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L'AMOUR DE LA FEMME VENALE

C’est sous ce titre qu’a été publié, en 1994, aux éditions Indigo – Côté Femmes, un essai sur la prostitution inconnu en français et traduit... du bulgare ! C’est en effet en Bulgarie, à Plovdiv, qu’en 1922, soit cinq ans après la mort de Mirbeau, les éditions Spolouka ont publié une brochure de 24 pages intitulée Любовта на продажната жена (Lioubovta na prodajnata jena). Alexandre Lévy a traduit ce texte en français, avant de retraduire en bulgare moderne sa traduction française et de publier cette nouvelle version bulgare aux éditions Polisraf, également de Plovdiv... Nous ignorons de quand date de texte, et comment il a bien pu parvenir en Bulgarie post mortem. Mais il est plausible qu’il date des dernières années de l’écrivain, peut-être vers 1912, et qu’il ait été traduit, non pas directement du français, mais plutôt du russe. Reste à vérifier l’hypothèse en essayant de retrouver le texte russe dans la masse des journaux et revues russes de l’époque...

L’édition française, de 93 pages, comporte deux préfaces : l’une est de Pierre Michel, « Mirbeau et la prostitution » (pp. 7-27),  et l’autre de l’historien Alain Corbin, « Les Noces de la femme vénale » (pp. 29-43). L’essai de Mirbeau est divisé en six chapitres : « Origine de la prostituée », « Le corps de la prostituée », « La visite », « La haine et le courage de la prostituée », « L’amour de la prostituée » et « Son avenir ».

Mirbeau ne se contente pas d’étudier froidement la prostitution, il entreprend aussi une véritable réhabilitation de ses sœurs de misère. À la lumière de sa propre expérience, et sous l'influence conjuguée des grands romanciers russes, notamment Dostoïevski, et des théoriciens libertaires, il s'interroge sur les causes économiques et sociales du phénomène prostitutionnel. Dans le cadre de la guerre des sexes, il analyse le corps de la prostituée, ses relations avec ses clients, ses amours, et son avenir. Il voit en elle  une  victime d'une société hypocrite et foncièrement immorale qui, du fait du mariage monogamique et de la frustration sexuelle qui en découle, rend indispensable le recours aux amours tarifées, mais qui n'en continue pas moins à mépriser et à rejeter les prostituées, jugées corrompues et corruptrices. Il analyse la relation entre la femme vénale et son client et voit dans la prostituée, qui ne saurait être dupe des grimaces des gens riches et puissants qu'elle débusque dans leur intimité et qu'elle met à nu – comme la femme de chambre, Célestine –, une anarchiste potentiellement subversive, car la « haine de l'homme », de celui qui la paye et l’humilie, est constitutive de son être. Du coup, l'étreinte prend la forme d'un duel, mais c’est elle qui en sort vainqueur. Paradoxalement, cette haine, source de danger pour eux, contribue aussi à attirer les hommes et renforce leur désir..

Mirbeau manifeste aussi sa compassion pour les terribles et dangereuses conditions dans lesquelles les prostituées exercent leur métier et son admiration pour leur courage. Il exalte le noble amour qu’il leur arrive d’éprouver pour un homme qui n’est pas de leur milieu. Enfin, il réclame pour elle les mêmes droits et la même reconnaissance sociale que pour tous les autres travailleurs et imagine qu’un jour elle puisse être reconnue et honorée pour les éminents services qu’elle rend à la société. Mais ce jour-là, s’il arrive jamais – Mirbeau n’y croit naturellement pas –, pourra-t-on encore parler de prostitution ? .



On peut consulter en ligne la traduction anglaise, The Love of a venal woman, et la traduction italienne, L’Amore della donna venale.

Voir aussi la notice Prostitution.

P. M.

 

Bibliographie : Alain Corbin, « Les Noces de la femme vénale », préface de L’Amour de la femme vénale, Indigo – Côté Femmes, 1994, pp. 29-43 (traduction anglaise, « The Venal Woman's wedding », et traduction italienne, « Le Nozze della donna venale »)   ; Alexandre Lévy, « L'Amour des prostituées (Mirbeau lecteur de Dostoïevski) », Cahiers Octave Mirbeau, n° 2, 1995, pp. 139-154 ; Pierre Michel, « Mirbeau et la prostitution », préface de L’Amour de la femme vénale, Indigo – Côté Femmes, 1994,  pp. 7-27 (traduction anglaise, « Mirbeau and prostitution »,  et traduction italienne, « Mirbeau e la prostituzione ») ; Pierre Michel,  « Octave Mirbeau et la femme vénale », in Métiers et marginalité dans la littérature, cahier n° XXX des Recherches sur l’imaginaire de l’Université d’Angers, Presses de l’Université d’Angers, mai 2004, pp. 41-54 ;  Octave Mirbeau, L’Amour de la femme vénale, Indigo – Côté Femmes, 1994 (traduction anglaise, The Love of a Venal Woman,  et traduction italienne, L’Amore della donna venale).

 

 


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