Oeuvres

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LES ECRIVAINS

Il s’agit d’une publication posthume, parue chez Flammarion, en 1925 et 1926, en deux volumes de 270 et 280 pages.

Les Écrivains est un recueil de 73 articles de critique littéraire, réalisé sur les directives d'Alice Mirbeau, qui a trié d’une façon extrêmement discutable dans l’immense production mirbellienne. Ainsi y trouve-y-on plusieurs articles sur Zola, mais non « La Fin d’un homme », du 9 août 1888, ni l’article sur La Terre, sans doute pour cause de réconciliation avec l’auteur de J’accuse. Mais cela ne représente qu'une petite partie de la production critique du journaliste. La totalité des textes de Mirbeau sur la littérature, le journalisme et l’édition, au nombre de 187, a été recueillie dans Combats littéraires.

P.M. 


Bibliographie : voir celle des Combats littéraires


LES GRIMACES

Les Grimaces est un hebdomadaire, petit format et à couverture de feu, qui a paru du 21 juillet 1883 au 12 janvier 1884. Le rédacteur en chef en était Octave Mirbeau, qui disposait de trois collaborateurs : Paul Hervieu, Étienne Grosclaude et Alfred Capus. Les fonds du journal étaient fournis par Edmond Joubert, vice-président de la Banque de Paris et des Pays-Bas, et par les frères de Mourgues, imprimeurs. Joubert a rapidement mis fin à l’expérience, sans qu’on en connaisse exactement les raisons. Peut-être a-t-il considéré que Mirbeau n’était pas assez docile, ou que ses appels à l'émeute sanglante et libératrice étaient devenus trop dangereux pour le maintien de l’ordre nécessaire à ses affaires.

Au cours des six mois de vie de cet organe pamphlétaire, Mirbeau s’est généralement acquitté des éditoriaux. Mais il a aussi tenu la rubrique théâtrale, signée du pseudonyme transparent d’Auguste. Des notes de lecture ont aussi paru anonymement. Quelques-unes de ses plus célèbres chroniques politiques ont été publiées par sa veuve en 1928, chez Flammarion, sous le titre Les Grimaces et quelques autres chroniques. Les articles  et notes de lecture ayant trait à la littérature ont été recueillis dans ses Combats littéraires (L'Age d'Homme, 2006). Mirbeau y tresse des éloges à Barbey d’Aurevilly, Jules Vallès, Guy de Maupassant, Tourgueniev, Paul Bourget et Georges de Peyrebrune. Mais il est sans pitié pour Alphonse Daudet, Maizeroy et Georges Ohnet.

 

Un organe de combat



Pour Mirbeau et ses commanditaires, Les Grimaces est avant tout un organe de combat contre les opportunistes au pouvoir, qu’il accuse d’être « une bande de joyeux escarpes » qui ont fait main basse sur la France. Dans son « Ode au choléra », qui ouvre le premier numéro, à défaut de « l’émeute libératrice », il en appelle au choléra vengeur, « notre dernier sauveur », pour débarrasser le pays de « la horde de bandits qui déshonorent la France ». Ce faisant, il sait qu’il peut toucher un très vaste public : aussi bien des lecteurs de gauche et d’extrême gauche, qui détestent la République des Jules, accusée d’avoir trahi les espérances mises en elle, et qui saluent une œuvre de salubrité publique, que des monarchistes de toutes obédiences, qui apprécient un organe perçu comme anti-républicain, et donc susceptible de servir la cause de la restauration.

Mirbeau conçoit son hebdomadaire comme un moyen privilégié de faire éclater les scandales étouffés par une presse complaisante ou vénale (voir par exemple « Le Procès de la finance républicaine », 1er septembre 1883), de mettre à nu la pseudo-République, et de démasquer les puissants en révélant les hideux ressorts de leurs âmes, derrière leurs avantageuses « grimaces » de respectabilité – terme emprunté à Pascal pour désigner tout ce qui vise à frapper et duper l’imagination des faibles. L’affiche de lancement des Grimaces, placardée au cours du mois de juillet 1883, est très claire sur ses objectifs d’émancipation intellectuelle d’un public « dupé » et « perverti » : « Si tu veux t’affranchir de cette servitude, [...], à travers ces pages, tu verras grimacer tout ce faux monde de faiseurs effrontés, de politiciens traîtres, d’agioteurs, de cabotins et de filles, toutes ces cupidités féroces, qui te volent non seulement tes écus, mais jusqu’à ta virilité, jusqu’à ta nationalité, jusqu’à ton amour de la Patrie. L’heure est sombre. Il faut lutter – ou tomber. Les Grimaces paraissent pour donner le signal du branle-bas ! » Ce travail de démystification des mensonges sur lesquels repose l’ordre bourgeois, Mirbeau le poursuivra dans toute son œuvre à venir.

