Pays et villes

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Terme
BELGIQUE

« Tout le monde sait qu’il n’y a pas de poètes en Belgique, qu’il n’y a rien en Belgique, et même que la Belgique n’existe pas…La Belgique n’est qu’une plaisanterie inventée, un jour de festin par M. Camille Lemonnier : une mauvaise plaisanterie. » Cette sentence péremptoire, signée Octave Mirbeau au bas d’un article « Propos belges », publié par le Figaro le 26 septembre 1890, aurait pu être prononcée un quart de siècle plus tôt par Charles Baudelaire. Le grand poète maudit avait fait pire, plus injurieux encore. Il avait des excuses : il était malade, poursuivi par ses créanciers et désespérément à la recherche d’un éditeur pour ses poèmes en prose ; ses conférences ennuyaient un maigre public bruxellois. La crise qui l’avait terrassé en l’église Saint-Loup de Namur lui avait rendu la Belgique définitivement antipathique. Seul, son ami Félicien Rops échappait à sa haine ( « Pas d’artiste excepté Rops », in Pauvre Belgique). Il faut reconnaître que le jeune état belge ne brillait pas par sa littérature à l’époque.

Léon Bloy, lui, n’avait aucune de ces excuses, vingt ans après Mirbeau, quand il écrivait dans son journal, le 2 février 1910 : « Les Belges… ces banlieusards de la littérature… Il y a des jours où je me demande si la Belgique existe réellement, si elle n’a pas été inventée. » Sans doute s’était-il souvenu de l’article du Figaro et en avait-il reproduit les termes, presque mot pour mot ; sans comprendre l’humour du grand imprécateur cependant. Évidemment ! Car Mirbeau ironisait bien sûr en 1890, et vilipendait, de sa plume grinçante, les réactions nombrilistes de ses compatriotes, jeunes ou vieux – Paul Adam notamment –, qui n’avaient pu supporter l’éloge dithyrambique qu’il avait fait, un mois auparavant, dans le même Figaro, d’un jeune écrivain inconnu de tous, sauf de Mallarmé, et qui avait le grand défaut de n’être pas Français. Pire, il était Belge, Flamand de surcroît.

Mirbeau, une fois de plus, s’était montré visionnaire. Il avait dû bien rire, en 1911, après avoir appris que le jury suédois avait attribué le prix Nobel de littérature à Maurice Maeterlinck. Il est étonnant qu’à cette occasion il n’ait pas songé à rappeler à ceux-là qu’il avait eu du nez. Était-ce de la modestie ? Peut-être, mais la maladie l’avait depuis longtemps contraint à se retirer des tribunes de la presse.

Mirbeau connaissait déjà la Belgique pour y avoir été au moins plusieurs fois. Dans lesdits « Propos belges », il précisait : « Je ne puis oublier, tout à fait ce que j’ai appris autrefois, ce que j’ai vu, ce qui m’a ému, ce qui m’a charmé. Bruxelles, Anvers, Bruges, Liège, Gand, toutes ces merveilles où dort tout un passé de gloire, où rayonne encore l’âme éternelle et protectrice de tant de génies : les Van Eyck, les Rubens, les Van Dyck, etc., comment admettre que tout cela n’est qu’un rêve ou qu’une blague de M.Camille Lemonnier ? » Le reste de son article était de la même eau à l’égard d’une Belgique «  terre unique où ceux d’entre nous, abreuvés d’amertumes, écœurés d’injustices, lassés de luttes stériles et sans espoir, ont eu cette joie si délicieuse et si grave de se sentir enfin compris, de se sentir enfin aimés ? » Il pensait à Mallarmé, J.-K. Huysmans, Verlaine (qui était un peu, et même beaucoup belge quand même !), et Villiers de l’Isle-Adam.

Le 16 juin 1880, comme correspondant du Gaulois, il avait fait à Bruxelles le compte rendu de l’inauguration de l’Exposition Universelle, la première d’une longue série en Belgique. Elle se déroulait sur le champ de manœuvres militaires d’Etterbeek et on y célébrait le cinquantième anniversaire de l’indépendance du pays. L’arc de triomphe n’était pas encore construit et le parc dit du Cinquantenaire n’était pas encore aussi vaste et arboré tel que Mirbeau le verrait, vingt-cinq ans plus tard, lors de son voyage dans sa Charron 628-E8. Ce compte-rendu du 16 juin, publié dans le volume 1 de la Correspondance générale, est à l’adresse d’Arthur Meyer, directeur du Gaulois et sous signature de Tout-Paris. Mirbeau y est très élogieux pour l’organisation et la réussite du spectacle, qu’il compare à celui de l’Exposition Universelle Paris le 1er  mai 1878… sauf la pluie qui avait épargné la capitale belge !

