Pays et villes

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Terme
MURCIE

Grande et vieille ville espagnole, capitale administrative de la province de Murcie, voisine de l’Andalousie, au sud-est du pays. Elle est située à proximité de la Méditerranée, dans la très riche et très fertile plaine de la Segura, malheureusement sujette aux inondations. Peuplée aujourd’hui de 430 000 habitants, elle en comptait 98 000 en 1887.

Mirbeau y a séjourné quelques jours en décembre 1879, quand il y a été envoyé comme reporter par le patron du Gaulois, Arthur Meyer, à la suite d’inondations catastrophiques qui, le 15 octobre précédent, avaient ravagé toute la huerta et causé la mort de quelque huit cents personnes. Ses reportages ont paru dans Le Gaulois les 6, 8 et 9 décembre : « Le coup d’œil est effroyable. Plus un arbre debout, plus de ponts sur la rivière. La terre est détrempée à un mètre de profondeur. La contrée a été comme dissoute et remaniée par le fléau. [...] On dirait qu’un grand combat s’est livré entre les éléments et que la terre a été vaincue. Partout des maisons renversées, des amas de ruines, des spectacles de destruction. » À peine arrivé, il a rendu visite au gouverneur de la ville, puis au directeur du télégraphe, et, avec leur aide, a pu visiter toute la région et constater les dévastations et l’énorme effort de reconstruction entamé, mais pour l’heure « sans aucune garantie de solidité ». À l’en croire, il aurait reçu partout  un « accueil sympathique et affectueux » et la population se serait montrée très reconnaissante pour la solidarité manifestée par la presse française. En effet, une fête de charité, organisée au bénéfice des sinistrés de Murcie, à l’initiative d’Arthur Meyer, et qui n’aura lieu que le 18 décembre suivant, rapportera plus de 600 000 francs, et un journal éphémère, Paris-Murcie, sera diffusé à 130 000 exemplaires à cette occasion. Mirbeau se souviendra de cette fête de charité ostentatoire dans L’Écuyère (1882).

P. M.

 

Bibliographie : Octave Mirbeau, Correspondance générale, L’Age d’Homme, Lausanne, tome I, 2003, pp. 249-257 ; Jean-François Nivet, « Murcie (un voyage en Espagne, 1979) », Les Carnets de l’exotisme, n° 12, juillet-décembre 1993, Le Torii éditions, pp. 53-60.

 


NICE

Nice est une grande ville située sur la Méditerranée, à trente kilomètres de la frontière italienne, jadis savoyarde, et qui n’a été rattachée à la France qu’en 1860. Elle est peuplée aujourd’hui de 350 000 habitants (près d’un million dans l’agglomération), mais n’en comptait que 88 000 en 1890. Elle doit son essor et sa rapide croissance démographique au développement du tourisme.

Mirbeau est certainement venu à Nice au cours des années 1870 et au début des années 1880, mais ces premières visites ne sont pas attestées. Il faut attendre 1890 pour que, le 11 janvier de cette année-là, fuyant l’épidémie d’influenza qui « envenime » Les Damps, il se réfugie de nouveau sur la Côte d’Azur, non plus à Menton, mais à Nice cette fois, où il passe les premiers jours à l’hôtel, sans doute au Grand Hôtel. C’est à Nice qu’il achève Sébastien Roch dans la hâte et dans la fièvre et c’est de Nice que, le 23 janvier, il intervient dans l’affaire d’Olympia à la demande de Claude Monet, par une lettre publique adressée à Francis Magnard. À une date indéterminée, il s’est installé dans la Villa Costa Bella, sur la route de Villefranche, qu’il a quittée vers la fin mars pour se reposer à l’Hôtel des Anglais à Menton : il se plaint alors «  d’un rhume effroyable » qu’il a attrapé « dans cet affreux courant d’air qu’est Nice ».  Il séjourne de nouveau à Nice en janvier 1901, Il y a déniché « une villa très drôle, avec un magnifique jardin, et une splendide vue de mer » : la Villa Ibrahim, Chemin des Baumettes. Il s’agit d’une villa ancienne, de style mauresque – d’où son nom –, située sur la colline des Baumettes, au milieu d’eucalyptus géants, au-delà d’une grille ouvragée de fer forgé. En novembre 1911, Maurice Maeterlinck en fera l’acquisition et la rebaptisera « Les Abeilles ». Mirbeau y est resté jusqu’à la mi-avril 1901 et y a achevé Les affaires sont les affaires.

Il est étonnant que, dans son œuvre, la région niçoise soit aussi totalement absente, en dehors de « Jour de congé » (Le Journal, 21 avril 1901), où est évoqué le funiculaire qui monte à La Turbie.

P. M.  

 


NOIRMOUTIER

Accompagné d’Alice Regnault, Mirbeau a passé un peu plus de quatre mois dans cette île de Vendée, de la fin juillet au début décembre 1886. Il y a loué une maison au Pélavé et, le 5 août, il exprime son enthousiasme dans une lettre à Paul Hervieu : « Nous sommes à Noirmoutier, dans l'enchantement du pays, du climat, des grenadiers, des eucalyptus, des lauriers roses, des mimosas, toute la flore méridionale. Notre maison est adossée à un très beau bois ; en face de nous, une plaine et la vue de Noirmoutier, de son clocher, de son vieux château qui se dresse au-dessus d'un bouquet de verdure. À gauche, c'est une plaine d'une mélancolie admirable, semée de barges de sel, avec des bras de mer qui s'enfoncent, tout bleus dans les terres, et à l'horizon, le grand large, sombre, terrible. Je n'ai jamais vu un pays où les fruits poussent plus beaux, plus abondants, où les indigènes soient plus doux, plus agréables, plus insouciants, d'une expression de physionomie plus fine : je crois que nous avons découvert le Paradis ; et si vous ne venez pas nous voir, vous serez impardonnable. Jamais il ne gèle, dans le pays, et il y pleut rarement. »

Quelques jours plus tard, dans « Notes de voyage » (Gil Blas, 10 août 1886), il décrit ainsi la vue qu’il a de chez lui : « Ma maison, rustique et sans piano, s’adosse au bois ; une allée quadrangulaire de chênes géants en délimite l’enclos. Le jardin herbu est plein de fleurs, les arbres fruitiers ploient jusqu’à terre leurs branches chargées de la bonne moisson d’automne. Le mimosa, le grenadier, l’eucalyptus et le laurier-rose y poussent aussi forts, aussi parfumés, que sous le ciel du Midi. Entre les ramures des chênes, j’aperçois, devant moi, une plaine que paissent les troupeaux de vaches et les petits ânes vagabonds et gais, une plaine que ferme Noirmoutier, avec le clocher blanc de son église, et les tours de son vieux château. »

Au cours de ce séjour à Noirmoutier, Mirbeau a achevé douloureusement Le Calvaire, qui paraît le 23 novembre 1886 chez Ollendorff. Il a aussi durement bataillé, mais en vain, avec la revancharde Juliette Adam, qui refusait de publier le scandaleux chapitre II dans La Nouvelle revue. Fin novembre, il a reçu la visite de Claude Monet, venu à contre-cœur de Belle-Île, sur les instances de son ami, mais qui a été enchanté par les paysages de l’île.