L’un des moyens mis en œuvre, dans Les Grimaces, est la dérision, à laquelle Mirbeau restera fidèle. Mais ici il recourt plus souvent, dans ses éditoriaux, à l’emphase et à la violence rhétorique, dont témoigne notamment l’article liminaire, la fameuse « Ode au choléra », et qu’il ne tardera pas à abandonner. Pour l’heure, il se complaît parfois dans l’évocation des catastrophes qui, inévitablement, s’abattront un jour sur la France moribonde et des révoltes populaires qui ne manqueront pas d’abattre un régime exécré (voir notamment « La Fin », 16 octobre 1883).

 

L’antisémitisme



Malheureusement Les Grimaces comportent aussi un certain nombre d’articles antisémites, qui ont contribué à ternir durablement l’image du futur justicier et qu’il ne s’est jamais pardonnés. Les uns sont anonymes, ou signés de correspondants, réels ou fictifs, en France ou à l’étranger ; les autres sont signés Mirbeau et dénoncent, notamment « l’invasion » (15 septembre 1883) et la déplorable cosmopolitisation de la France qui en résulte et qui en parachève la décadence. Il fera un premier et modeste mea culpa un an plus tard, le 14 janvier 1885, dans « Les Monach et les Juifs », et un deuxième, le 15 novembre 1898, au cours de l’affaire Dreyfus, dans « Palinodies ! ». Ce qui est le plus choquant, dans ces pages affligeantes, c’est la reprise de stéréotypes racistes développés par Alphonse Toussenel dans Les Juifs, rois de l'époque : histoire de la féodalité financière (1847), et qui seront popularisés par Édouard Drumont dans La France juive (1886).

Ces articles sont évidemment inexcusables. Mais il convient tout de même de les resituer dans leur contexte historique, antérieur à l’affaire Dreyfus, pour éviter tout jugement anachronique :    l’antisémitisme est alors extrêmement répandu, sur tout l’échiquier politique, non seulement à droite et à l’extrême droite, catholique et nationaliste, comme il continuera de l’être après l’Affaire, mais aussi à gauche et à l’extrême gauche, où il rime bien souvent avec anticapitalisme et anti-oligarchie, de sorte qu’il faudra attendre l’affaire Dreyfus pour que les anarchistes et les socialistes renoncent définitivement à ce thème mobilisateur et consensuel. Par ailleurs, pour le banquier commanditaire des Grimaces, l’antisémitisme est une arme dans la concurrence entre Paribas et la banque Rothschild, que l’on accuse alors d’être responsable du récent krach de la grande banque catholique, l’Union Générale (janvier 1882). Comme Mirbeau n’est pas encore maître de sa plume, force lui est de se soumettre aux directives de son employeur, quitte, dans le n° du 15 décembre, à appeler ses frères, « les prolétaires de lettres,  ceux qui sont venus à la bataille sociale avec leur seul outil de la plume », à « serrer leurs rangs et poursuivre sans trêve leurs revendications contre les représentants de l’infâme capital littéraire ».

Voir aussi Grimaces et Antisémitisme.

P. M.

 

Bibliographie : Claude Herzfeld,   « Méduse et Les Grimaces », Cahiers Octave Mirbeau, n° 7, avril 2000, pp. 87-94 ; Pierre Michel et Jean-François Nivet, Octave Mirbeau, l’imprécateur au cœur fidèle, Librairie Séguier, 1990, pp. 157-174 ; Jean-François Nivet,  « L'Antisémitisme d'Octave Mirbeau », L’Orne littéraire, juin 1992  pp. 47-59.

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LES MAUVAIS BERGERS

Les Mauvais bergers est un drame en cinq actes et en prose, créé le 14 décembre 1897 au théâtre de la Renaissance, par Sarah Bernhardt et Lucien Guitry, les deux plus grandes stars du théâtre de l’époque. Elle a paru en volume chez Fasquelle en mars 1898.

