Oeuvres

Il y a 96 entrées dans ce glossaire.
Tout A B C D E F G I J L M N O P R S T U V
Page:  « Prev ... 3 4 5 6 7
Terme
SUR LA STATUE DE ZOLA

Il s’agit d’un texte d’humeur, que Mirbeau a rédigé en 1904, mais qu’il n’a pas publié, peut-être pour ne pas froisser des personnes qui l’avaient certes déçu, mais qui n’étaient pas pour autant devenues des ennemis. Le texte manuscrit a été publié  en 1989 par les éditions de L’Échoppe, Caen, dans la collection « Envois », 1989, dans une plaquette de 36 pages petit format.

Mirbeau y raconte ses déboires au sein de la commission constituée, au lendemain de la mort d’Émile Zola, pour lui élever un monument. Après le refus de Rodin, Mirbeau a proposé que l’on choisisse Aristide Maillol et s’est alors attiré des remarques ironiques sur ce sculpteur de « petites femmes nues » qui serait bien en peine de sculpter une redingote. Pour finir, la commande du monument à Émile Zola finira par échoir au couple improbable formé par le vieux  Constantin Meunier associé au jeune Alexandre Charpentier… et ne verra jamais le jour. Mirbeau reviendra sur cette histoire dans La 628-E8 (1907). Son texte a été recueilli dans le tome II des Combats esthétiques, ainsi que deux autres texte inédits sur Constantin Meunier et Alexandre Charpentier.

P. M.


TÊTES DE TURCS

C’est sous le titre de Têtes de Turcs qu’a paru, le 31 mai 1902, un numéro spécial, n° 61, de L’Assiette au beurre, hebdomadaire satirique d’inspiration libertaire, anticléricale et antimilitariste. Ses 20 pages très grand format sont entièrement rédigées par Octave Mirbeau et illustrées par Léopold Braun. Le texte de Mirbeau présente, en quelques lignes mordantes, parfois même assassines pour les anti-dreyfusards, un certain nombre de personnalités de « l’actualité parisienne, toujours fumiste ou sentimentale », comme Mirbeau la qualifie dans le « Frontispice », « avant qu’elles ne s’évaporent pour jamais » : « c’est une exemplarité qui peut nous faire réfléchir sur les qualités de nos emballements. Un caprice les allume ; un autre les éteint… C’est la vie, et c’est leur vie… Il y a bien de la tristesse, dans tout cela !...  »

On rencontre donc successivement : Alfred Chauchard, qui « ressemble à un loulou blanc de Poméranie » ; Paul Deschanel, « né coiffé… et même coiffeur » ; le docteur Doyen, chirurgien-boucher qui « perfectionne […] l’armement » avec son bistouri, sa scie et autres instruments de la même farine ; Henri Rochefort, dont la « vie n’a été véritablement qu’un crime perpétuel, une offense permanente à l’humanité » ; Boni de Castellane, « le môme Frisé » ;  Massenet, « le Coppée de la musique », et avec ça « poli, poli, poli » ; Porel, le directeur de théâtre de boulevard ; Lucien Millevoye, « l’homme politique le plus bête de la Chambre » ; Edmond Rostand – « Est-ce un poète ? » ; Eugène Brieux – « Le brieux est l’ennemi du bien » ; Édouard Drumont, « le dernier fléau inventé par Dieu le Père – qui s’y connaît en fléau ! – en vue de châtier son peuple chéri » ; Jules Lemaitre, « tombé, pour longtemps, de la poudre de riz du dilettantisme, dans la boue gluante du mensonge » ; Maurice Barrès, « dont le nez est long » et qui « a accompagné, pourtant d’un peu loin, M. Déroulède dans quelques-unes de ses expéditions » ; Ernest Constans ; Paul Bourget, « un cochon triste », qui a « inventé l’adultère chrétien » et qui est « entré vivant dans la mortalité » ; le sculpteur Denys Puech, « hardi industriel » du marbre et du bronze ; Henry Roujon, « chef de l’art, en France » et qui, à ce titre, « l’élève, le subventionne, le développe, le protège, le vulgarise, le vend, l’achète, l’épluche, le tamise, l’accommode, le mijote, le décore et, finalement, le sert dans les musées, où les amateurs le consomment » ; François Coppée, « tout petit rimeur des Batignolles » ; et Paul Déroulède, en exil « dans un casino, ce qui convient mieux à son attitude, à ses gestes, à son éloquence, à sa redingote ». Ce choix est un peu déconcertant, car s'y côtoient des ennemis politiques, que Mirbeau juge dangereux et/ou crapuleux, et des personnalités relativement insignifiantes, ou même avec qui Mirbeau a eu des relations plutôt cordiales (Massenet, Rostand, par exemple). Leur seul point commun, c'est d'avoir usurpé leur notoriété, qui est donc, selon lui, condamnée à n'être qu'éphémère, jugement ratifié par la postérité.