P. M.

 

            Bibliographie : Octave Mirbeau, Noirmoutier, Séquences, Rezé, 1992 ; Jean-François Nivet, préface de Noirmoutier, loc. cit., pp. 7-22.

 

 

 


NORMANDIE

Mirbeau était un Normand, un de ces « hommes du Nord » dont les ancêtres, aux temps anciens des invasions Vikings, étaient venus du Jutland, « ce pays d’où je suis parti, il y a des siècles, dans une barque de cuir à deux voles », pour s’installer dans l’Ouest de la France, comme il l’écrit plaisamment dans une lettre à Paul Hervieu du 19 août 1900. Il était même doublement normand : du côté maternel, il était Calvadosien (il est né à Trévières) ; du côté paternel, il était Percheron (il a passé toute sa jeunesse à Rémalard, Orne). Il est resté toute sa vie fidèle à sa province d’origine, il y est retourné en 1885 pour passer plusieurs mois à Laigle, dans l’Orne, puis s’est installé en 1889 aux Damps (Eure), où il a passé quatre ans. Ce sont les paysages du Perche qu’il évoque dans nombre de contes et de romans ; ce sont les toponymes du Perche qui reviennent le plus souvent sous sa plume ; ce sont les paysans normands et les petits-bourgeois des villages du Perche qui peuplent ses contes, et c’est le bourg de Rémalard que l’on peut retrouver dans ses trois premiers romans officiels, dits autobiographiques. Enfin, c’est en Haute-Normandie, dans l’Eure, qu’il a situé Le Mesnil-Roy, le bourg, inspiré de Pont-de-l’Arche, où Célestine se retrouve femme de chambre chez les Lanlaire.

L’image que Mirbeau donne des Normands est fort différente de celle des Bretons. Certes, pour la plupart des habitants de l’époque, la pauvreté, voire la misère, est la règle, comme en Bretagne, et la vie est dure aussi, comme on le voit par exemple dans « La Mort du père Dugué », elle peut même être terrible (voir notamment  « L’Enfant » et « Les Bouches inutiles », L’Écho de Paris, 25 juillet 1893) ; mais l’impression prévaut que la terre y est plus fertile, que la Normandie possède plus de richesses agricoles que la Bretagne et que les paysans y sont plus rusés, plus impitoyables et plus âpres au gain (sur le mode cocasse, voir « La Justice de paix », La France, 24 juillet 1885). Certes, l’emprise de l’Église romaine et des politiciens réactionnaires qui sont ses complices y est aussi prégnante qu’en Bretagne ; mais on ne retrouve pas, en Normandie, le mysticisme breton, ni la naïveté qui prédispose les ouailles morbihannaises à se laisser tondre par leurs recteurs (voir « Monsieur le Recteur », L’Écho de Paris, 17 septembre 1889, ou « Un baptême », L’Écho de Paris, 7 juillet 1891) : le paysan normand ne se laisse pas duper aussi aisément, il est plus retors, il a plus de souplesse et de malices dans son sac (voir par exemple « La Confession de Gibory », Gil Blas, 18 mai 1886). Bref, quelle que soit la tendresse que, malgré tout, il lui voue, à cause de ses conditions de vie difficiles et de son attachement viscéral à la terre nourricière, le paysan normand vu par Mirbeau suscite moins la pitié qu’un sentiment d’étrangeté, qui peut, par voie de conséquence, tourner au comique, lors même que la situation évoquée est très dure et que la mort est au rendez-vous (par exemple, dans « Avant l’enterrement », Gil Blas, 19 avril 1887).

À cette apparente « insensibilité », dont Mirbeau se demande si elle témoigne d’un stoïcisme admirable ou d’une totale absence de pitié qui serait plutôt à « maudire » (voir « Le Père Nicolas », La France, 21 juillet 1885), s’ajoutent des traits qui sont tout aussi peu à l’avantage du paysan normand, qui n’attire pas vraiment la sympathie : il vit souvent dans la saleté, il ignore l’hygiène, il est superstitieux, et il est de surcroît bien souvent trop porté sur l’alcool, qui désinhibe la violence ; les enfants lui sont généralement indifférents et leur mort ne semble pas l’affecter (voir « La Tristesse de Maît' Pitaut », Gil Blas, 30 août 1887, et « L’Enfant ») ; l’homme brutalise volontiers sa compagne (« Avant l’enterrement ») ; quant aux relations sociales, elles sont marquées au coin de la violence et le meurtre rôde en permanence. Malgré cette image peu reluisante qu’il nous en donne, Mirbeau ne cesse de présenter les circonstances largement atténuantes qu’il convient, en toute justice, d’accorder au paysan normand : l’âpreté de la question d’argent et le recours à la brutalité dans la lutte pour la vie sont la conséquence de l’injustice sociale criante (voir « L’Enfant » et « Les Bouches inutiles »)  ; quant à l’inculture et à la superstition, elles sont le fruit du cléricalisme dominant et de l’indifférence de l’État et des politiciens au pouvoir. Bref, les paysans normands sont, tout bien pesé, plus à plaindre qu’à blâmer, car ils sont la victime de cette mauvaise organisation sociale que Mirbeau ne cesse de vitupérer et qu’il souhaite abattre.

Voir aussi les notices Trévières, Rémalard, Laigle, Les Damps et surtout Perche.

P. M.

 

Bibliographie : Reginald Carr, « L’Image de la Normandie à travers Le Journal ‘une femme de chambre », in Colloque Octave Mirbeau, Actes du colloque du Prieuré Saint-Michel de Crouttes, Éditions du Demi-Cercle, 1994, pp. 69-80 ; Max Coiffait, Le Perche vu par Octave Mirbeau (et réciproquement), Éditions de l’Étrave, Verrières, 2006 ; Martine Gasnier, « Le Paysan normand dans l’œuvre d’Octave Mirbeau », in Colloque Octave Mirbeau, Éditions du Demi-Cercle, 1994, pp. 61-68  ; Claude Herzfeld, « L'Ouest méduséen des nouvelles d'Octave Mirbeau », in La Nouvelle dans l'Ouest, l'Ouest dans la nouvelle, Presses de l'Université d'Angers, 2000, pp. 143-156 ; Pierre Michel, « Octave Mirbeau de Rémalard », in Colloque Octave Mirbeau, Éditions du Demi-Cercle, 1994, pp. 19-34 ; Pierre Michel, « Les Hommes de l'Ouest dans les nouvelles de Mirbeau », in La Nouvelle dans l'Ouest, l'Ouest dans la nouvelle, Presses de l'Université d'Angers, 2000, pp. 157-168 ; Jean Vigile, « Le Perche et Mirbeau », in Colloque Octave Mirbeau, Éditions du Demi-Cercle, 1994, pp. 19-34.