C’est une tragédie prolétarienne, sur un sujet proche de celui de Germinal. Tragédie, parce que, une fois posée la situation de départ, le dénouement sanglant est inscrit dans le rapport de forces initial entre les classes antagonistes. Prolétarienne, car l’action est située dans une région industrielle et met aux prises des ouvriers d’usine qui partent en grève et se confrontent à l’inflexibilité de leur patron, Hargand. Longtemps passifs et résignés, comme le vieux Thieux, qui vient de perdre sa femme et qui est lui-même usé et vieilli prématurément, ils se mettent en branle sous l’impulsion et la houlette d’un rouleur doté du nom symbolique de Jean Roule, bientôt suivi par la jeune Madeleine, fille de Thieux, qui tombe vite amoureuse du jeune étranger et si éloquent et si révolté. Jean Roule parvient à susciter une grève et par présenter toute une liste de revendications. Mais la grève s’éternise, parce que Hargand, encouragé par les autres industriels, refuse toute discussion. La faim commence à produire ses effets, la zizanie s’introduit parmi les ouvriers, Jean Roule est même mis en accusation pour avoir refusé le soutien des députés socialistes, et on s’apprête à lui faire un mauvais sort, lorsque Madeleine se dresse et, grâce à son éloquence soudaine, parvient à retourner la situation et à sauver son amant. Hargand fait appeler la troupe, qui tire sur les grévistes, comme à Fourmies le 1er mai 1891 : Jean Roule est tué, ainsi que Madeleine enceinte, et aussi le fils d’Hargand, Robert, jeune bourgeois idéaliste qui a en vain essayé de servir d’intermédiaire et qui a été rejeté aussi bien par Jean Roule que par son père et les autres industriels de la région.

Comme dans Germinal, la grève ouvrière est donc écrasée dans le sang. Mais, à la différence des dernières lignes du roman de Zola, qui laissent miroiter les germinations futures, le dénouement est totalement nihiliste et ne laisse subsister aucun espoir : car avec Madeleine meurt l'enfant de Jean Roule, qui aurait pu symboliquement incarner les promesses du futur. Cette absence totale de perspectives a soulevé la colère de Jean Jaurès, qui s’offusque de surcroît de la mise en accusation des députés socialistes, jugés par Jean Roule irresponsables et indifférents (« Effarant », titre-t-il son article). Et aussi l'incompréhension de l'anarchiste Jean Grave, pour qui, faute de la moindre lueur d’espoir, il ne resterait plus alors qu’à aller piquer une tête dans la Seine. Mais cela n’empêchera pas maints groupes anarchistes de la jouer et de la diffuser à travers l’Europe, notamment à Barcelone, Anvers et Berlin (dans une traduction de Gustav Landauer).

Comme Zola, Mirbeau fait alterner les actes situés dans les deux univers antagonistes et si radicalement étrangers l’un à l’autre. La misère et la dignité des uns contrastent éloquemment avec le luxe et la bonne conscience homicide des autres. Pour autant il refuse tout manichéisme : s’il est vrai qu’il peint des patrons odieux et stupides à l’acte II, leurs propos sont directement inspirés par l’enquête de Jules Huret sur la question sociale ; en revanche, le patron, Hargand, est humanisé, il souffre réellement, et il n’est ni ridicule, ni vraiment antipathique, malgré son intransigeance ; quant à Madeleine et Jean Roule, ce sont eux aussi des « mauvais bergers », puisqu’ils conduisent leurs frères à un sacrifice inutile, comme  Mirbeau le reconnaît lui-même (« Un mot personnel », Le Journal, 19 décembre 1897), au risque de se faire de nouveau critiquer par Jean Grave, pour qui les anarchistes ne sont pas des bergers.

Quant à l'esthétique théâtrale mise en œuvre, elle est beaucoup plus proche du symbolisme que du naturalisme, et le 5e acte se ressent de l'influence du 5e acte de La Princesse Maleine, de Maurice Maeterlinck, que Mirbeau a lancé à grand fracas en août 1890. Mirbeau se détachera très vite de cette pièce aux dialogues souvent emphatiques – selon les exigences de Sarah Bernhardt ! –, et il souhaitera même la biffer de la liste de ses œuvres. Même si ce n’a pas été véritablement un échec, car il y a eu 38 représentations, et nombre d’articles dithyrambiques ont paru dans la presse, il a tout de même eu le sentiment d’avoir fait fausse route : ce n’est pas devant des mondains venus, en attendant le souper,  éprouver des sensations fortes au spectacle de prolétaires massacrés et de la grande Sarah mourant dans les règles de l’art, qu’il faut proposer ce genre de pièce, mais au peuple lui-même, qui est e,ncore exclu de théâtres réservés aux nantis. Aussi bien Mirbeau va-t-il bientôt s’engager dans le mouvement pour un théâtre populaire. D’autre part, il a compris que l’émotion n’est pas compatible avec la réflexion : il va donc désormais choisir le genre comique, fût-il grinçant, châtier les mœurs par le rire et distancier les spectateurs pour mieux toucher leur esprit.