En septembre 1885, Octave Mirbeau entamait une correspondance avec Félicien Rops qu’il avait rencontré dans l’atelier de Rodin. Le peintre et caricaturiste namurois, ami de Baudelaire qui l’avait visité à Namur en 1864, était installé depuis plus de dix ans à Paris, où il séjournait entre de nombreux voyages en Hongrie, Espagne, États-Unis et Canada. Il est alors au sommet de son art et l’illustrateur le mieux payé de Paris ; il illustra notamment Mallarmé,  les Diaboliques de Barbey d’Aurevilly et Péladan. Mirbeau avait également eu le projet de faire illustrer certains de ses contes cruels par le maître belge. Le projet n’aboutira pas malgré l’accord et les essais de Rops. Mirbeau considérait Rops comme un des plus grands esprits de son époque ; il en a fait le portrait élogieux dans un article du Matin du 19 février 1886. Dans  Le Calvaire (1886), premier roman autobiographique signé Mirbeau et écrit à cette époque, le peintre Joseph Lirat est largement inspiré par la personnalité de Félicien Rops (voir Hélène Védrine : « L’influence du  peintre de la vie moderne »). Mirbeau  enverra à Rops un exemplaire dédicacé de l’édition originale du Calvaire en novembre 1886. Leur relation épistolaire en restera là, Rops rentrant pour un temps en Belgique. Le musée Félicien Rops à Namur rassemble une grande partie de sa production (www.museerops.be).

Mirbeau appréciait un autre artiste belge, Constantin Meunier, dont il avait fait connaissance par l’intermédiaire de Rodin et de Rops, en 1885 également. Camille Lemonnier avait fait découvrir au jeune peintre bruxellois la région de Charleroi et du borinage, terre de charbonnages et grandes industries métallurgiques. Meunier s’était alors consacré principalement à la sculpture, et le prolétariat, le peuple travailleur était devenu sa principale inspiration. Lemonnier lui a consacré une biographie éditée à Paris chez H. Floury, en 1904. Mirbeau l’a quant à lui révélé au public parisien dans son Salon de 1886, et en a refait l’éloge lors du Salon de 1893 (« Ceux du Champ-de-Mars »,). Dans La 628_E8, il décrit le vain combat de Meunier pour la statue de Zola.

1881 a été l’année du renouveau de la littérature belge. Cette année-là, un jeune étudiant, chassé de l’université de Louvain, Max Waller, rassemblait autour de lui, à Bruxelles, un groupe d’amis épris d’une fervente passion des livres et de la poésie, et fondait la Jeune Belgique. Aux pionniers, Georges Rodenbach notamment, se joindraient très rapidement d’autres jeunes écrivains comme Verhaeren, Van Lerberghe et surtout  Maurice Maeterlinck en 1886. Ce dernier, jeune avocat gantois, ferait, à vingt-huit ans, l’objet du désormais célébrissime article d’Octave Mirbeau dans Le Figaro du 24 août 1890 qui allait véritablement le propulser au firmament   de la littérature francophone puis mondiale. Il faut relire la correspondance que Mirbeau échangea, dès le lendemain dudit article, non seulement avec le jeune écrivain belge, mais avec d’autres écrivains, comme Mallarmé ou Hervieu, pour se rendre compte de l’impact énorme fait par ce coup d’éclat médiatique. Mirbeau a pris dès lors la mesure du génie de Maeterlinck, et ne cessera de l’aimer : dès le 8 septembre 1890, quinze jours après avoir découvert La Princesse Maleine, il rendait compte de son admiration, encore plus grande, pour L’Intruse et Les Aveugles, petits drames en un acte qui viennent d’être réédités, pour la première fois depuis près de cent ans, avec Les sept Princesses, sous le titre Petite trilogie de la mort, dans une édition critique, première du genre, de cet ensemble qui fit date dans l’histoire théâtrale. Il en sera de même pour Pelléas et Mélisande en 1892 et la Vie des Abeilles en 1900. Maeterlinck ne sera pas en reste et encensera son aîné pour Les Mauvais Bergers en mars 1898.