NORVEGE

La présence de Mirbeau en Norvège est des plus restreintes, mais elle est loin d’être nulle. Il est vrai que les traductions publiées de ses œuvres se limitent à deux : Abbed Julius (L’Abbé Jules), paru en 1919 à Kristiania [Oslo], chez Martin, dans la collection « Martins Standard Kronebind », n° 126 – mais il pourrait bien s’agir en réalité de la même traduction de P. Grove qu’en danois, les deux langues n’étant pas encore nettement différenciées ; et Skrupler (Scrupules), publié à Oslo à une date imprécise [vers 1940 ?] et réédité en 1949. Même si on y ajoute la traduction, non publiée, de Les affaires sont les affaires, Forretning er forretning, comédie qui a été à coup sûr représentée, à une date restant à préciser, c’est dérisoirement peu. Pour ce qui est de l’accueil critique, une recension des articles reste à faire pour en avoir une idée. En attendant cette étude de réception, nous ne pouvons signaler que le chapitre consacré au Jardin des supplices par le poète et romancier Stig Sæterbakken, dans Estetisk salighet [“le bonheur esthétique”] (Oslo, Cappelen, 1994) et le mémoire dactylographié de Hildur Odland, La Dimension énonciative du journal intime romanesque, soutenu à l’université de Bergen en 1995 et qui ne porte pas seulement sur le journal de Célestine.

Le plus intéressant, en fait, est le rôle joué par Mirbeau dans la découverte et la reconnaissance, en France, des trois plus grands écrivains norvégiens de l’époque : Henrik Ibsen, Bjørnstjerne Bjørnson et surtout Knut Hamsun, auquel il a consacré, dans Le Journal du 19 mars 1895, un important article, qui a longtemps servi de préface aux multiples éditions de La Faim. Très admiratif du théâtre norvégien, Mirbeau s’amuse à faire dialoguer un critique dramatique et un abonné de l’Œuvre, également misonéistes et xénophobes, qui se scandalisent qu’il n’y en ait plus que pour les Norvégiens, envahisseurs venus du froid et qui n’ont certes pas de leçons à nous donner, comme si la France ne possédait pas, pour sa gloire, « Labiche et Gondinet » (« Entracte à l’Œuvre », 24 janvier 1897. Quelques jours plus tard, dans une réponse à une enquête, Mirbeau affirme que les pièces d’Ibsen et de Bjørnson ont été des révélations, « en nous apprenant que, par-delà les âmes d'auteurs aux prises avec la technique de M. Francisque Sarcey, il existe des âmes humaines aux prises avec elles-mêmes et avec la vie sociale, et qu'il est peut-être intéressant de s'en occuper ». Il faut donc « leur être reconnaissant » d’avoir eu ne serait-ce que « ce résultat, négatif, mais important, de nous révéler la honteuse routine et l'indicible pauvreté de notre actuelle littérature dramatique ». Et de conclure : « Nous devons donc soutenir énergiquement la littérature dramatique scandinave, puisque c'est à elle seule, aujourd'hui, que nous devons d'éprouver, au théâtre, de fortes joies et de nobles émotions » (La Revue blanche, 15 février 1897). Au contraire, pour Zola, qui répond à la même enquête,  Ibsen et Bjørnson « ne nous ont rien appris ».

Voir aussi les notices Bjørnson, Hamsun et Ibsen.


P. M.

 

 

 

 


PARIS

L’ambivalence de Paris

 

Bien qu’il ait passé toute sa jeunesse dans le Perche et à Vannes, et bien qu’il ait à maintes reprises séjourné en province (Audierne, Noirmoutier, Laigle, Auray, Les Damps, la Côte d’Azur) ou dans la grande banlieue (Carrières-sous-Poisy, Cormeilles-en-Vexin, Triel-sur-Seine), c’est tout de même à Paris que Mirbeau a habité le plus longtemps et a occupé le plus de logements. Pour un jeune homme ambitieux comme l’était le jeune Octave, Paris est la ville phare, où sont concentrés les grands journaux, les théâtres, les maisons d’édition et les administrations, alors que la province apparaît comme un désert culturel où l’on ne peut que se morfondre : « Je comprenais que Paris seul, qui m’avait tant effrayé jadis, pouvait fournir un aliment aux ambitions encore incertaines dont j’étais tourmenté », écrit son double Jean Mintié, dans Le Calvaire (1886). Pour un jeune homme ardent, doté d’un fort « tempérament » et sexuellement frustré dans son cercueil notarial de Rémalard, Paris, la « Babylone moderne » vitupérée par les tenants de la morale chrétienne et les petits-bourgeois frileux de la lointaine province, est aussi la ville de toutes les tentations, de tous les plaisirs, de tous les péchés, et c’est évidemment de Paris que rêve le saute-ruisseau rémalardais, et c’est à Paris qu’il compte bien jeter sa gourme et s’émanciper, comme en témoignent d’abondance ses Lettres à Alfred Bansard des Bois. Pour Jean Mintié aussi, Paris « offrait, à chaque pas, des joies si faciles à prendre et si douces à savourer » et il y cherchait – en vain – l’apaisement et l’oubli : « Dans la foule, dans le bruit, dans cette hâte fiévreuse de l’existence de plaisir, j’espérais trouver un oubli, un engourdissement, dompter les révoltes de mon esprit, faire taire le passé dont j’entendais, au fond de mon être, la voix gémir et pleurer. »

Mais Paris c’est aussi le bruit insupportable, la saleté sordide, la foule grossière, la domestication et l’abâtardissement de la nature, le mouvement  frénétique, les lieux de plaisir qui sont comme des antres infernaux, et la fréquentation obligée de tous les sépulcres blanchis que vomit le « Don Juan de l’Idéal » qu’était Mirbeau, selon la forte expression de Georges Rodenbach. Comme Jean Mintié, qui s’y sent étranger et en est rebuté, il pourrait dire : « Très souvent, je me demande ce que je fais là, en ce milieu qui n’est pas le mien, où l’on n’a de respect que pour le succès, si charlatanesque qu’il soit ; que pour l’argent, de quelques sentines qu’il vienne ; où chaque parole dite m’est une blessure dans ce que j’aime le mieux, dans ce que j’admire le plus… » Bref, chaque fois qu’il se retrouve à Paris, Mirbeau ne songe plus qu’à se retirer à la campagne, loin de l’agitation stérile et des hommes dénaturés et corrompus, pour se retremper au sein de la nature, rester des heures en contemplation devant les fleurs et causer avec des hommes dont il admire le courage, tels les marins bretons, ou dont la misère le bouleverse, tels les chaussonniers de Pont-de-l’Arche, même si la passivité des uns et l’imprégnation religieuse des autres suscitent chez lui bien des réserves et alimentent l’inspiration du conteur et du romancier.