Pour démontrer cette usurpation, Mirbeau recourt à un procédé ironique qu’Arnaud Vareille appelle le contre-type et qu’il définit ainsi : « emploi récurrent du principe de contradiction logique entre le signifiant des personnalités citées (leur identité et leur image publique) et leurs signifiés (les valeurs qui leur sont attachées par Mirbeau) », ce qui permet « de mettre en lumière la discordance entre l’être et le paraître, qui serait devenue l’essence du social ».

P. M.

 

Biibliographie : Arnaud Vareille, « D'un usage particulier de la caricature chez Mirbeau : le contre-type », Cahiers Octave Mirbeau, n° 15, 2008, pp. 104-124.

 

 


THEÂTRE COMPLET

C’est sous ce titre que j’ai publié à deux reprises la première édition critique des neuf pièces de Mirbeau : la première a paru en octobre 1999 aux Éditions InterUniversitaires, à Saint-Pierre-du-Mont, en un seul volume de 668 pages ; la seconde en 2003, en quatre volumes, aux éditions Eurédit, de Cazaubon. La préface générale et les neuf introductions sont identiques, mais les notes ont été enrichies par les variantes du texte imprimé par rapport aux manuscrits nouvellement découverts. Cette édition ne comporte aucune œuvre nouvelle, par rapport à la précédente édition du Théâtre de Mirbeau, parue chez Flammarion en trois volumes, en 1921-1922, et dépourvue de tout appareil critique.

Curieusement, Mirbeau n'est venu que tardivement au théâtre, hors La Gomme (voir la notice), alors que ses qualités de dialoguiste, son sens de l’observation et sa verve comique pouvaient lui laisser espérer de grands succès dramatiques. Il était en effet convaincu que le vieux théâtre avait fait son temps et qu'il était condamné à mort : victime du mercantilisme des directeurs de théâtre, du misonéisme d'un public abêti, de l'incompétence d'une critique tardigrade, et de l'industrialisme des auteurs dramatiques.  Pour que le théâtre renaisse, il aurait fallu, à l’en croire, une véritable révolution culturelle, à laquelle il n’a jamais cru. Pourtant il a fini par se décider à se servir de cette forme moribonde, comme il s'est servi du journalisme et du roman pour lesquels il était pareillement critique, afin de travailler à éveiller les consciences. Dans son dispositif de combat, il a conçu trois types de pièces :

 – Une tragédie prolétarienne : Les Mauvais bergers (1897), sur un sujet proche de celui de Germinal. Mais il n'était pas satisfait de sa pièce, a pris conscience qu’il avait fait fausse route et aurait voulu la supprimer de la liste de ses œuvres.

Deux comédies de caractères et de mœurs, pour lesquelles il a dû mener deux difficiles batailles avant de parvenir à les faire représenter sur la prestigieuse scène de la Comédie-Française : Les affaires sont les affaires  (1903), où, avec le brasseur d’affaires Isidore Lechat, il a créé un type destiné à durer et qui a triomphé sur toutes les scènes d'Europe, et Le Foyer (1908), qui a suscité un beau scandale parce qu’il y dénonçait la charité-business,  l'exploitation économique et sexuelle des enfants et la collusion entre politiciens et affairistes. Pour traiter des sujets à implications sociales immédiates, Mirbeau y renoue avec la tradition moliéresque : il place au centre de ses pièces des caractères complexes et vivants, des types fortement individualisés, à la fois humains et théâtraux, que l'on peut détester en tant qu'incarnations des pourritures sociales, mais que l'on peut également plaindre en tant qu'individus accessibles à la souffrance. Tout en s’accordant certaines libertés avec la vraisemblance, la bienséance et les canons de la pièce « bien faite » selon le modèle de Scrib sacralisé par Francisque Sarcey, il joue néanmoins le jeu de l’illusion théâtrale et respecte les conventions considérées alors comme incontournables : concentration dramatique, conflits humains, primauté du dialogue, répliques à effet, souci de la crédibilité.

. Les Farces et moralités (1904) recueil de six pièces en un acte, où des moyens farcesques, qui permettent la distanciation et le rire du spectateur, sont mis au service d’un objectif didactique avoué, comme les moralités médiévales. Mais, au lieu de prétendre édifier les âmes, il se livre au contraire à un chamboule-tout jubilatoire de tout ce qu'un vain peuple craint (la loi, la propriété, la police, le pouvoir politique, la presse) ou respecte (l'amour, la morale, le mariage). Rompant avec les règles de la dramaturgie classique, il porte la contestation jusqu’à cette fausse monnaie qu’est le langage.

