LE THÉÂTRE |
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, A propos de la censure, Le Gaulois – 20 juillet 1885 |
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Introduction |
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En dépit de son génie du dialogue et de son sens de l'effet scénique, Mirbeau n'est venu que tardivement au théâtre. Il était en effet convaincu que le vieux théâtre avait fait son temps et qu'il était condamné à mort : victime du mercantilisme des directeurs de théâtre ; du misonéisme d'un public abêti, qui ne cherche au théâtre qu'un vulgaire divertissement ; de la cabotinocratie et du star system ; de l'incompétence d'une critique tardigrade, qui se soumet aux exigences du public au lieu de le guider ; et de l'industrialisme des auteurs dramatiques qui, pour plaire aux directeurs, aux critiques, aux comédiens et au grand public, fabriquent en série des pièces conçues sur le même modèle, qui commence à s'effilocher. Lettre à ClaretiePour que le théâtre renaisse, il faudrait donc, selon lui, une véritable révolution culturelle, à laquelle Mirbeau ne croit pas. Pourtant il a fini par se décider à se servir de cette forme moribonde comme il s'est servi du journalisme et du roman pour travailler à éveiller les consciences. Dans
son dispositif de combat, Mirbeau a conçu trois types de pièces : |
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1. Une tragédie prolétarienne : Les Mauvais Bergers |
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Les Mauvais bergers (1897)Le sujet est proche de celui de Germinal : c'est l'histoire d'une longue grève ouvrière et de son écrasement par la troupe, appelée au secours d'un patronat de droit divin. Mirbeau y proclame le droit des ouvriers, non seulement au pain et au travail, mais aussi à la santé, à l'éducation et à la beauté. Et il y fustige tous les meneurs d'hommes, tous les "mauvais bergers", qui manipulent les masses, y compris les députés socialistes et les leaders anarchistes. Préface de Pierre MICHELMais il n'était pas satisfait de sa pièce : il y renoue en effet avec le finalisme inhérent à la tragédie, comme dans ses romans "nègres" ; on y trouve trop de tirades et de formules grandiloquentes, ajoutées à la demande de Sarah Bernhardt ; le dénouement, sanglant à souhait, touche la sensibilité superficielle des spectateurs, sans pour autant les éduquer. C'est pourquoi Mirbeau se cantonnera désormais dans la comédie et la farce, qui permettent de distancier le spectateur, et, par conséquent, d'éveiller sa conscience critique. MICHEL,
Pierre, « Les Mauvais bergers, d'Octave Mirbeau : une tragédie prolétarienne
et nihiliste » |
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2. Deux comédies de caractères et de murs : |
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Les affaires sont les affaires (1903)Portrait extrêmement vivant et actuel d'un parvenu,
brasseur d'affaires sans scrupules, Isidore Lechat. Préface de P. Michel | Vidéo sur
Youtube : |
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Le Foyer (1908) - PréfaceDénonciation de la charité-business, de l'exploitation
des enfants et de la collusion entre politiciens et affairistes.
La pièce a suscité un énorme scandale et n'a été représentée
à la Comédie-Française qu'au terme dun procès, gagné par Mirbeau,
qui a divisé la France en deux. |
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Pour traiter des sujets à implications sociales immédiates, Mirbeau renoue avec la tradition moliéresque des comédies de caractères. Il place au centre de ses pièces des caractères complexes et vivants, des types fortement individualisés, à la fois humains et théâtraux, que l'on peut détester en tant qu'incarnations des pourritures sociales, mais que l'on peut également plaindre en tant qu'individus accessibles à la souffrance. Mirbeau y respecte un certain nombre de conventions théâtrales considérées alors comme incontournables : concentration dramatique, conflits humains, primauté du dialogue, répliques à effet, souci de la crédibilité... Mais, dans un cadre classique, il n'en introduit pas moins des audaces qui ont choqué :
Mirbeau est parvenu
à un équilibre rare entre la distanciation et l'émotion, la caricature
et la vérité humaine, la critique sociale et le refus du manichéisme,
le classicisme et la modernité. |
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3. Autres pièces : Farces et Moralités |
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Vieux ménages (1894),
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L'Épidémie (1898)caricature féroce de l'égoïsme homicide des possédants, et anticipation de laffaire du sang contaminé.Préface
à l'Épidémie
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Philippe Coulon |
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Les Amants (1901),
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Préface à Les Amants |
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Le Portefeuille (1902)démonstration du caractère intrinsèquement pervers de la loi, faite par et pour les riches et les forts pour mieux écraser les pauvres et les faibles.Préface
à Portefeuille
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Scrupules (1902), qui démontre que le vol est le ressort
de toutes les activités les plus honorées :
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Interview (1904), caricature de la presse pourrie, vénale et anesthésiante.Préface à Interview |
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Ces pièces en un acte sont des moralités terme désignant des uvres édifiantes du quinzième siècle. C'est-à-dire qu'elles ont un objectif didactique avoué, et qu'elles invitent les spectateurs à tirer une leçon morale ou sociale. Mais, en même temps, ce sont des farces, qui visent à distancier le spectateur, pour lui permettre d'exercer son jugement critique : parodie, emballement et crescendo, renversements brutaux, symétrie voulue, cocasseries verbales, grossissement, inversion des normes sociales et des valeurs morales (en particulier au moyen de l'éloge paradoxal : éloge du vol ou du petit bourgeois stupide, de l'adultère ou de la presse de désinformation). Mirbeau y tourne en dérision tout ce qu'un vain peuple craint et révère (la loi, la propriété, la police, le pouvoir politique, la presse). Et il se livre à une démystification en règle des mythes de l'amour (Les Amants), de la morale des Tartuffes et du mariage monogamique (Vieux ménages). Il remet également en cause le langage :
Par ses Farces
et moralités, Mirbeau se situe dans la continuité
des farces de Molière et anticipe tout à la fois le théâtre
didactique de Brecht, le théâtre rosse d'Anouilh et de
Marcel Aymé, et le théâtre de l'absurde d'Ionesco.
Edition du Théâtre complet, Préfacé par Pierre MichelWIKIPEDIA et WIKISOURCEDialogues tristes sur WikipediaWikisource :
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