 

Résidences parisiennes

 

Le jeune Mirbeau est venu à Paris pour la première fois en 1867 et y a admiré les merveilles de l’exposition universelle. Il est retourné s’y fixer vers la fin de 1872, quand il y a suivi son nouveau patron, Dugué de la Fauconnerie, puis de nouveau fin 1878, après la parenthèse ariégeoise. Il y a habité successivement : rue de Laval, dans les années 1870 ; au 14 de la rue de Lincoln, près des Champs-Élysées, en 1885 ; square du Ranelagh, d’où le bruit le fait fuir au plus vite, en 1888 ; à Levallois, dans un immeuble appartenant à sa femme Alice, en 1889, avant de fuir de nouveau vers la campagne, aux Damps ; puis, en 1896, dans un « pied-au-ciel », comme dit Alice, sis au 42 avenue de l’Alma, où il organise des réceptions intimes le samedi, tout en conservant sa résidence de Carrières-sous-Poissy ; dans un bel immeuble bourgeois du 3 boulevard Delessert, proche du Trocadéro, à partir de 1897 (c’est là qu’il réside pendant l’affaire Dreyfus et tout au long de l’exposition universelle de 1900) ; puis dans un appartement de très grand standing, beaucoup plus calme, qu’il loue fort cher à la baronne von Zuylen, au 64 – devenu 84 – de l’avenue du Bois (aujourd’hui Avenue Foch), de novembre 1901 à 1909 ; et enfin, pendant la guerre, pour y mourir, au 1 de la rue Beaujon, à proximité de son médecin traitant, le professeur Albert Robin.

 

L’inspiration parisienne

 

Pendant ses premières années de vie parisienne et de contributions journalistiques, Mirbeau a essayé de se faire l’ethnographe de la vie parisienne : en 1880, dans Paris déshabillé, dont le titre indique clairement l’intention de dévoiler ce qu’il y a derrière l’apparence superficielle des êtres et des choses ; en 1880-1881, dans ses « Journée parisienne » du Gaulois, signée du pseudonyme collectif Tout-Paris, et dont bon nombre  visaient à faire découvrir à un lectorat mondain des aspects ou des quartiers de Paris qui lui étaient généralement inconnus ; en 1882, dans ses Petits poèmes parisiens du Gaulois, signés Gardéniac et placés sous l’évident patronage de Baudelaire, où la ville est le seul point commun à des textes relevant d’inspirations et de genres différents  ; dans un recueil de nouvelles tel que Noces parisiennes, paru en 1883 sous le pseudonyme d’Alain Bauquenne, et où, sur le mode cocasse et sous couvert de gaudriole, il ne nous en livre pas moins une vision satirique des milieux huppés  ; dans ses diverses « Chroniques parisiennes » de 1885, dans La France, où il trace un tableau fort critique de la presse vénale, des tripots coupe-bourses et de l’art académique abusivement honoré ; et, en 1886, dans les chapitres III et VI du Calvaire, qui apparaissent une nouvelle fois comme une démythification en règle de la vie parisienne. À quoi il conviendrait d’ajouter, dans un genre évidemment différent, Paris-Midi Paris Minuit, biquotidien d’informations rapides qui n’a duré que trois mois, en 1883, et qui se voulait à l’heure de la mondialisation, mais dont le titre souligne le désir de placer Paris au centre de la toile informative.

Par ailleurs, pour avoir fréquenté le gratin parisien pendant une douzaine d’années, lorsqu’il a été au service de Dugué de la Fauconnerie, puis d’Arthur Meyer, qui y étaient bien introduits, Mirbeau romancier était à même d’en révéler les dessous bien peu ragoûtants et de nous introduire dans les coulisses de ce monde immonde, où la férocité se conjugue à la sottise et à la prétention. Il s’est employé à le « débarbouiller au vitriol », selon la formule d’Élémir Bourges, dans des romans “nègres” comme L’Écuyère (1882), La Maréchale (1883) et La Belle Madame Le Vassart (1884), et, à travers le trou de la serrure et le regard de Célestine, dans plusieurs chapitres du Journal d’une femme de chambre (1900).

Dans les autres romans de Mirbeau, en revanche, Paris est complètement absent, ou n’occupe qu’une place secondaire, voire marginale. Parmi ses pièces, seuls Le Foyer, Scrupules, Le Portefeuille et Interview sont situés à Paris, mais la ville n’y est qu’un cadre.

Voir aussi les notices Petits poèmes parisiens, Noces parisiennes et Paris déshabillé.

P. M.


PERVENCHERES

Est-ce la consonance bucolique du nom de ce modeste chef-lieu du Perche ornais situé à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Rémalard qui enchantait Octave Mirbeau ? On peut le supposer puisqu’il fit de Pervenchères le village d’origine de l’infortuné Sébastien Roch, héros du roman éponyme, alors qu’aucune information parvenue jusqu’à nous ne permet de supposer qu’il y ait jamais fait lui-même une visite. Que le choix de ce nom ne soit qu’un effet de sa fantaisie apparaît de fait à l’évidence au travers de nombreux détails du roman qui montrent que son Pervenchères n’est qu’un avatar de Rémalard, son propre port d’attache pendant toute sa jeunesse.

Cette réalité saute aux yeux dès la troisième page du roman, quand l’auteur met en scène « M. Joseph-Hippolyte-Elphège Roch, quincaillier à Pervenchères, petite ville du département de l’Orne », qui « osa concevoir l’orgueilleuse pensée d’envoyer chez les Jésuites de Vannes, son fils Sébastien qui venait d’avoir ses onze ans. » Le doute n’est plus permis quand on se souvient que la profession de quincaillier était celle de Pierre Épinette (1820–1874), quincaillier à Rémalard, qui envoya son fils (le futur Léo Trézenik) faire ce qu’on appelait ses humanités au collège Saint-François-Xavier à Vannes.

Ce collège n’était bien entendu pas inconnu d’Octave Mirbeau, puisqu’il y avait lui-même précédé le jeune Léon Épinette, qui était son cadet de sept ans. Quant au quincaillier « Joseph-Hippolyte Elphège Roch », Octave en fait dans son roman une espèce de Monsieur Prudhomme, prototype du bourgeois obtus, bouffi d’ambition et de suffisance. Cette image est de toute évidence associée dans l’esprit de l’auteur à celle de son modèle Pierre Épinette, et cela depuis belle lurette, puisqu’on trouve déjà sous sa plume le nommé « Épinette, quincaillier » chargé de ridicule dans une lettre envoyée de Rémalard le 20 octobre 1867 par Octave, à l’époque âgé de dix-neuf ans, à son ami Alfred Bansard des Bois. Le comte d’Andlau, hobereau du lieu, ayant qualifié, selon cette lettre, de « démonstration patriotique », une manifestation organisée avec un succès mitigé pour célébrer le cinquantième anniversaire de l’entrée du curé doyen de Rémalard dans la vie sacerdotale, « Épinette, quincaillier, écrit le jeune Octave, s’est empressé de confirmer ». Le trait n’est pas très appuyé, mais il contient en germe le portrait charge de « Joseph-Hippolyte-Elphège Roch, quincaillier à Pervenchères », qui s’épanouira vingt-trois ans plus tard dans le roman, « gros et rond, soufflé de graisse rose », et rehaussé de « je ne sais quelle stupidité animale, tranquille, souveraine, qui s’élevait parfois jusqu’à la noblesse ».

S’il faut un autre argument pour confirmer que le Pervenchères du roman Sébastien Roch est bel et bien Rémalard, il suffit de se reporter au récit du départ de l’infortuné Sébastien pour Vannes. On y voit d’abord l’enfant accompagné de son père franchir sur un pont la rivière qui borde son village pour gagner la gare où il va prendre le train. Cela correspond tout à fait à la topographie du Rémalard de cette époque, puisque ses habitants devaient franchir l’Huisne sur un pont pour gagner la gare (aujourd’hui désaffectée).

