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TÊTES DE TURCS

C’est sous le titre de Têtes de Turcs qu’a paru, le 31 mai 1902, un numéro spécial, n° 61, de L’Assiette au beurre, hebdomadaire satirique d’inspiration libertaire, anticléricale et antimilitariste. Ses 20 pages très grand format sont entièrement rédigées par Octave Mirbeau et illustrées par Léopold Braun. Le texte de Mirbeau présente, en quelques lignes mordantes, parfois même assassines pour les anti-dreyfusards, un certain nombre de personnalités de « l’actualité parisienne, toujours fumiste ou sentimentale », comme Mirbeau la qualifie dans le « Frontispice », « avant qu’elles ne s’évaporent pour jamais » : « c’est une exemplarité qui peut nous faire réfléchir sur les qualités de nos emballements. Un caprice les allume ; un autre les éteint… C’est la vie, et c’est leur vie… Il y a bien de la tristesse, dans tout cela !...  »

On rencontre donc successivement : Alfred Chauchard, qui « ressemble à un loulou blanc de Poméranie » ; Paul Deschanel, « né coiffé… et même coiffeur » ; le docteur Doyen, chirurgien-boucher qui « perfectionne […] l’armement » avec son bistouri, sa scie et autres instruments de la même farine ; Henri Rochefort, dont la « vie n’a été véritablement qu’un crime perpétuel, une offense permanente à l’humanité » ; Boni de Castellane, « le môme Frisé » ;  Massenet, « le Coppée de la musique », et avec ça « poli, poli, poli » ; Porel, le directeur de théâtre de boulevard ; Lucien Millevoye, « l’homme politique le plus bête de la Chambre » ; Edmond Rostand – « Est-ce un poète ? » ; Eugène Brieux – « Le brieux est l’ennemi du bien » ; Édouard Drumont, « le dernier fléau inventé par Dieu le Père – qui s’y connaît en fléau ! – en vue de châtier son peuple chéri » ; Jules Lemaitre, « tombé, pour longtemps, de la poudre de riz du dilettantisme, dans la boue gluante du mensonge » ; Maurice Barrès, « dont le nez est long » et qui « a accompagné, pourtant d’un peu loin, M. Déroulède dans quelques-unes de ses expéditions » ; Ernest Constans ; Paul Bourget, « un cochon triste », qui a « inventé l’adultère chrétien » et qui est « entré vivant dans la mortalité » ; le sculpteur Denys Puech, « hardi industriel » du marbre et du bronze ; Henry Roujon, « chef de l’art, en France » et qui, à ce titre, « l’élève, le subventionne, le développe, le protège, le vulgarise, le vend, l’achète, l’épluche, le tamise, l’accommode, le mijote, le décore et, finalement, le sert dans les musées, où les amateurs le consomment » ; François Coppée, « tout petit rimeur des Batignolles » ; et Paul Déroulède, en exil « dans un casino, ce qui convient mieux à son attitude, à ses gestes, à son éloquence, à sa redingote ». Ce choix est un peu déconcertant, car s'y côtoient des ennemis politiques, que Mirbeau juge dangereux et/ou crapuleux, et des personnalités relativement insignifiantes, ou même avec qui Mirbeau a eu des relations plutôt cordiales (Massenet, Rostand, par exemple). Leur seul point commun, c'est d'avoir usurpé leur notoriété, qui est donc, selon lui, condamnée à n'être qu'éphémère, jugement ratifié par la postérité.

Pour démontrer cette usurpation, Mirbeau recourt à un procédé ironique qu’Arnaud Vareille appelle le contre-type et qu’il définit ainsi : « emploi récurrent du principe de contradiction logique entre le signifiant des personnalités citées (leur identité et leur image publique) et leurs signifiés (les valeurs qui leur sont attachées par Mirbeau) », ce qui permet « de mettre en lumière la discordance entre l’être et le paraître, qui serait devenue l’essence du social ».

P. M.

 

Biibliographie : Arnaud Vareille, « D'un usage particulier de la caricature chez Mirbeau : le contre-type », Cahiers Octave Mirbeau, n° 15, 2008, pp. 104-124.

 

 


THEÂTRE COMPLET

C’est sous ce titre que j’ai publié à deux reprises la première édition critique des neuf pièces de Mirbeau : la première a paru en octobre 1999 aux Éditions InterUniversitaires, à Saint-Pierre-du-Mont, en un seul volume de 668 pages ; la seconde en 2003, en quatre volumes, aux éditions Eurédit, de Cazaubon. La préface générale et les neuf introductions sont identiques, mais les notes ont été enrichies par les variantes du texte imprimé par rapport aux manuscrits nouvellement découverts. Cette édition ne comporte aucune œuvre nouvelle, par rapport à la précédente édition du Théâtre de Mirbeau, parue chez Flammarion en trois volumes, en 1921-1922, et dépourvue de tout appareil critique.

