Pays et villes
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NORMANDIE |
Mirbeau était un Normand, un de ces « hommes du Nord » dont les ancêtres, aux temps anciens des invasions Vikings, étaient venus du Jutland, « ce pays d’où je suis parti, il y a des siècles, dans une barque de cuir à deux voles », pour s’installer dans l’Ouest de la France, comme il l’écrit plaisamment dans une lettre à Paul Hervieu du 19 août 1900. Il était même doublement normand : du côté maternel, il était Calvadosien (il est né à Trévières) ; du côté paternel, il était Percheron (il a passé toute sa jeunesse à Rémalard, Orne). Il est resté toute sa vie fidèle à sa province d’origine, il y est retourné en 1885 pour passer plusieurs mois à Laigle, dans l’Orne, puis s’est installé en 1889 aux Damps (Eure), où il a passé quatre ans. Ce sont les paysages du Perche qu’il évoque dans nombre de contes et de romans ; ce sont les toponymes du Perche qui reviennent le plus souvent sous sa plume ; ce sont les paysans normands et les petits-bourgeois des villages du Perche qui peuplent ses contes, et c’est le bourg de Rémalard que l’on peut retrouver dans ses trois premiers romans officiels, dits autobiographiques. Enfin, c’est en Haute-Normandie, dans l’Eure, qu’il a situé Le Mesnil-Roy, le bourg, inspiré de Pont-de-l’Arche, où Célestine se retrouve femme de chambre chez les Lanlaire. L’image que Mirbeau donne des Normands est fort différente de celle des Bretons. Certes, pour la plupart des habitants de l’époque, la pauvreté, voire la misère, est la règle, comme en Bretagne, et la vie est dure aussi, comme on le voit par exemple dans « La Mort du père Dugué », elle peut même être terrible (voir notamment « L’Enfant » et « Les Bouches inutiles », L’Écho de Paris, 25 juillet 1893) ; mais l’impression prévaut que la terre y est plus fertile, que la Normandie possède plus de richesses agricoles que la Bretagne et que les paysans y sont plus rusés, plus impitoyables et plus âpres au gain (sur le mode cocasse, voir « La Justice de paix », La France, 24 juillet 1885). Certes, l’emprise de l’Église romaine et des politiciens réactionnaires qui sont ses complices y est aussi prégnante qu’en Bretagne ; mais on ne retrouve pas, en Normandie, le mysticisme breton, ni la naïveté qui prédispose les ouailles morbihannaises à se laisser tondre par leurs recteurs (voir « Monsieur le Recteur », L’Écho de Paris, 17 septembre 1889, ou « Un baptême », L’Écho de Paris, 7 juillet 1891) : le paysan normand ne se laisse pas duper aussi aisément, il est plus retors, il a plus de souplesse et de malices dans son sac (voir par exemple « La Confession de Gibory », Gil Blas, 18 mai 1886). Bref, quelle que soit la tendresse que, malgré tout, il lui voue, à cause de ses conditions de vie difficiles et de son attachement viscéral à la terre nourricière, le paysan normand vu par Mirbeau suscite moins la pitié qu’un sentiment d’étrangeté, qui peut, par voie de conséquence, tourner au comique, lors même que la situation évoquée est très dure et que la mort est au rendez-vous (par exemple, dans « Avant l’enterrement », Gil Blas, 19 avril 1887). À cette apparente « insensibilité », dont Mirbeau se demande si elle témoigne d’un stoïcisme admirable ou d’une totale absence de pitié qui serait plutôt à « maudire » (voir « Le Père Nicolas », La France, 21 juillet 1885), s’ajoutent des traits qui sont tout aussi peu à l’avantage du paysan normand, qui n’attire pas vraiment la sympathie : il vit souvent dans la saleté, il ignore l’hygiène, il est superstitieux, et il est de surcroît bien souvent trop porté sur l’alcool, qui désinhibe la violence ; les enfants lui sont généralement indifférents et leur mort ne semble pas l’affecter (voir « La Tristesse de Maît' Pitaut », Gil Blas, 30 août 1887, et « L’Enfant ») ; l’homme brutalise volontiers sa compagne (« Avant l’enterrement ») ; quant aux relations sociales, elles sont marquées au coin de la violence et le meurtre rôde en permanence. Malgré cette image peu reluisante qu’il nous en donne, Mirbeau ne cesse de présenter les circonstances largement atténuantes qu’il convient, en toute justice, d’accorder au paysan normand : l’âpreté de la question d’argent et le recours à la brutalité dans la lutte pour la vie sont la conséquence de l’injustice sociale criante (voir « L’Enfant » et « Les Bouches inutiles ») ; quant à l’inculture et à la superstition, elles sont le fruit du cléricalisme dominant et de l’indifférence de l’État et des politiciens au pouvoir. Bref, les paysans normands sont, tout bien pesé, plus à plaindre qu’à blâmer, car ils sont la victime de cette mauvaise organisation sociale que Mirbeau ne cesse de vitupérer et qu’il souhaite abattre. Voir aussi les notices Trévières, Rémalard, Laigle, Les Damps et surtout Perche. P. M.
Bibliographie : Reginald Carr, « L’Image de la Normandie à travers Le Journal ‘une femme de chambre », in Colloque Octave Mirbeau, Actes du colloque du Prieuré Saint-Michel de Crouttes, Éditions du Demi-Cercle, 1994, pp. 69-80 ; Max Coiffait, Le Perche vu par Octave Mirbeau (et réciproquement), Éditions de l’Étrave, Verrières, 2006 ; Martine Gasnier, « Le Paysan normand dans l’œuvre d’Octave Mirbeau », in Colloque Octave Mirbeau, Éditions du Demi-Cercle, 1994, pp. 61-68 ; Claude Herzfeld, « L'Ouest méduséen des nouvelles d'Octave Mirbeau », in La Nouvelle dans l'Ouest, l'Ouest dans la nouvelle, Presses de l'Université d'Angers, 2000, pp. 143-156 ; Pierre Michel, « Octave Mirbeau de Rémalard », in Colloque Octave Mirbeau, Éditions du Demi-Cercle, 1994, pp. 19-34 ; Pierre Michel, « Les Hommes de l'Ouest dans les nouvelles de Mirbeau », in La Nouvelle dans l'Ouest, l'Ouest dans la nouvelle, Presses de l'Université d'Angers, 2000, pp. 157-168 ; Jean Vigile, « Le Perche et Mirbeau », in Colloque Octave Mirbeau, Éditions du Demi-Cercle, 1994, pp. 19-34.
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