P. M. . 

 

 

Bibliographie : Wolfgang Asholt, « Les Mauvais bergers et le théâtre anarchiste des années 1890 », in Octave Mirbeau, Actes du colloque d’Angers, Presses de l’Université d’Angers, 1992, pp. 351-368 ; Philippe Baron, « Les Mauvais bergers au Vieux-Colombier », Cahiers Octave Mirbeau, n° 12, mars 2005, pp. 277-285 ; Monique Dubar, « Mirbeau, de Curel, Hauptmann : forces, faiblesses, luttes ouvrières à la scène », in Karl Zieger, Théâtre naturaliste – théâtre moderne, Presses de l’Université de Valenciennes, 2001, pp. 51-68 ; Walter Fähnders  et Christoph Knüppel,  « Gustav Landauer et Les Mauvais bergers », Cahiers Octave Mirbeau, n° 3, mai 1996, pp. 207-211  ; Jules Huret, « Les Mauvais bergers », Le Théâtre, 1er janvier 1898 (http://www.scribd.com/doc/8710568/Jules-Huret-Les-Mauvais-Bergers-dOctave-Mirbeau-) ; Pierre Michel,  « Les Mauvais bergers et Le Repas du lion », Cahiers Octave Mirbeau, n° 3, mai 1996, pp. 213-220 ; Pierre Michel,  « Introduction » aux Mauvais bergers, in Théâtre complet, Eurédit, 2003, t. I, pp. 25-35 ; Pierre Michel, Pierre, Albert Camus et Octave Mirbeau, Société Octave Mirbeau, 2005, 68 pages ; Pierre Michel, Pierre, « Octave, Sarah et Les Mauvais bergers », Cahiers Octave Mirbeau, n° 13, mars 2006, pp. 232-237 ; Pierre Michel, «  Mirbeau et Camus : éthique et ambiguïté », in Manipulation, mystification, endoctrinement, Actes du colloque de Lódz, Wydawnictwo Uniwersytetu Lódziego, 2009, pp. 157-169 : Fernand Vandérem, Gens de qualité, Paris, Plon, 1938, pp. 131-150.      

 

 


LES MEMOIRES DE MON AMI

Récit publié du 27 novembre 1898 au 30 avril 1899 dans Le Journal, Les Mémoires de mon ami constitue l’une des étapes essentielles du retour à la littérature que ne cesse de préparer Mirbeau depuis la crise morale qui l’a affecté au début des années 1890. Accaparé par la presse, à laquelle il donne d’innombrables contes et chroniques, il n’a rien publié depuis Sébastien Roch (1890). Sa dernière tentative romanesque, Dans le ciel, parue en feuilleton dans les colonnes de L'Écho de Paris en 1892-1893, lui a donné si peu satisfaction qu’il décide de ne pas la publier en volume. Par leur ampleur, Les Mémoires de mon ami renouent avec le désir de littérature. 

L’intérêt de ce récit est multiple. Au niveau formel, tout d’abord, Mirbeau use dans l’incipit, de l’artifice du manuscrit arrivé fortuitement entre les mains du narrateur-éditeur. Procédé classique destiné à attester de l’authenticité des pages à suivre, il servira, paradoxalement, de plus en plus à l’auteur pour ménager un seuil avant le récit lui-même, dans le but de préparer le lecteur à une approche critique et distanciée de la diégèse. Le texte livre ensuite un récit plutôt décousu dans lequel l’auteur du manuscrit passe en revue son existence. Les épisodes se succèdent au gré des souvenirs et le texte s’achève d’une manière aussi brutale que frustrante pour le lecteur, accoutumé à la complétude des récits finalistes exposant les tenants et les aboutissants de leurs péripéties.

