivains originaux, pour
la plupart issus du peuple et désargentés : John-Antoine Nau
– qui n’était qu’un troisième choix –, Charles-Louis Philippe,
le petit paysan nivernais Émile Guillaumin, Paul Léautaud,
Valery Larbaud (qui avait utilisé un pseudonyme pour faire
oublier ses millions…), Marguerite Audoux, la néerlandaise
Neel Doff, Charles Vildrac et Léon Werth, que
Mirbeau a chargé d’achever Dingo.
Certes, à l’exception non significative de Nau, aucun de ses protégés
n'a été couronné. Mais chaque prix a été l'occasion pour lui de batailles
dont la presse s'est faite l'écho et d’interviews qui ont contribué
à asseoir leur réputation. Là encore, Mirbeau s'est comporté en justicier
des lettres.
En 1907, lorsqu'il
a fallu élire un successeur à Huysmans, il a donné sa démission pour
imposer l'élection de Jules Renard contre Henry Céard... et
il a obtenu gain de cause ! Après quoi, il a pu revenir sur sa démission
et poursuivre son combat…
Pierre MICHEL
Les articles de Mirbeau sur la littérature et le journalisme ont été recueillis par Pierre Michel
et J.-F Nivet dans Combats
littéraires, paru en 2006 à l’Age d’Homme, Lausanne.
Une anthologie (1925-1926) a paru en deux volumes chez Flammarion sous le titre :
Les Écrivains
Une anthologie d’articles de critique théâtrale (1924) a paru chez Flammarion sous le titre : Gens de théâtre
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