Curieusement, Mirbeau n'est venu que tardivement au théâtre, hors La Gomme (voir la notice), alors que ses qualités de dialoguiste, son sens de l’observation et sa verve comique pouvaient lui laisser espérer de grands succès dramatiques. Il était en effet convaincu que le vieux théâtre avait fait son temps et qu'il était condamné à mort : victime du mercantilisme des directeurs de théâtre, du misonéisme d'un public abêti, de l'incompétence d'une critique tardigrade, et de l'industrialisme des auteurs dramatiques.  Pour que le théâtre renaisse, il aurait fallu, à l’en croire, une véritable révolution culturelle, à laquelle il n’a jamais cru. Pourtant il a fini par se décider à se servir de cette forme moribonde, comme il s'est servi du journalisme et du roman pour lesquels il était pareillement critique, afin de travailler à éveiller les consciences. Dans son dispositif de combat, il a conçu trois types de pièces :

 – Une tragédie prolétarienne : Les Mauvais bergers (1897), sur un sujet proche de celui de Germinal. Mais il n'était pas satisfait de sa pièce, a pris conscience qu’il avait fait fausse route et aurait voulu la supprimer de la liste de ses œuvres.

Deux comédies de caractères et de mœurs, pour lesquelles il a dû mener deux difficiles batailles avant de parvenir à les faire représenter sur la prestigieuse scène de la Comédie-Française : Les affaires sont les affaires  (1903), où, avec le brasseur d’affaires Isidore Lechat, il a créé un type destiné à durer et qui a triomphé sur toutes les scènes d'Europe, et Le Foyer (1908), qui a suscité un beau scandale parce qu’il y dénonçait la charité-business,  l'exploitation économique et sexuelle des enfants et la collusion entre politiciens et affairistes. Pour traiter des sujets à implications sociales immédiates, Mirbeau y renoue avec la tradition moliéresque : il place au centre de ses pièces des caractères complexes et vivants, des types fortement individualisés, à la fois humains et théâtraux, que l'on peut détester en tant qu'incarnations des pourritures sociales, mais que l'on peut également plaindre en tant qu'individus accessibles à la souffrance. Tout en s’accordant certaines libertés avec la vraisemblance, la bienséance et les canons de la pièce « bien faite » selon le modèle de Scrib sacralisé par Francisque Sarcey, il joue néanmoins le jeu de l’illusion théâtrale et respecte les conventions considérées alors comme incontournables : concentration dramatique, conflits humains, primauté du dialogue, répliques à effet, souci de la crédibilité.

. Les Farces et moralités (1904) recueil de six pièces en un acte, où des moyens farcesques, qui permettent la distanciation et le rire du spectateur, sont mis au service d’un objectif didactique avoué, comme les moralités médiévales. Mais, au lieu de prétendre édifier les âmes, il se livre au contraire à un chamboule-tout jubilatoire de tout ce qu'un vain peuple craint (la loi, la propriété, la police, le pouvoir politique, la presse) ou respecte (l'amour, la morale, le mariage). Rompant avec les règles de la dramaturgie classique, il porte la contestation jusqu’à cette fausse monnaie qu’est le langage.

Hors Les Mauvais bergers, qui a mal vieilli, et Interview, farce médiocre, force est de reconnaître que le théâtre de Mirbeau, à la fois très classique et très moderne, a conservé tout à la fois son actualité, sa vis comica et sa portée hautement démystificatrice : aussi bien, depuis plus d’un siècle, son succès ne s’est-il jamais démenti et ses pièces sont-elles régulièrement reprises.

Voir aussi les notices Théâtre, Les Mauvais bergers, Les affaires sont les affaires, Farces et moralités et Le Foyer.

P. M.

 

 Bibliographie : Wolfgang Asholt, « Théâtre de combat », in Gesellschaftkritisches Theater im Frankreich der Belle Époque, Heidelberg, 1984, pp. 248-259 [en allemand] ; Philippe Baron, « La Technique dramatique d’Octave Mirbeau », Octave Mirbeau, Actes du colloque d’Angers, Presses de l’Université d’Angers, 1992, pp. 369-378 ; Maxime Bourotte, « Mirbeau et l’expressionnisme théâtral », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001, pp. 211-218 ; Samuel Lair, « Mirbeau dramaturge : des mythes et des monstres », in Un moderne : Octave Mirbeau, J. & S. – Eurédit, 2004, pp. 219-252 ; Pierre Michel, « Un dramaturge décapant », Les Combats d’Octave Mirbeau, Annales littéraires de l’Université de Besançon, 1995, pp. 233-275 ; Pierre Michel,  « Octave Mirbeau et le théâtre », préface du Théâtre complet, Eurédit , 2003, t. I, II, III et IV, pp. 7-17.    

 

 


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