Au niveau thématique ensuite, Mirbeau compile, dans ce recueil de situations existentielles, toutes les problématiques qui alimentaient déjà son œuvre et qui fourniront les motifs à la deuxième partie de sa carrière romanesque. L’incommunicabilité homme-femme en est le thème dominant, dès les premières pages, où la femme de Charles L…, l’auteur du manuscrit, porte le document au narrateur, ami de ce dernier. L’incompréhension dont elle témoigne relativement aux écrits de son mari défunt fait pendant aux propos de celui-ci dans son œuvre, évoquant leur dissentiment perpétuel. Un second thème, récurrent depuis les débuts littéraires de Mirbeau, est également présent. Si l’existence de Charles L…  se réduit à un état larvaire, ce n’est pas faute d’avoir essayé d’y échapper. L’aspiration à l’idéal en butte aux affres du quotidien alimente tous ses efforts et imprègne le récit. Créateur stérile, âme trop sensible rejetée dans le tourbillon de l’existence, Charles L… n’est qu’un noyé en sursis. Son inadaptation à la société et le décalage qu’il ne cesse de ressentir entre lui et les choses en font un précurseur de Meursault, ainsi que l’a relevé Pierre Michel. Reste la tentation de la révolte mais qui, elle aussi, avorte pour laisser place à la résignation. C’est là que Les Mémoires de mon ami se sépare des romans à venir. Accentuant la déconstruction du récit entamée avec ce bref texte, les œuvres futures en conserveront essentiellement la dimension testimoniale pour inciter le lecteur à la réflexion critique et à une prise de conscience salvatrice. En ce sens seulement, Charles L… préfigure Clara, Célestine, le narrateur des Les Vingt et un jours d’un neurasthénique ou celui de La 628-E8. L’hypocrisie morale, la mesquinerie petite-bourgeoise de ses beaux-parents comme des siens, l’incurie des juges désignent les cibles sur lesquelles va se focaliser l’engagement de Mirbeau. Enfin, la pitié qui imprègne plusieurs passages ajoute à l’unité d’inspiration d’une écriture autant préoccupée d’esthétique que d’éthique.

A. V.

 

Bibliographie : Octave Mirbeau, Les Mémoires de mon ami, in Chez l’Illustre Écrivain, Flammarion, 1920, pp. 133-298 (et collection « Une heure d’oubli », Flammarion, 1920) ; Pierre Michel, présentation des Mémoires de mon ami, in Contes cruels, II, Les Belles Lettres/Archimbaud, 2000, pp. 565-569 ; Arnaud Vareille,  préface aux Mémoires de mon ami, L’Arbre Vengeur, 2007, pp. 7-17 ; Robert Ziegler, « Jeux de massacre », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8,  2001, pp. 172-182.

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LETTRES A BANSARD

Les lettres de Mirbeau à son ami de jeunesse Alfred Bansard des Bois ont été achetées par Pierre Michel en 1967 et publiées par ses soins en 1989, à Montpellier, aux Éditions du Limon, dans la collection « Ego scriptor » (175 pages). Leur édition critique comporte une préface, des notes, une petite bibliographie, aujourd’hui dépassée, et un index.

Ces quelques soixante lettres de jeunesse couvrent une période allant de 1862, alors que le jeune Octave est interne chez les jésuites de Vannes, dans ce qu’il appelle « un véritable enfer », jusqu’en 1874, quand il envoie à son ancien confident une banale lettre de condoléances révélant que leurs voies ont divergé et que l’amitié de naguère n’existe plus qu’à l’état de vestige. La plupart des lettres ont été écrites dans les trois années qui précèdent la mort de sa mère et son départ à la guerre de 1870.

Elles présentent un triple intérêt.

* Tout d’abord, elles constituent pour le jeune écrivain en herbe un terrain d’exercice et d’expérimentation : il s’entraîne, il fait ses gammes, il met en œuvre tout un arsenal de procédés rhétoriques et stylistiques qui lui seront fort utiles dans la suite de sa carrière de chroniqueur, de polémiste et d’auteur dramatique. D’où un ébouriffant festival de cocasseries verbales et d’inventions lexicales, telles qu’on en retrouvera en particulier dans ses romans “nègres”.

* Ensuite, elles permettent de beaucoup mieux connaître le jeune Mirbeau, de suivre la genèse de sa personnalité d’adulte et d’écrivain et de mieux comprendre son œuvre littéraire à venir. Il dispose déjà d'une plume acérée et efficace et d'un humour corrosif, qui constitue aussi la meilleure des carapaces. Mais il est aussi rongé par la neurasthénie, il alterne les phases d'agitation frénétique et les périodes d'inertie contemplative, comme il en aura souvent par la suite, et il s'avère d'autant plus incapable de s'astreindre à une existence mortifère, dans le cercueil notarial de Me Robbe, qu'il est fasciné par Paris, la ville-poison, la Babylone moderne, qui est aussi la ville-remède, où il espère assouvir enfin ses désirs mal comprimés et ses ambitions sociales et littéraires. Le Mirbeau de la maturité est déjà tout entier dans le jeune provincial ambitieux, Rastignac doublé de Mme Bovary, pour qui l’ami Alfred ne sert guère que de réceptacle à confidences.