Georges Rodenbach était l’aîné de sept ans du jeune Maeterlinck. Il fit ses études à Gand, avec Émile Verhaeren, dans ce même collège Sainte-Barbe où devaient se rencontrer plus tard Maurice Maeterlinck, Charles Van Lerberghe et Grégoire Le Roy. Docteur en droit, lui aussi, il se consacre très tôt à la littérature, lance La Jeune Belgique avec Max Waller, y introduit ses trois plus jeunes condisciples, fait un premier séjour à Paris, où il reçoit les premiers éloges de François Coppée et Victor Hugo, puis revient en Belgique pour se mêler à la bataille littéraire qu’y livraient ses amis. Il fait son stage au barreau chez Edmond Picard, prononce l’éloge de Camille Lemonnier lors d’un banquet resté célèbre, puis s’installe définitivement à Paris en janvier 1888 comme correspondant du Journal de Bruxelles. Rodenbach fréquente alors les Mardis de la rue de Rome chez Mallarmé, le Grenier d’Edmond de Goncourt et publie en feuilleton Bruges-la-morte en février 1892 dans le Figaro. Il y rencontrera nécessairement Octave Mirbeau dont on connaît l’amitié pour Mallarmé et Goncourt et qui vient de renouer avec le Figaro à l’occasion de la première parution du Journal des Goncourt, mais ce n’est qu’à partir du printemps 1894 que les deux écrivains vont nouer des relations amicales lors d’un dîner chez les Rodenbach et surtout à propos de la représentation au Théâtre Français de la pièce du jeune belge Le Voile. Marguerite Moreno y tient le rôle principal et Léopold II, himsef  assiste à la première. Il ne s’agit évidemment pas du voile, objet des querelles actuelles, mais de celui d’une béguine et qui cache les cheveux dont rêve un jeune homme qui se retrouve tout dépité lorsqu’il les aperçoit enfin. Mirbeau n’y a pas assisté, bien qu’il ait promis d’être au moins présent à la générale ; il n’en fit aucun commentaire. Il intercédera pour que Rodenbach collabore au Figaro et en fera un éloge dithyrambique dans Le Journal du 15 mars 1896 à l’occasion de la parution des recueils de poèmes Les Vies encloses et Le Règne du silence, et surtout à la mort du poète le jour de Noël 1898, quelques semaines après le décès de Mallarmé, dans le même Journal du 1er janvier 1899. Dans le premier de ces articles, Mirbeau rappelle son affection pour la Belgique littéraire : « … n’est-il pas inutile – dussent quelques compatriotes s’alarmer de cette constatation – de redire que Georges Rodenbach nous vint de Belgique, de cette Belgique décriée, et qui, pourtant, avec l’auteur de Vies encloses, nous donna M.Maurice Maeterlinck et M.Émile Verhaeren, c’est-à-dire les trois noms les plus purs, et les plus retentissants, et les plus définitifs de la jeune poésie française ? »

Peu de Belges auront lu ces derniers éloges quand les passions se déchaîneront en Belgique contre les propos « au second degré », mais aussi  contre les vérités enfin révélées par Mirbeau dans La 628-E8 (1907).  1905 est une année cruciale en Belgique où on atteint le sommet de la polémique opposant les partisans de roi, maître du Congo, et les adversaires, de plus en plus nombreux, d’un système esclavagiste et spoliateur. Mirbeau y débarque en Charron dernier modèle ; il passe par Bruxelles et Anvers avant de visiter la Hollande et l’Allemagne. En 1907 il publie un récit de son voyage : Bruxelles, son roi, et le catholicisme omniprésent en Belgique n’y sont pas épargnés. Cette « autofiction » est un chef-d’œuvre à maints égards ; peu le comprendront en Belgique notamment. Les réactions seront virulentes, telles celles de  Pierre Broodcoorens dans La Belgique artistique et littéraire de février 1908 . Même Maurice Maeterlinck, dans un article schizophrénique, mais néanmoins subtil, y va de son petit couplet patriotique et réparateur dans Le Figaro du 30 décembre 1907 intitulé « Chez les Belges 

Au total pourtant, peu de Français ont aimé la Belgique comme Mirbeau et peu l’ont bien comprise comme lui, en lui disant ses vérités. Les plus terribles sont à présent sorties de dessous l’éteignoir qui les couvrait depuis un siècle. C’est un Belge qui vous le dit.

M. Bo.


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