Même s’il n’y a jamais mis les pieds, il est permis de se réjouir qu’Octave ait jeté son dévolu sur Pervenchères pour en faire la petite patrie de Sébastien Roch et des siens. Son nom est l’un des plus plaisants de la liste des quelque cent dix communes composant l’ancienne province du Perche. Et notre auteur n’aurait sans doute pas désavoué la légende que l’on dit être à l’origine de ce toponyme fleurant bon la nature printanière. Elle prétend qu’un maçon occupé sur place à la construction d’une chapelle vit un jour son travail ravagé par la foudre. Il jeta de rage ses outils dans un espace qui se couvrit ensuite d’un massif de pervenches.

La commune s’enorgueillit (et s’enorgueillissait sans aucun doute déjà du temps de Mirbeau…) de la présence, sur son territoire, du chêne dit de la Lambonnière. Il est maintenant vieux de quelque six cents ans, ce qui en fait l’arbre le plus ancien du Perche. Cela aussi aurait pu fournir, pourquoi pas ? la source d’une incidente dans Sébastien Roch comme on en trouve dans d’autres romans de notre auteur, qu’elles contribuent à ancrer dans leur terroir. Hélas ! Non, décidément, Octave ne devait pas connaître Pervenchères. Le nom seulement, sans doute, et il en a tiré parti, ce n’est déjà pas mal…   

M. C.

 

    

 


POLIGNY

Poligny est une petite ville du Jura, dont la population, d’environ 4 000 habitants, est restée à peu près stable depuis un siècle. C’est la capitale mondiale du Comté. On trouve aussi des vignobles à proximité. À l’époque de Mirbeau on y exploitait l’albâtre, on y faisait le commerce des bestiaux et on y trouvait des tanneries, des tuileries et des faïenceries.

Mirbeau y est passé en voiture, vraisemblablement en 1902, un jour de marché, et évoque avec sympathie l’arrêt qu’il y a fait, dans la dédicace à Fernand Charron de La 628-E8 (1907) : « C'était la fin d'un jour de marché. Tout était calme dans les rues. Nul bruit dans les cabarets, à peu près vides. Bêtes et gens s'en allaient pacifiquement, qui à l'étable, qui au foyer. Quelques groupes restaient encore à deviser sur la place, où les petits marchands avaient démonté et repliaient leurs étalages... Rien qu'à la traverser, la ville me fut sympathique. Elle avait un air de décence, de bonne santé, de bon accueil, très rare en France. » Ses conversations, à l’auberge, avec deux paysans lui révèlent « des hommes, calmes, réfléchis, réalistes, précis, qui ne croient qu'à leur effort, ne comptent que sur lui, savent ce qu'ils veulent, ont le sentiment très net de leur force économique, exigent qu'on respecte en eux la dignité sociale et humaine du travail. Aucune trace de superstition en leurs discours, et, ce qui me frappa beaucoup, pas le moindre misonéisme » À l’en croire, ils étaient dénués de tous préjugés contre l’automobilisme, allergiques au cléricalisme et désireux d’apprendre, l’instruction étant la condition de l’affranchissement des cerveaux : « Je compris très bien que le passé n'avait plus aucune prise sur ces hommes conscients et qu'ils défendraient, avec une volonté tenace et une tranquille assurance, les conquêtes, les pauvres petites conquêtes, matérielles et morales, qu'ils avaient su, tout seuls, arracher à la société et au sol ingrat de leurs montagnes... »

P. M.

 


POLOGNE

La réception de Mirbeau en Pologne se divise assez naturellement en trois périodes, délimitées par d’importants événements politiques et sociaux : la première se situe du vivant de l’écrivain, comprenant en particulier les années 1890-1910. À cette époque, la Pologne n’existe pas sur les cartes de l’Europe, mais les Polonais continuent à espérer sa renaissance prochaine ; la deuxième répond aux temps troublés de l’entre-deux-guerres, lorsque l’avènement de la Pologne indépendante, en 1918, déplace l’intérêt public vers d’autres domaines ; la troisième s’étend du lendemain de la deuxième guerre mondiale jusqu’à nos jours. Le nombre d’informations concernant l’écrivain est le plus élevé dans la première, pratiquement nul dans la deuxième et assez limité dans la troisième. Dans toutes les trois, Mirbeau n’est connu au public polonais qu’en tant que prosateur et dramaturge, son activité critique, journalistique et politique demeurant presque totalement ignorée.

Au cours de la première période, il convient de souligner l’ouverture de la Pologne aux cultures étrangères, en particulier à la culture française. Sans être représenté aussi largement qu’Émile Zola, Paul Bourget ou Anatole France, Mirbeau a une place bien déterminée dans la presse polonaise à orientation artistique et libérale. Son nom n’apparaît toutefois jamais dans des revues conservatrices, catholiques, et destinées à un public aux goûts littéraires peu sûrs. Il figure aussi dans les encyclopédies du début du siècle. Enfin, les traductions de ses œuvres (dans la presse ou en volume) se multiplient à partir des années 1880.

Les articles et études consacrés à Mirbeau paraissent avant tout dans la première décennie du XXe siècle. Si plusieurs critiques s’obstinent de l’attacher au naturalisme – tendance qu’on rencontre aussi bien dans la France de l’époque –, d’autres font preuve d’une analyse plus profonde en évoquant ses talents satiriques et sa verve polémique. L’un d’eux, J. Oksza, situe Mirbeau dans la droite lignée de Boccace et Lesage et l’appelle « l’esprit le plus dynamique, le plus perspicace, le plus révolutionnaire parmi les Français contemporains […] Méphistophélès, journaliste et poète », tout en soulignant la grande sensibilité de l’écrivain pour la douleur humaine et son mépris fervent pour la médiocrité et la malhonnêteté. Un autre critique, Leo Belmont, compare la psychologie de Mirbeau à celle de Dostoïevski, une psychologie du fond de l’âme, « là où naissent les démons ». En même temps Mirbeau est pour lui proche de Strindberg (avec sa misogynie), de Dante, ou du Flaubert de la Vision de saint Antoine. Notons encore l’importante étude de Jan Lorentowicz (qui avait vécu plus de dix ans à Paris et collaboré au Mercure de France), intitulée Nowa Francja Literacka (La Nouvelle France littéraire) où il réserve à Octave Mirbeau près de 70 pages consacrées non seulement à l’analyse de ses romans et pièces de théâtre, mais aussi – chose rare dans les sources polonaises – à son activité journalistique (Wydawnictwo Wł. Okręta, Warszawa 1911, pp. 148-210). C’est la première analyse sérieuse de l’œuvre mirbellienne, qui devance non seulement celles en d’autres langues étrangères, mais même les études en langue française, de Marc Elder et de Paul Desanges !