* Enfin, elles ont constitué une révolution dans la connaissance du jeune Mirbeau et dans la compréhension des douze années de prostitution politico-journalistique, qui vont suivre et qui étaient jusque là insoupçonnées. Car, loin d’être le conservateur catholique que les commentateurs ont longtemps prétendu, il apparaît déjà révolté contre la société bourgeoise, contre la langue de bois des politiciens, contre la chape de plomb du conservatisme et du conformisme provinciaux, contre la politique belliciste du Second Empire, et surtout contre l'Église romaine et les superstitions religieuses, tout juste bonnes pour des pensionnaires de Charenton ; et il en arrive à souhaiter la chute de l’Empire. L’intellectuel engagé et le libertaire passionné sont déjà tout entiers dans le jeune ambitieux, révolté et idéaliste, qui fait ses armes dans son bourg de Rémalard en rêvant d’évasion vers Paris.

Voir aussi les notices Bansard des Bois et Rémalard.

P. M.

 

Bibliographie : Alexandre Lévy, « Mirbeau épistolier : Lettres à Alfred Bansard des Bois », Cahiers Octave Mirbeau, n° 4, 1997, pp. 33-45 ; Pierre Michel, préface des Lettres à Alfred Bansard, Éditions du Limon, 1989, pp. 9-32 ; Pierre Michel,  « Octave Mirbeau de Rémalard », Colloque Octave Mirbeau, Actes du colloque du Prieuré Saint-Michel de Crouttes, Éditions du Demi-Cercle, 1994, pp. 19-34.

 

 

 


LETTRES A TOLSTOÏ

Plaquette de vingt pages, publiée à Reims, en 1991, par les Éditions à l'Écart, dans la collection « Lettres d'écrivains », et dont le tirage était limité à cent exemplaires numérotés. Elle comporte une importante lettre datée du 27 mai 1903, où Mirbeau oppose la clarté réductrice de « l'art latin » à la complexité vivante du roman russe, auquel il est redevable. Elle est suivie de la brève réponse de Tolstoï, datée du 12 octobre 1903. La présentation est de Jean-François Nivet et Pierre Michel.


LETTRES DE L'INDE

C’est sous ce titre qu’ont été publiés, en 1991, aux éditions de L’Échoppe, à Caen, onze pseudo-lettres prétendument envoyées d’Inde et qui ont été publiées en 1885 en deux temps, dans deux quotidiens supposés sérieux : Le Gaulois, où elles sont signées Nirvana (du 13 février au 22 avril), et Le Journal des débats, où la signature se réduit à N. (le 31 juillet et le 1er août). Le pseudonyme de Nirvana est particulièrement révélateur de l’idéal de sagesse dont rêve Mirbeau à cette époque, où il aspire à parvenir à un état de parfaite quiétude et de total détachement, qui aille au-delà l’ataraxie des stoïciens et des épicuriens. Mais, pas plus que l’abbé Jules, du roman homonyme de 1888, il n’a la moindre chance d’y parvenir, étant beaucoup trop sensible et passionné pour pouvoir être indifférent à quoi que ce soit.

Les Lettres de l’Inde constituent une mystification littéraire, car en réalité Mirbeau n'a jamais mis les pieds en Inde. Et, lorsque paraissent les quatre dernières lettres, où il rapporte une randonnée censée avoir été effectuée dans le Sikkim, les seuls rhododendrons de douze mètres qu’il aperçoive n’ont rien d’himalayen : ce sont ceux qu’il découvre de sa fenêtre, dans sa chaumière normande du Rouvray, près de Laigle (Orne).... Il vient alors d’achever sa mue et entreprend sa rédemption par le verbe en entamant ses grands combats pour son idéal de Justice et de Vérité dans tous les domaines, mais, étant lourdement endetté, il n’en a pas encore fini avec les besognes alimentaires, dont font précisément partie ces pseudo-lettres. Par la même occasion, il a le plaisir de damer le pion à un journaliste mondain qu’il n’apprécie guère, Robert de Bonnières (voir la notice), qui, lui, au même moment part réellement pour l’Inde, mais dont les reportages, fades et anodins, ne paraîtront que bien après ceux de Niirvana.

