Pays et villes

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ETATS-UNIS

Mirbeau et les États-Unis

 

Octave Mirbeau a des États-Unis une opinion ambivalente, globalement plus négative que positive, et qui paraît liée à l’ambivalence de la liberté qui est supposée y régner. Terre nouvellement conquise et propice aux grandes aventures comme aux grands crimes, fascinante autant que répulsive, l’Amérique semble bien être à ses yeux le territoire de toutes les audaces et de toutes les libertés. Il les approuve de tout cœur quand il s’agit de la liberté d’être affranchi de tous les préjugés, de pouvoir s’exprimer sans contraintes, de créer des richesses sans être paralysé par une bureaucratie tardigrade et tatillonne. Mais l’état social qui s’est instauré aux États-Unis pourrait bien n’être que la continuation de l’état sauvage et de la loi de la jungle, qui autorise les plus forts à écraser impitoyablement les plus faibles sous leur « talon de fer », selon la forte expression de Jack London. D’un côté, en effet, le struggle for life y bat son plein (« le revolver et la boxe synthétisent nettement le libéralisme américain », note Mirbeau) et le monde des affaires, sans foi ni loi, lui apparaît comme du gangstérisme, qui permet à des spéculateurs sans scrupules, tel Jay Gould, d’amasser impunément de colossales fortunes mal acquises, en ruinant des dizaines de milliers de personnes : « Ces façons d’opérer font pâlir un peu les timides machinations de nos petits banquistes » (« Tout à l'Amérique »,  Paris-Journal , 20 mai 1882). Ce qui, tout bien considéré, n’implique pas pour autant que les affairistes français vaillent vraiment mieux : « À presque toutes ces fortunes s’attachent des histoires scandaleuses de vols, des légendes de crimes. [...] Nous n’avons pas la même morale. Ce qui, chez nous, serait blâmable et puni, est, là-bas, permis et récompensé », mais, ajoute lucidement Mirbeau, c’est « nous qui ne sommes que des hypocrites » (« Allmighty dollar », Le Matin , 13 novembre 1885)... D’un autre côté, l’ascenseur social fonctionne à plein et des hommes partis de rien, mais dotés d’une forme de génie qui ne serait pas forcément reconnue en France, tels Gordon Bennett (dont la carrière est retracée dans « Tout à l’Amérique », Le Gaulois, 10 juin 1880) ou, plus encore, Vanderbilt, auquel est consacrée une autre chronique portant le même titre, peuvent  créer des richesses inouïes dont ils ne sont pas les seuls à profiter : « Il n’y a que l’Amérique pour produire de pareils hommes », qui lui confèrent le « cachet d’excentricité prodigieux qui caractérise ce peuple » (« Tout à l'Amérique »,  Paris-Journal). Les figures contrastées de ces multimillionnaires, qui « se battent à coups de chemins de fer, de câbles et de tableaux », incarnent, aux yeux de Mirbeau, « l’Amérique cocasse et fantaisiste telle qu’on la voit dans les livres de Mark Twain et de Brett Harte » (« Allmighty dollar », loc. cit.).   

Sur le plan artistique, même contraste. D’un côté, Mirbeau déplore que, du fait de la toute-puissance du dollar, des « marchands de cochons » et autres nouveaux riches incultes achètent, par snobisme et par simple imitation, des œuvres d’art européennes, et en particulier des toiles impressionnistes désormais invisibles en France, faute d’amateurs locaux en suffisance (« Et dire que tout cela s’en va en Amérique ! Ah ! les infâmes brutes que les Français ! », écrit Mirbeau à Claude Monet en 1889). Mais il existe aussi des millionnaires dotés de goût, tel Vanderbilt, qui a pour l’art « l’amour éclairé et fin du dilettante » et qui est prêt à traverser l’Atlantique pour acheter à Rome un tableau qui « lui plaît » (« Tout à l'Amérique »).

Le fictif Dickson-Barnell, milliardaire américain des 21 jours d’un neurasthénique (1901), illustre bien l’ambivalence des jugements du romancier face à ces curieux spécimens d’Américains. Impitoyable, doté d’une « inébranlable volonté » et persuadé que tout s’achète et qu’il suffit d’en évaluer la valeur marchande, il a acquis une richesse tellement énorme que sa capacité d’en jouir a complètement disparu. Nouveau Midas, dégoûté de tout, il a fini par se convaincre d’expérience que « les riches ne peuvent pas être heureux », parce que « le bonheur, c’est autre chose que la richesse » et que « c’est même le contraire » : la vie est décidément pour lui aussi « infumable » que les cigares « faits tout entiers avec des feuilles d’or ».