C’est également au cours de la première période que théâtres polonais jouent les pièces de Mirbeau, Les affaires sont les affaires, Le Foyer et quelques-unes de ses Farces et Moralités. La critique polonaise n’est pas enthousiaste envers les pièces elles-mêmes, mais elle commente favorablement les rôles tenus par les grands acteurs de l’époque, ce qui permet de mesurer l’importance de ces représentations. Notons aussi l’intervention de la censure autrichienne dans Les affaires…, à propos des opinions sur l’Église qui y sont étalées.

Au sortir de la guerre, le silence autour de Mirbeau se fait presque complet, en dehors de quelques rééditions de ses œuvres traduites au début du siècle. Cependant, il ne faudrait pas trop s’étonner si l’on prend en considération un mutisme à peu près complet qui enveloppe Mirbeau en France à la même époque. Il reste à noter que, pendant cette période, ses pièces sont tout de même jouées, comme en témoigne le répertoire d’un théâtre juif de Vilnius qui, entre les années 1917-1935, a représenté Scrupules (titre polonais : Zlodziej, “le Voleur”, date exacte non précisée).



Un certain changement s’opère après la deuxième guerre mondiale. En 1957, Les affaires sont les affaires est représenté au théâtre Jaracza de Łódź, sans cependant susciter de commentaires favorables ; Les Mauvais bergers et Les Affaires… trouvent un mention succincte dans les matériaux pour les écoles supérieures, Le théâtre des pays de l’Europe occidentale, publiés en 1955 ; en 1959, Julian Rogoziński, critique et traducteur, cite Mirbeau parmi les écrivains injustement oubliés. Un an plus tard, voit le jour la traduction de Sébastien Roch, dotée d’une postface intéressante, et en 1977 est publiée une nouvelle traduction du Journal d’une femme de chambre, également accompagnée d’une étude approfondie de Joanna Żurowska (Dziennik panny służącej, Czytelnik, Warszawa 1977).

On aurait tort d’attribuer ce regain d’attention (d’ailleurs, tout relatif) à la situation politique de la Pologne. L’époque du stalinisme se termine définitivement en 1956, et, mis à part les écrits ouvertement contestataires, la censure ne se mêle plus de la publication des œuvres littéraires. Les motifs de la publication des œuvres de Mirbeau sont donc purement esthétiques. Les préfaces en témoignent d’ailleurs d’une manière évidente (ainsi le Journal… est publié dans la série « Fin de siècle », censée présenter les œuvres intéressantes de la littérature mondiale des années 1890/1910.

Plus près de nous, parallèlement à sa renaissance en France, on peut observer en Pologne l’intérêt croissant pour l’art de Mirbeau. En 1992, on réédite Le Jardin des supplices ; en 2000, l’actrice Joanna Żółkowska crée un monodrame Le Journal d’une femme de chambre, qui sera ensuite joué, sans interruption jusqu’à l’heure présente, dans toute la Pologne. Pendant les années 2000, apparaissent les traductions d’Amants de Vieux ménages, par Katarzyna Skawina, et celle de L‘Épidémie , par Joanna Raźny.

L’art d’Octave Mirbeau devient aussi objet d’analyses scientifiques : entre autres, articles de Joanna Ekiert-Zastawny, Joanna Gniady, Tomasz Kaczmarek, Mariusz Gołąb, Anita Staroń, thèse de doctorat d’Anita Staroń L’Art romanesque d’Octave Mirbeau. Thèmes et techniques (Université de Łódź, 2003). Enfin, on reconnaît son rôle d’inquiéteur social ; les anarchistes polonais citent ses textes, avant tout La Grève des électeurs. Une curiosité : Mirbeau apparaît dans un roman autobiographique de Jan Brzechwa, Gdy owoc dojrzewa (1958), en tant que correspondant d’une dame russe engagée dans la cause révolutionnaire en Russie au début du siècle.

La réception de Mirbeau en Pologne concerne, comme on l’a dit, essentiellement le Mirbeau romancier et dramaturge. On lui voue des sentiments très positifs, on loue son art et on comprend sa lutte, ou bien on lui refuse le moindre talent artistique et on le classe dans la « littérature industrielle ». Mais rarement on reste tiède envers sa création – preuve suprême que c’est aussi en Pologne qu’il avait accompli sa tâche de tourmenteur.

 

Mirbeau traduit en polonais :

Parutions en volume

1888, La Chambre close (Pokój bez wyjścia), Bibl. Dwutygodnika Świat, Kraków.

1902, Un fou (Waryat), trad. J. Lorentowicz, “Biblioteka Dzieł Wyborowych”,  n° 216.

1906, L’Interview (Wywiad), Teatr amatorski nr 80, Gebethner i Wolff, Kraków ; L’Abbé Jules (Ksiądz Juliusz), W. Podwiński, Kraków.

1909, Le Jardin des supplices (Ogród udręczeń), Księgarnia Centnerszwera, Warszawa (seulement la deuxième partie du roman est traduite) : cette traduction a connu au moins deux rééditions, en 1922, Księgarnia Pomorska, Tczew, et en 1992, Wydawnictwa ALFA, Warszawa ; Le Journal d’une femme de chambre (Pamiętnik panny służącej, Księgarnia Jana Fiszera, Warszawa, réédition en 1923) – traduction décevante de H. Orlicz-Garlikowska, dont la propre création littéraire est la cible préférée des critiques polonais. Les infidélités de traduction sont telles qu’elles ont pu influencer la réception du livre en Pologne, surtout au niveau de la cohérence psychologique du personnage principal

1910, Les 21 jours d’un neurasthénique (Kartki z notatnika nerwowca), tygodnik Odrodzenie, Warszawa, traduction de J.Huzarski correcte, mais plusieurs chapîtres sont omis ou réduits à quelques phrases ; même année, nouvelle traduction des 21 jours d’un neurasthénique (Życie neurastenika), sans nom de traducteur et inférieure à la version précédente, sans compter les omissions encore plus impardonnables (rééditions Wydawnictwo LUX, Warszawa 1923 ; Wydawnictwo LUX, Warszawa 1924 ; BPiR, Warszawa 1930).

1919, Le Portefeuille (Der Tayster), farce traduite en yiddish et publiée en brochure avant d’être recueillie, en 1920, dans un volume de dix pièces en un acte traduites en yiddish, Di Eyropeishe bine zamlung fun di beste eynakters (trad. Z. Zylbercweig, Varsovie, Farlag Yidish). 

1960, Sébastien Roch (Sebastian), Państwowy Instytut Wydawniczy, Warszawa, trad. K. Byczewska.

1977, nouvelle version du Journal d’une femme de chambre (Dziennik panny służącej), Czytelnik, Warszawa, traduction de M. Zenowicz, cette fois-ci rendant toutes les grâces de l’original.

Parutions dans la presse (fragments de romans ou contes)

1891, Esthétique théâtrale (Estetyka teatralna,) Echo muzyczne, teatralne i artystyczne n° 426.

1898, La Fée Dum-dum (Dum-Dum), Przegląd Tygodniowy nº 15, Nouvelles électorales (Przed wyborami), Przegląd Tygodniowy nº 19 ; et Chez l’illustre écrivain (U naszego znakomitego pisarza), Przegląd Tygodniowy nº 39 et Echo Literackie nº ?