Travaillant sans vergogne pour un politicien opportuniste, son ami François Deloncle (voir la notice), à des conditions pécuniaires que nous ignorons, Mirbeau y met intelligemment à profit les rapports que celui-ci a adressés à Jules Ferry, alors président du Conseil, lors des missions officieuses qui lui ont été confiées en 1883, en vue d'inciter le gouvernement français à contrecarrer l'expansionnisme britannique. Son rôle de nègre consiste à donner une forme littéraire et à conférer le plus d’écho possible aux recommandations de son commanditaire, dont les rapports sont conservés dans les archives du ministère des Affaires étrangères. Dans les années 1960, ils ont été photocopiés, puis reliés en un volume, par les soins du petit-fils de Deloncle, Michel Habib-Deloncle, alors ministre des Affaires étrangères du général de Gaulle, lequel a accepté aimablement de me les confier pour les besoins de cette édition.

Dans ses lettres, le pseudo-Nirvana fait le récit de son voyage vers l’Inde mystérieuse à bord du Saghalien (dont Mirbeau reprendra le nom dans Le Jardin des supplices). Il fait d’abord escale à Aden, puis fait route vers Ceylan, visite Colombo et Kandy et rend notamment visite à un sage bouddhiste du nom de Sumangala. Puis il gagne Pondichéry, présenté comme le joyau de la colonisation française, avant de se rendre, en train et en sept jours, à Peshavar, aux confins de l’Afghanistan, puis dans l’Himalaya, à Darjeeling, et d’entreprendre la randonnée qu’il évoque dans les dernières lettres. Les lettres VI et VII sont des tentatives de synthèse sur l’Hindou, qui souffre certes de la faim infligée par les Anglais et qui, pour l’heure, se résigne à sa misère, mais qui, grâce au système des castes, finira bien par recouvrer sa liberté, et sur l’Afghan, fanatique et ignorant, qui a su arrêter quatre fois les Anglais et leur préfère les Russes, beaucoup moins brutaux..

Porte-plume de Deloncle, qui est un partisan convaincu des conquêtes coloniales et qui est doublement soucieux d’étendre la domination française et de stopper l’expansion anglaise, Nirvana se plaît à opposer le colonialisme homicide et ethnocide des Anglais à la conquête coloniale française, supposée civilisatrice et respectueuse des hommes et des cultures, notamment à Pondichéry – opposition que l'on retrouve, la même année, dans certaines des Chroniques du Diable. Néanmoins, il est beaucoup moins interventionniste que son commanditaire, qui a élaboré un vaste plan englobant notamment l’annexion rampante du Siam et une espèce de partage de la Perse avec la Russie. Il est difficile de savoir si cette modération du nègre résulte d’un partage des tâches entre un faucon et une colombe, ou bien est due à la libre initiative de Mirbeau, qu’auraient effrayé les projets de son ami. Reste qu’en donnant une image idéalisée du colonialisme français, il contribue, à sa façon, à la mystification colonialiste qu’il combat par ailleurs…

Par-delà la besogne alimentaire et la prostitution idéologique qu'elle implique, Mirbeau y exprime sa fascination pour la civilisation indienne, qui lui a inspiré, en 1885, une douzaine d’articles, dans La France et Le Gaulois. Il en admire en particulier le détachement, qui constitue une force admirable sur laquelle viendront buter les Anglais, et manifeste son intérêt pour le bouddhisme cinghalais, incarné par Sumangala, qui lui apparaît comme une forme de sagesse athée, bien préférable à l’intolérance des chrétiens et au fanatisme des musulmans du Soudan ou d’Afghanistan.

Voir aussi Inde, Colonialisme, Mystification, Deloncle et Bonnières.

P. M.

 

Bibliographie : Ioanna Chatzidimitriou, « Lettres de l’Inde : Fictional Histories as Colonial Discourse », Dalhousie French Studies, Halifax, Canada, n° 84, automne 2008, pp. 13-21  ; Pierre Michel et  Jean-François Nivet, préface des Lettres de l’Inde, L’Échoppe, Caen, 1991, pp. 7-22 ; Pierre Michel,  « Les Mystifications épistolaires d’Octave Mirbeau », Revue de l’Aire, n° 28, décembre 2002, pp. 77-84 ; Christian Petr, L'Inde des romans, Éditions Kailash, Paris-Pondichéry, 1995, pp. 39-47 ; Christian Petr, « L’Être de l’Inde », Cahiers Octave Mirbeau, n° 4, mai 1997, pp. 329-337 ; Jean-Luc Planchais, « Les Tribulations d’un Normand aux Indes », in Octave Mirbeau : passions et anathèmes, Actes du colloque de Cerisy de septembre 2005, Presses de l’Université de Caen, décembre 2007, pp. 35-44.

