Oeuvres
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LE FOYER |
Rédigé en collaboration avec Thadée Natanson, Le Foyer est une comédie en trois actes (primitivement en quatre actes), créée à la Comédie-Française le 8 décembre 1908 et aussitôt publiée, d’abord dans L'Illustration théâtrale, n° 103, le 12 décembre 1908, puis en volume chez Fasquelle, au début de l’année 1909. Pour réussir à faire jouer sa pièce, Mirbeau a dû mener bataille contre Jules Claretie, administrateur de la Maison de Molière, qui, après l’avoir reçue en décembre 1906, non sans l’avoir initialement et prudemment refusée, avait pris peur devant ses multiples audaces et avait fini par interrompre arbitrairement les répétitions, le 4 mars 1908, ce qui avait entraîné une procédure judiciaire. C’est donc paradoxalement à une décision de cette “Justice” qu’il a tant vilipendée que Mirbeau doit d’avoir pu investir une seconde fois cette Bastille théâtrale qu’était la Comédie-Française. La pièce suscita un scandale, tant par le sujet traité que par le dénouement théâtralement fort incorrect, et plusieurs représentations ont été perturbées par des militants de l’Action Française. Des maires de province, tel celui d’Angers, ont même tenté d’interdire la pièce dans leur ville, au cours de la tournée Baret, au cours de l’hiver 1909. Il s'agit en effet d'une pièce au vitriol, qui dénonce tout à la fois la charité-business, la pourriture des classes dirigeantes, la Tartufferie des élites sociales et politiques et l'exploitation économique et sexuelle des enfants dans des foyers prétendument “charitables”. Au centre de l’imbroglio, une personnalité hautement “respectable” et dotée d’une grande « surface sociale » : le baron Courtin, sénateur bonapartiste, leader de l’opposition catholique, et de surcroît académicien et éminent spécialiste de la charité. Or cet homme, si honorable en apparence, s’est rendu coupable d’importants détournements de fonds au détriment du Foyer qu’il préside et où, par ailleurs, se déroulent de drôles de scènes : la directrice, Mlle Rambert, y fait fouetter des fillettes devant de respectables vieux messieurs libidineux et offre des récompenses très particulières à celles qui lui plaisent. Lorsqu’éclate un double scandale – celui de l’abus de biens sociaux, sans qu’il soit possible à Courtin de renflouer la caisse, se double en effet de la mort d’une fillettes “oubliée dans un placard” – il lui faut, pour éviter la prison et sauvegarder son honneur, à la fois trouver de quoi rembourser les grosses sommes dilapidées et empêcher le gouvernement républicain et la presse d’exploiter l’affaire. Courtin recourt alors aux services de son richissime ami Biron, ancien amant de sa femme Thérèse, qui finit par accepter d’avancer les fonds et de reprendre Le Foyer, mais à la condition implicite de retrouver son statut d’amant, et à la condition explicite de faire trimer davantage encore les adolescentes du Foyer, afin qu’il devienne très rentable pour lui. Quant au gouvernement, s’il consent à ne pas poursuivre Courtin, c’est en échange de son précieux silence dans une bataille politique qui s’annonce serrée. Tout est donc bien qui finit bien pour le politicien pourri et le concussionnaire impuni, qui va pouvoir partir tranquillement en croisière sur le yacht de Biron, avec sa femme et les deux amants d’icelle, le vieux Biron et le jeune d’Auberval, et y peaufiner à loisir son discours académique sur les prix de vertu... Ce dénouement n’a pas manqué de faire grincer des dents : profondément immoral, puisque c’est le cynisme éhonté qui triomphe, il n’en est pas moins inéluctable, une fois présentés les protagonistes et plantés les jalons de l’action dramatique, obligeant du même coup le spectateur à prendre conscience de l’abîme qui sépare la prétendue « morale », dont se réclament haut et fort les puissants de ce monde et leurs turpitudes effectives. Si « les salauds triomphent toujours d’être des salauds », comme l’écrit Mirbeau à l’époque, c’est qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de France, et il ne s’y résigne pas. C’est pourquoi, au lieu d’accepter de « taire le mal », comme Courtin y invite un jeune journaliste un peu trop porté sur la satire, Mirbeau ne peut s’empêcher de crier haut et fort son indignation et s’emploie une nouvelle fois à dévoiler les maux de la société et à les rendre tellement visibles qu’il ne sera plus possible de les occulter. Le Foyer est une excellente pièce, même si elle n’est pas construite selon les canons de la pièce « bien faite ». Certes, Mirbeau y respecte encore les conventions théâtrales en usage, ce qui semble rapprocher Le Foyer du boulevard. Mais c’est pour mieux servir son entreprise de subversion. Ce n’est pas seulement une efficace comédie de mœurs au vitriol, c’est aussi une remarquable comédie de caractères. Les trois personnages principaux, Courtin, Thérèse et Biron, frappent par la vérité de leur comportement et de leurs répliques, révélatrices du fond de leurs âmes, par leur complexité psychologique et par leurs contradictions, qui font de ces fripouilles des êtres faibles et qu’il n’est pas totalement interdit de plaindre quand il leur arrive de souffrir, comme à tout un chacun : ainsi, malgré ses millions et son cynisme, Biron souffre d’être durement confronté à la vieillesse et à la solitude ; malgré ses vilenies, Courtin, le beau parleur qui finit par se duper lui-même, est épouvanté par les conséquences angoissantes de son comportement irresponsable ; malgré ses infidélités, Thérèse est déchirée entre, d’un côté, le souci de sa dignité de femme et l’espoir d’être régénérée par l’amour, et, de l’autre, son devoir d’épouse et la nécessité où elle se retrouve de se sauver de la ruine et du déshonneur en acceptant d’être ignominieusement maquignonnée. La comédie est, certes, grinçante et subversive, et d’aucuns ont prétendu n’y voir qu’une trop lourde charge, mais elle fourmille de notations justes et reste éminemment théâtrale et dramatique. Reprise en 1989, dans une mise en scène de Régis Santon, et avec Jacques Dacqmine, Annie Sinigalia et François Lalande dans les rôles principaux, Le Foyer a frappé par son étonnante modernité, a remporté un triomphe et a reçu en 1990 le Molière de la meilleure pièce de l’année. P. M.
Bibliographie : Philippe Baron, « Le Foyer à Berlin », Cahiers Octave Mirbeau, n° 10, 2003, pp. 256-266 ; Léon Blum, Au théâtre, Paris, Ollendorff, 1909, t. II, pp. 268-282 ; Adolphe Brisson, Le Théâtre, Paris, Les Annales, tome IV, 1909, pp. 221-238 ; Yannick Lemarié, « Le Foyer : une pièce théorique ? », Cahiers Octave Mirbeau, n° 14, mars 2007, pp. 158-173 ; Pierre Michel, « La Bataille du Foyer », Revue d'histoire du théâtre, 1991, n° 3, pp. 195-230 ; Pierre Michel, « Le Vrai-faux journal d'Octave Mirbeau », Les Écritures de l'intime - La correspondance et le journal, Actes du colloque de Brest d'octobre 1997, Champion, avril 2000, pp. 125-132 ; Pierre Michel, « Introduction » au Foyer, in Théâtre complet, Eurédit, 2003, t. III, pp. 25-34 ; Geoffrey Ratouis, « La Bataille du Foyer à Angers, février 1909 », Cahiers Octave Mirbeau, n° 7, avril 2000, pp. 217-227.
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