 

Mirbeau aux États-Unis

 

Les États-Unis ont été pour Mirbeau une terre d’accueil non négligeable, qui a profité de ce que la prude Angleterre a tardé à traduire ses romans les plus célèbres. Une de leur originalité a été de publier plusieurs de ses œuvres en français à destination d’un public francophone local. Au premier chef Les affaires sont les affaires, qui a eu droit à trois éditions : d’abord à New York, chez L. Weiss and C°, dès 1903, puis en 1939, également à New York, chez D. Appleton Century C°, avec une introduction et des notes de Charles A. Rochedieu et Paul T. Manchester, et enfin, en 1941, à New York et Cincinnati, à l’American Book Compagny, dans un recueil de French Plays. Pour sa part, Scrupules a été publié en français en 1940, toujours à New York, par The Dryden Press, dans un recueil intitulé Lever de rideau, et Le Journal d’une femme de chambre en 2001, chez Elibron, dans la collection « Elibron classics ». Ces dernières années, profitant de ce que Mirbeau est tombé tardivement dans le domaine public outre-Atlantique, des éditeurs comme Kessinger et Bibliobazaar ont réédité plusieurs volumes en les scannant à partir d’une édition originale et en les imprimant au fur et à mesure des commandes : ainsi ont reparu, en français, Les Mauvais bergers, Le Portefeuille, Chez l’Illustre Écrivain et Le Jardin des supplices, et ce n’est sans doute qu’un début. Le prix à payer, c’est la mauvaise mise en page et le nombre des coquilles dues à un travail purement mécanique non suivi des indispensables corrections.

Les deux œuvres les plus souvent traduites outre-Atlantique sont, comme d’habitude, Le Jardin des supplices et Le Journal d’une femme de chambre.

* Le premier a eu droit à onze éditions, dans au moins deux traductions différentes et sous trois titres différents : Torture garden, New York, Berkley, 1931 ; Torture garden, New York, Claude Kendall, 1931, traduction, fidèle et convenablement rendue, d'Alvah Bessie, et  brève préface de James Huneker ; Torture garden, New York, The Citadel Press, 1948 (rééditions en novembre 1948, janvier 1949 et septembre 1953) ; Torture garden, New York, Berkley Books, 1955 (réédition en novembre 1956) ; Torture garden, Los Angeles, John Amslow and associates, collection « Classic horror tale », 1964 ; Torture garden, New York, Lancer Books, 1965, préface de L. T. Woodward ; A Chinese torture garden, New York, Award Books, 1969, traduction de Raymond Rudorff, d’où a disparu le Frontispice ; The Torture garden, San Francisco, Re/Search publications, 1989 (rééditions en 2000 et 2004) ; Torture garden, New York, Hippocrene books, 1990, introduction de Brian Stableford ; The Torture garden, The Olympia Press (A Division of Disruptive Publishing), The New Traveller’s Companion Series, n° 44, août 2004 (réédition en août 2005) ; et  The Torture garden, Charles Press Publications, ou Lulu Press, mai 2008.  

* Le second a eu droit à treize éditions sous cinq titres différents et dans au moins trois traductions différentes : A Chambermaid's Diary, New York, Tucker, 1900, traduction, infidèle et autocensurée, de Benjamin R. Tucker ;  The Experiences of a Ladies' Maid , New York, The Stuyvesant Press, 1911, sans nom de traducteur ; Célestine, being the Diary of a Chambermaid, New York, William Faro, collection « Modern Amatory Classics », n° 2, 1930 (rééditions en 1932 et 1933), traduction de Alan Durst ;   Diary of a Chambermaid, New-York, International Humor Publications, 1945, traduction-adaptation de Keene Wallis, qui a raccourci plusieurs chapitres ; Diary of a Chambermaid, New York, Didier, 1946, sans nom de traducteur, préface de Jules Romains traduite en anglais ; Diary of a Chambermaid, New York, Avon Publications, 1956, sans nom de traducteur, édition fort incomplète ; Celestine. Being the Diary of a Chambermaid, Award Books, mai 1965, traduction d’Alan Durst, introduction de Daniel Seltzer ; Diary of a Chambermaid, New York, Hippocrene, 1992 ; Celestine, being the Diary of a Chambermaid, in Three More Naughty French Novels, New York, Quality Paperback Book Club, 2002 ;  Celestine : The Diary of an English Chambermaid (sic), Olympia Press, « The New compagnon series »,  2005, traduction d’Alan Durst (réédition en novembre 2006 et en octobre 2008) ;  The Diary of a Chambermaid, New York, Harper Collins, First Harper Perennial ed., mars 2007, sans indication du nom du traducteur ; A Chambermaid's Diary, Whitefish (Massachusetts), Kessinger Publishing, novembre 2009 (réédition à l'identique de l'édition de 1900, traduction de Tucker) ;  A Chambermaid's Diary, General Books, 2009 (mauvais scan de l'édition de 1900, dans la traduction de Tucker).     