1900, Scrupules (Skrupuły et Wizyta), Prawda nº 3

1901, Au pied d’un hêtre (Pod bukiem), Gazeta Powszechna nº 4 ; Le Mur (Ojciec Rivoli), Nowa Reforma nº 252

1902, Un baptême (Chrzciny) Naprzód nº 161, Le Duel (Pojedynek), Gazeta Świąteczna, nº 15, Dépopulation (Podatek na bezdzietnych), Naprzód nº ??, Scrupules (Wizyta - une nouvelle fois), Głos nº 38

1905, Ils étaient tous fous… (Obłąkani), Wędrowiec nº 28.

1908, Le Portefeuille (Włóczęga - Un gueux), Wiedza nº 4, et Przemysłowiec (Un industriel), fragment de La 628-E8, Wiedza nº 16.

1909, un extrait du chapitre XIX des 21 jours d’un neurasthénique, qui avait d’abord paru dans Le Journal comme Une lettre (intitulé pour les besoins du journal polonais Szaleniec (Un fou), Wolne Słowo nº 46 et 47.

1910 Waryat, qui avait déjà paru en volume en 1902, trad. J. Lorentowicz, Nowa Gazeta nº 203.

Pièces de théâtre

 1904, Les affaires sont les affaires (Interes przede wszystkim ou Interes interesem), joué à Varsovie, à Cracovie et à Lvov ; Scrupules (titre polonais Złodziej - « Le Voleur »), joué à Varsovie, à Cracovie et à Lvov.

1905, L’Épidémie (Epidemia), Lvov

1907, Interview (Wywiad), Varsovie

1908 - autour de cette date, Le Portefeuille (Pugilares) et un mystérieux Oktawiusz, joué à Varsovie, dont le correspondant français reste à découvrir

1910, Le Foyer (Ognisko), Varsovie.

Entre 1917-1935, Scrupules (Złodziej), Vilnius

1957, Les affaires sont les affaires, Łódź

2000, Le Journal d‘une femme de chambre (Dziennik panny służącej), monodrame joué à Częstochowa et dans plusieurs autres villes polonaises encore à l’heure présente (2009).

2006 environ : Amants et Vieux ménages (Kochankowie i Stare małżeństwo), selon certaines informations représenté au théâtre Scena Prezentacje de Varsovie.

2009, L‘Épidémie ,(Epidemia), par Joanna Raźny. 

A. St.

 

Bibliographie : Anita Staroń, « Réception d’Octave Mirbeau en Pologne », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001, p. 404-417. 

 

 

 


PONT-DE-L'ARCHE

Pont-de-l’Arche est un chef -lieu de canton de l’Eure, situé sur la rive gauche de la Seine et de l’Eure, à quelques kilomètres de leur confluent. Le bourg comptait 1 700 habitants en 1891 et en compte plus du double aujourd’hui. Dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle s’y est développée l’industrie du chausson. Mais les ouvriers chaussonniers étaient très mal rémunérés et vivaient dans des conditions de misère qui ont indigné Mirbeau, qui habitait alors à 1 km 500 de Pont-de-l’Arche, dans le village des Damps.

Dans son roman Le Journal d’une femme de chambre, qui paraît en feuilleton dans L’Écho de Paris en 1891, au cours du séjour du romancier aux Damps, c’est Pont-de-l’Arche qui lui sert de modèle pour imaginer le bourg normand du Mesnil-Roy, où Célestine échoue comme femme de chambre des Lanlaire. Elle en décrit ainsi le quartier médiéval, au chapitre III de son journal : « Des rues sales, étroites, tortueuses, et des places où les maisons sont de guingois, des maisons qui ne tiennent pas debout, des maisons noires, en vieux bois pourri, avec de hauts pignons branlants et des étages ventrus qui avancent les uns sur les autres, comme dans l'ancien temps... Les gens qui passent sont vilains, vilains, et je n'ai pas aperçu un seul beau garçon... L'industrie du pays est le chausson de lisière. La plupart des chaussonniers, qui n'ont pu livrer aux usines le travail de la semaine, travaillent encore... Et je vois, derrière des vitres, de pauvres faces chétives, des dos courbés, des mains noires qui tapotent sur des semelles de cuir... »

Voir aussi la notice Les Damps.

P. M.

 

Bibliographie : Armand Launay, « Octave Mirbeau aux Damps et à Pont-de-l’Arche », La Fouine, n° 7, 2004.  


PORTUGAL

Mirbeau ne s’est jamais rendu au Portugal et ne semble pas en avoir jamais parlé. Il n’a pourtant pas été trop mal desservi, au Portugal comme au Brésil, mais toutes ses œuvres, tant s’en faut, n’ont pas été traduites en portugais.

Comme c’est généralement le cas, ce sont ses deux romans les plus connus, Le Jardin des supplices (O Jardim dos suplicios) et Le Journal d’une femme de chambre, qui ont été le plus souvent traduits. Entre 1905 et 1995, Le Jardin a été publié chez trois éditeurs différents (Guimarães, Arcadia et Editorial Estampa) et a eu droit à six éditions (plus des rééditions), dans trois traductions différentes dues à Vasco Valdes en 1905, 1915 et 1958), à Terêncio Figueira (1972) et à Marilia Caeiro (1972 et 1995). Quant au journal de Célestine, il a connu lui aussi six éditions, sous deux titres différents, et au moins quatre traductions différentes : en 1908, Guimarães a publié Memórias d’uma criada de quarto, traduit par Vasco Valdez ; en 1973, l’Editorial Minerva a sorti Diário de uma criada de quarto en livre de poche, dans une nouvelle traduction due à Adelino dos Santos Rodrigues ; en 1979, une troisièmee traduction, due à Manuel João Gomes (1946-2007), paraît sous le même titre à Lisbonne, au Circulo de Leitores, et sera reprise en 2007, chez Bertrand Editora, mais après avoir été révisée par Duarte Camacho ; enfin, la traduction de José Parreira Alves a paru en 1983 chez Inquérito, dans la collection « Romance Universal Inquérito, et a été reprise en 2007 par les  Publicações Europa-América, de Sintra.

Seuls deux autres romans de Mirbeau ont vu le jour au Portugal : Le Calvaire (O Calvario) a d’abord été publié en 1906, à Lisbonne, chez A Editora, (237 pages), dans une traduction. de Ribeiro de Carvalho et Moraes Rosa, rééditée en 1910 : puis, dans une traduction inconnue, en 1966, chez un autre éditeur lisboète, Emp. Tip. Casa Portuguesa, dans la collection « Romántica », n° 5 (246 pages).  Quant à L’Abbé Jules  (O Padre Julio), il a été édité par Aillaud & Bertrand, dans la « Colecção Popular », à une date imprécise, sans doute dans les années 1910 ; la traduction est d’Alves Bastos.

