Oeuvres
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LE PORTEFEUILLE |
Le Portefeuille est une farce en un acte, créée le 19 février 1902 au Théâtre de la Renaissance-Gémier, avec Firmin Fémier dans le rôle de Jean Guenille. Elle a été publiée la même année chez Fasquelle en un petit volume de 31 pages, puis recueillie en 1904 dans les Farces et moralités. C’est l’adaptation théâtrale d’un conte, inspiré d’un fait divers, qui a paru, sous le même titre, dans Le Journal du 23 juin 1901 et que Mirbeau a ensuite inséré dans le chapitre XIX des 21 jours d’un neurasthénique (1901). Traduite dans de nombreuses langues, la pièce a connu un grand succès à l’étranger, où des groupes libertaires s’en sont servis pour leur agit-prop. La scène est située la nuit, dans un commissariat de police parisien, où le commissaire, de retour d’une soirée théâtrale, histoire de s’émoustiller, se fait, comme tous les soirs, amener sa maîtresse, Flora Tambour, par deux agents qui la brutalisent quelque peu, pour l’avoir une nouvelle fois surprise à faire de la retape sous leur nez. Là-dessus on introduit un vieux mendiant fatigué, Jean Guenille, venu apporter un portefeuille bourré de gros billets qu’il a eu la malencontreuse idée de trouver sur le trottoir. D’abord fêté comme un héros, à qui pourrait éventuellement échoir une très modeste récompense, pour un acte aussi rare que désintéressé, Jean Guenille est ensuite traité comme un vulgaire délinquant et envoyé au dépôt dès qu’il s’avère qu’il n’a pas de domicile fixe et constitue de ce fait un danger potentiel pour la société. Flora Tambour en est choquée et proteste en vain, et le commissaire, de plus en plus énervé, la fait embarquer elle aussi. Il s’agit d’une farce, avec ses effets caricaturaux, son renversement brutal de situation et son crescendo final, comme si la folie s’emparait du commissaire, incarnation de l’ordre social devenu fou. Mais elle a une portée didactique et constitue bien une moralité. Mirbeau ne se contente pas de dénoncer les “bavures” policières, mais y fait la démonstration pré-brechtienne du caractère intrinsèquement pervers de la loi. Elle permet en effet de traiter comme un délinquant un misérable vagabond victime de la société, et dont le comportement est qualifié d’héroïque par ceux-là mêmes qui lui appliquent les rigueurs de la loi. Le spectateur ne peut qu’en être choqué et amené à s’interroger sur un ordre social aussi injuste qu’absurde. Et il se trouve confronté à un dilemme : ou bien il doit accepter un ordre social inique, avec toutes ses conséquences, mais alors en toute connaissance de cause, sans pouvoir s’abriter derrière de belles justifications aussi ronflantes que mensongères ; ou bien il est choqué par les effets pervers de lois qu’il croyait justes et, remontant des effets à la cause, il se voit contraint de remettre en question la loi elle-même et tout l’ordre social bourgeois qu’elle légitime. Ce ne sont pas les ratés du système que Mirbeau dénonce, mais son fonctionnement normal : sa critique est radicale. P. M.
Bibliographie : Claudine Elnécavé, « À bas les masques, ou la mise en scène du social dans Le Portefeuille », Cahiers Octave Mirbeau, n° 10, mars 2003, pp. 145-149 ; Caroline Granier, Les Briseurs de formules – Les écrivains anarchistes en France à la fin du XIXe siècle, Ressouvenances, 2008, pp. 178-180 ; Pierre Michel, « Introduction » au Portefeuille, in Théâtre complet de Mirbeau, Eurédit, 2003, t. IV, pp. 123-126 ; Jean-François Wagniart, Le Vagabond dans la société française (1871-1914), thèse dactylographiée, Université de Paris-Panthéon, 1997, t. II, pp. 409-411.
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