Un seul autre roman de Mirbeau a été traduit outre-Atlantique : Le Calvaire (Calvary). Il a paru d’abord en 1922 à New York, chez Lieber and Lewis, dans une traduction de Louis Rich ; il a été réédité deux ans plus tard, chez un autre éditeur new-yorkais,  Albert et Charles Boni ; puis en 2009, à  Charleston, chez Bibliolife - Bibliobazaar, dans une édition qui n’est que le scan de celle de 1922. Une traduction de Dans le ciel (In the Sky), entamée par Ann Sterzinger, n’a malheureusement pas abouti à une publication. Pour ce qui est du théâtre, Les affaires sont les affaires (Business is business) a triomphé à New York et à Chicago en 1904 et a été publié la même année à New York, dans une traduction de Robert Hichens, qui semble avoir été un peu raccourcie et édulcorée. Sous le même titre a été représentée en 2004, au John Drew Theatre d'East Hampton (État de New-York) une nouvelle traduction-adaptation due à Bru Dye, qui ne semble pas avoir été publiée. Nous ne connaissons pas les dates des représentations des autres pièces de Mirbeau, dont deux seulement ont donné lieu à des traductions. Scrupules  a eu quatre éditions, sous deux titres différents et dans quatre traductions différentes : The Real honest man, Richmond, Dietz Print, 1902, traduction de William Finney ; Scruples, New York, Samuel French, collection « French international copyrighted - Edition of the works of the best authors », n° 582, 1923, traduction de Clyde Barrett ; Scruples, New York, Brentano’s, 1923, traduction et introduction de Pierre Loving, dans un volume intitulé Ten minute plays ; et Scruples, New York, The Dryden Press, 1940, traduction de Henry Stanley Schwarz. Quant à L’Épidémie (The Epidemic), c’est Jacques-Martin Barzun qui l’a traduit et publié à deux reprises, en 1949 et 1957, à Bloomington,  à The University of Denver Press, dans la collection « From the Modern Repertoire ».  

En ce qui concerne les contes et les chroniques de Mirbeau qui ont certainement été traduits et publiés dans la presse états-unienne, de son vivant et après sa mort, la recension reste à faire. Signalons seulement que, dans  The Decadent Reader - Fiction, Fantasy, and Perversion from Fin-de-Siècle France  (New York, Zone Books, collection « Zone readers », 1998, pp. 961-1005), figurent cinq contes de Mirbeau traduits par Emily Apter : « Poor Tom ! » (« Pauvre Tom »), The Octogenarian (« L’Octogénaire »), « Dead Pearls » (« Les Perles mortes »), « The Ring » (« La Bague ») et « Clotilde and I » (« Clotide et moi »), et que, de son côté, Robert Helms a traduit et mis en ligne sept contes sur le site Internet d’Infoshop :   A Dogs death (« La Mort du chien »), Before the burial (« Avant l’enterrement »), The Baby (« L’Enfant »),  Elections (« Les Élections »), The Sacred bird  (« L’Oiseau sacré »), The Wall (« Le Mur ») et The Justice of the peace (« La Justice de paix »).

Il est à remarquer enfin que nombreux sont les universitaires des États-Unis à s’être intéressés à Mirbeau, plus, peut-être, que dans la plupart des autres pays étrangers. C’est ainsi que Martin Schwarz, de l’université de Virginie, a publié en 1966, chez Mouton, Octave Mirbeau. Vie et œuvre ; qu’Alexandra Gruzinska, de l’université d’Arizona, a soutenu en 1973 sa thèse sur La Femme et ses paysages d'âme dans l'œuvre romanesque d'Octave Mirbeau ; et que Robert Ziegler, de l’université du Montana, maître incontesté des études mirbelliennes en Amérique du Nord, a publié en 2007, chez Rodopi, The Nothing Machine : the fiction of Octave Mirbeau, et a fait paraître une vingtaine d’articles sur Mirbeau, en français et en anglais, dans des revues françaises (Cahiers Octave Mirbeau) et anglophones. Il convient également de citer les noms de Julia Przybos, Emily Apter, Isabelle Genest, Stephen Christensen, Jennifer Forrest, Ioanna Chatzidimitriou, Lawrence Schehr, Olga Amarie, Christina Chabrier, Sarah Mallory, etc., qui témoignent de la vitalité de la mirbeaulogie aux States.


P. M. 

 

Bibliographie : Robert Helms, « Célestine dismembered : the Octave Mirbeau experience in english, Clamor, n° 3, Bowling Green (États-Unis), juin-juillet 2000, pp. 52-56 ; Martin Schwarz, « Les Idées anarchiques de Mirbeau et l’Amérique », Cahiers Octave Mirbeau, n° 4, 1997, pp. 52-59.

 

 

 

 

 

           

 

 

 


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