En ce qui concerne le théâtre, il est sûr que Les affaires sont les affaires (Negócios são negócios) a été représenté au Ginnasio de Lisbonne en 1921 (et sans doute avant), dans une traduction de Acacio de Paiva et Antonio Ferro, mais la comédie ne semble pas avoir été publiée. Parmi les autres pièces, la seule, apparemment, qui ait été publiée est L’Épidémie (A Epidemia), non en brochure, mais dans A Sementeira [“l'ensemencement”], revue libertaire d'Hilário Marques, à une date indéterminée (entre 1907 et 1919). Cette même revue a également publié, vers la même époque, un conte non identifié,  « Horrível crime » [”crime horrible”], qui pourrait bien être « La Tête coupée », et aussi un mémorable article nécrologique de Mirbeau par Neno Vasco. D’autres contes ont probablement paru dans la presse portugaise, du vivant de Mirbeau et au lendemain de sa mort, mais la recension n’en a pas été entreprise. Nous devons pour le moment nous contenter d’un seul conte, qui a été inséré dans deux recueils : « Les Bouches inutiles » (« As bocas inúteis »), traduit par Anibal Fernandes, a figuré d’abord dans une Antologia do conto abominável  (Edições Afrodite, Lisbonne, 1969), puis dans O Festim da Aranha [“le festin de l'araignée”] (Assirio & Alvim, collection Beltenebros, 2008). Un autre conte, « La Bonne » (« A criada ») est depuis peu accessible en ligne dans une traduction de Gabriela, Virginie Defosse, Johanne Lacroix, Lisette Lagoa et Joan Martinez. C’est évidemment dérisoirement peu, mais cela ne prouve pas forcément grand-chose, en l’absence de dépouillement systématique de la presse portugaise.

En revanche il est sûr qu’un texte de Mirbeau a été massivement diffusé, « La Grève des électeurs »,  A Greve dos Eleitores, qui a été publié au moins trois fois : dans une brochure de 48 pages, chez un éditeur non identifié ; puis, en 17 pages, aux éditions  Nihil obstat de Coïmbre, en 1999, dans une traduction de Carlos Ramos, avec une préface de José Tavares, intitulée « O silêncio da abstenção » [“le silence de l’abstention”] ; et de nouveau en septembre 2004, chez un éditeur de .Lisbonne, Hugin, dans la collection « Dissidências » [“dissidences“] ; cette brochure de 46 pages petit format comporte aussi la traduction de « Prélude », due également à Daniel Gouveia. 

Deux universitaires portugaises ont travaillé peu ou prou sur Mirbeau. Maria Albertina Lages Gomes Fernandes a consacré sa thèse à deux romans dits autobiographiques, Mirbeau entre o naturalismo e o decadentismo (uma leitura de “Le Calvaire” e de “Sébastien Roch”), soutenue à l’Université du Minho, Braga, en 1998. Quant à Maria Carrilho-Jézéquel, spécialiste de Céline, elle a fait paraître plusieurs articles sur Mirbeau, en portugais (« Mirbeau e Céline : Panfletismo e Sátira », Diacrítica, n° 9, Braga, Université du Minho, 1994, pp. 281-290) et en français : « Le Journal d'une femme de chambre : satire, passion et vérité » (Cahiers Octave Mirbeau, n° 1, pp. 94-103) ; « Mirbeau et Céline : pamphlet, émotion et silence » (Cahiers Octave Mirbeau, n° 2, 1995, pp. 125-132) ; « La Tentation du grotesque » (Cahiers Octave Mirbeau, n° 4, 1997, pp. 250-256) ; et « Le peintre-vampire ou la rupture artiste / société pendant la deuxième moitié du XIXe siècle : Mirbeau, Zola et Maupassant » (Cahiers Octave Mirbeau, n° 7, 2000, pp. 37-50).   

P. M.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


POUGUES-LES-EAUX

Pougues-les-eaux est une commune rurale et touristique de la Nièvre. Elle a été longtemps une station thermale recherchée, jusqu’au début des années 1970. Elle était peuplée de 1 600 habitants au début du vingtième siècle. En 1905, Mirbeau y a fait une cure de trois semaines, à partir du 28 juillet, pour y soigner une infection stomacale, sur prescription de son médecin traitant, le professeur Albert Robin. Il y a de nouveau rencontré une collection d’humanités originales et y a fait une riche provision d’anecdotes cocasses en discutant son « doucheur » du nom de Girard, notamment sur l’ancien président-dictateur Guzmán Blanco, le Regenerador du Venezuela.

P. M.


POUGUES-LES>-EAUX

Pougues-les-eaux est une commune rurale et touristique de la Nièvre. Elle a été longtemps une station thermale recherchée, jusqu’au début des années 1970. Elle était peuplée de 1 600 habitants au début du vingtième siècle. En 1905, Mirbeau y a fait une cure de trois semaines, à partir du 28 juillet, pour y soigner une infection stomacale, sur prescription de son médecin traitant, le professeur Albert Robin. Il y a de nouveau rencontré une collection d’humanités originales et y a fait une riche provision d’anecdotes cocasses en discutant son « doucheur » du nom de Girard, notamment sur l’ancien président-dictateur Guzmán Blanco, le Regenerador du Venezuela.

P. M.


RAON-LA-PLAINE

Raon-sur-Plaine, comme on l’appelle aujourd’hui, est une petite commune des Vosges, située à la limite de la Meurthe-et-Moselle et du Bas-Rhin, et peuplée de quelque 500 âmes. Occupé par l’armée prussienne après la guerre de 1870, Raon a été rendu à la France en 1872. Jusqu’à 1918, on y trouvait un poste-frontière.

            C’est par ce poste-frontière que Mirbeau prétend être passé pour rentrer à Paris, en mai 1905, en provenance de Strasbourg, au terme de son périple en automobile à travers l’Allemagne. À la fin de La 628-E8 (1907), il oppose la hideur et la saleté de cet « ignoble village » à la propreté de l’accueillant poste allemand situé à Grand-Fontaine, « joli village égrené en coquets chalets dans un vert repli des Vosges » : « À Raon-la-Plaine, douane française, nous fûmes accueillis comme des chiens. Un trou puant, un cloaque immonde, un amoncellement de fumier : telle était notre frontière, à nous... Ce que nous vîmes des maisons, nous parut misérable et sordide. Des gens hurlaient dans un café... »

P. M.

 


RAON-SUR-PLAINE

Raon-sur-Plaine, comme on l’appelle aujourd’hui, est une petite commune des Vosges, située à la limite de la Meurthe-et-Moselle et du Bas-Rhin, et peuplée de quelque 500 âmes. Occupé par l’armée prussienne après la guerre de 1870, Raon a été rendu à la France en 1872. Jusqu’à 1918, on y trouvait un poste-frontière.

            C’est par ce poste-frontière que Mirbeau prétend être passé pour rentrer à Paris, en mai 1905, en provenance de Strasbourg, au terme de son périple en automobile à travers l’Allemagne. À la fin de La 628-E8 (1907), il oppose la hideur et la saleté de cet « ignoble village » à la propreté de l’accueillant poste allemand situé à Grand-Fontaine, « joli village égrené en coquets chalets dans un vert repli des Vosges » : « À Raon-la-Plaine, douane française, nous fûmes accueillis comme des chiens. Un trou puant, un cloaque immonde, un amoncellement de fumier : telle était notre frontière, à nous... Ce que nous vîmes des maisons, nous parut misérable et sordide. Des gens hurlaient dans un café... »

P. M.

 


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