 

 


LETTRES DE MA CHAUMIERE

Les Lettres de ma chaumière sont un recueil de contes paru chez Laurent en novembre 1885 (bien que figure la date de 1886). Le tirage n’était que de mille exemplaires, mais, à en croire Mirbeau, qui exagère probablement pour les besoins de la cause, le volume se serait fort peu vendu.  

Il s’agit de la première œuvre littéraire signée du nom de Mirbeau. Il l’a rédigée, pour l'essentiel, au cours d'un séjour au Rouvray, près de Laigle, dans l'Orne – d'où l'allusion à la chaumière. Mais il n’a pas retenu tous les textes parus en feuilleton dans La France sous ce titre générique dans les mois précédents et qui comportaient des articles d’une tout autre inspiration (par exemple « Le Homestead », « Notes tristes » ou « Le Suicide »).

Le volume comporte 21 textes de tonalités et de statuts différents. On y trouve :

- Des contes où l'auteur se met lui-même en scène :  « Ma chaumière », « La Bonne », « Le Petit mendiant » – où il réutilise un de ses Petits poèmes parisiens signés Gardéniac, « Le Petit modèle » –, « Un Poète local », situé en Bretagne, et « Le Crapaud ».

- Des contes du prétoire : « L’Enfant », sur le mode terrible, et « La Justice de paix », sur le mode comique.

- Une longue nouvelle qui couvre toute la vie du personnage principal, petit paysan percheron :  « La Mort du père Dugué »).

- Des dialogues : « La Guerre et l'homme », sur le mode allégorique, et « La Table d'hôtes », sur le mode satirique.

Des récits qui évoquent avec réalisme la brutalité de la condition des marins bretons (« Les Eaux muettes ») et des paysans normands (« L’Enfant »,  « Le Père Nicolas ») alternent avec des descriptions poétiques ou impressionnistes (« Ma chaumière », le début des « Eaux muettes »), des séquences qui flirtent avec le fantastique ((« La Tête coupée ») et des textes polémiques (« Le Tripot aux champs »).

Chaque texte est dédié à un ami de l'auteur et tâche d'en refléter l'esprit : relevons notamment les noms de Félicien Rops (« L’Enfant »), Auguste Rodin (« Le Père Nicolas »), Paul Bourget (« Veuve »), Paul Hervieu (« La Mort du chien »), Henri Lavedan (« La Bonne »), Émile Zola (« La Mort du père Dugué »), J.-K.Huysmans (« Un Poète local »), Jules Barbey d'Aurevilly (« La Tête coupée ») et Guy de Maupassant (« La Justice de paix »). Mirbeau s’emploie à pasticher quelque peu leur manière, dans les lettres qui leur sont dédiées.

Le titre ne saurait manquer de faire penser aux Lettres de mon moulin, d'Alphonse Daudet, que Mirbeau a vigoureusement attaqué dans la presse depuis deux ans. Il lui reproche, d'une part, d'avoir un talent « pillard » et d'emprunter à quantité d'auteurs, et, d'autre part, de donner, des hommes et de la société contemporaine, une image beaucoup trop édulcorée, afin de plaire au grand public, français et étranger. Pour sa part, il nous donne une vision beaucoup plus cruelle et pessimiste de la condition humaine et de la misère du plus grand nombre, dans une société fort injustement organisée.

Les récits les plus remarquables, dans des genres différents, sont « L’Enfant », qui traite des infanticides dans un misérable hameau du Perche où des naissances non désirées constituent une menace pour l'équilibre alimentaire (c'est un plaidoyer indirect pour le droit au contrôle des naissances : position néo-malthusienne qui restera celle de Mirbeau, notamment dans sa série d'articles parus dans Le Journal à l'automne 1900, « Dépopulation », voir la notice Néo-malthusianisme) ; et « La Justice de paix », conte du prétoire, qui illustre plaisamment la totale absence de moralité de paysans normands qui font argent de tout. À noter aussi « Agronomie », où apparaît pour la première fois le personnage caricatural du parvenu milliardaire, exploiteur cynique et sans scrupules, qui ne s'en proclame pas moins « socialiste » : Lechat, alors prénommé Théodule, et qui sera rebaptisé Isidore dans Les affaires sont les affaires (1903).

Mirbeau reprendra dix de ses lettres dans les Contes de la chaumière, en janvier 1894. Toutes les lettres du recueil seront recueillies en deux volumes dans les Contes cruels (1990).

Voir aussi les notices Contes de la chaumière et Contes cruels.

P. M.

 

Bibliographie : voir celle des Contes cruels.

 

 


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