Hors Les Mauvais bergers, qui a mal vieilli, et Interview, farce médiocre, force est de reconnaître que le théâtre de Mirbeau, à la fois très classique et très moderne, a conservé tout à la fois son actualité, sa vis comica et sa portée hautement démystificatrice : aussi bien, depuis plus d’un siècle, son succès ne s’est-il jamais démenti et ses pièces sont-elles régulièrement reprises.

Voir aussi les notices Théâtre, Les Mauvais bergers, Les affaires sont les affaires, Farces et moralités et Le Foyer.

P. M.

 

 Bibliographie : Wolfgang Asholt, « Théâtre de combat », in Gesellschaftkritisches Theater im Frankreich der Belle Époque, Heidelberg, 1984, pp. 248-259 [en allemand] ; Philippe Baron, « La Technique dramatique d’Octave Mirbeau », Octave Mirbeau, Actes du colloque d’Angers, Presses de l’Université d’Angers, 1992, pp. 369-378 ; Maxime Bourotte, « Mirbeau et l’expressionnisme théâtral », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001, pp. 211-218 ; Samuel Lair, « Mirbeau dramaturge : des mythes et des monstres », in Un moderne : Octave Mirbeau, J. & S. – Eurédit, 2004, pp. 219-252 ; Pierre Michel, « Un dramaturge décapant », Les Combats d’Octave Mirbeau, Annales littéraires de l’Université de Besançon, 1995, pp. 233-275 ; Pierre Michel,  « Octave Mirbeau et le théâtre », préface du Théâtre complet, Eurédit , 2003, t. I, II, III et IV, pp. 7-17.    

 

 


UN GENTILHOMME

Un gentilhomme est un roman inachevé, publié par les éditions Flammarion en 1920, après la mort du romancier. Ce volume posthume de 247 pages comprend également sept contes parus dans la presse et que Mirbeau n'a pas lui-même recueillis en volume – à l'exception d'un seul – et qui ont été insérés en 1990 dans les Contes cruels : « La Table d'hôte », « La Chambre close », « Un Joyeux drille », « Précocité », « En promenade », « Pauvre voisin » et « Clotilde et moi ». Un gentilhomme  stricto sensu a été inséré dans le tome III de mon édition critique de l’Œuvre romanesque de Mirbeau, en 2001, puis, comme ses autres romans, publié une troisième fois aux éditions du Boucher, en décembre 2003.

Il peut sembler curieux que ce roman soit resté en rade, car le projet en est fort ancien. C'est au milieu des années 1890 qu' il a commencé à réfléchir à un roman « sur la grande propriété », comme il le confie au journaliste Jules Huret. Au tournant du siècle, il a envisagé de lui donner des dimensions considérables et songé apparemment à faire, pour la France du dernier quart du XIXe siècle, à partir du du coup d'État mac-mahonien du 16 mai 1877,  l'équivalent de ce que son maître Tolstoï a fait, dans Guerre et paix, pour la Russie du premier quart : « Je m'attelle à un roman très gros, très lourd, trop lourd pour moi, peut-être. Mais je me sens du courage, et je vais tenter cet effort. / Je voudrais montrer tout l'effort du parti catholique depuis le 16 mai. Politique, finances, religion, antisémitisme, Congrégations. Deux cents personnages... une action grouillante... sans théories. Rien que des récits et des types... tous les types ! Vous voyez quelles difficultés j'assume ! », écrit-il à Jules Claretie le 2 septembre 1902. Mais il se trouve, curieusement, que les trois chapitres publiés par Alice Mirbeau  s'arrêtent à la veille de ce coup d'État !… Autre chose curieuse : en août 1901, Mirbeau a inséré dans Les 21 jours d’un neurasthénique, au chapitre XVII, quatre épisodes qui devaient visiblement prendre place dans Un gentilhomme, comme s’il avait alors abandonné le projet dont il reparlera un an plus tard à Claretie : c’est en effet sous le titre général d’« Un gentilhomme » qu’ont paru, dans Le Journal, du 19 mai au 6 juin 1901, quatre chapitres qui ne font pas partie du volume publié en 1920 et qui sont sous-titrés « La Blouse et la redingote », « Entre gentilshommes », « Monsieur le duc d’Orléans » et « La Croix de Binder ». Comme si son projet avait eu du plomb dans l’aile. Il serait certes bien tentant d’accuser la veuve abusive d’avoir procédé à un nettoyage du manuscrit ou à une destruction de chapitres rédigés : on ne prête qu’aux riches !. Mais il est plus plausible que Mirbeau a laissé en plan son entreprise au profit d’autres projets littéraires (Le Foyer et La 628-E8).

Pourquoi cet abandon ? Il n’est pas impossible, comme le suppose Monique Bablon-Dubreuil, qu’il ait perdu tout intérêt pour une noblesse en déclin et qui aurait cessé de le fasciner. Mais l’explication la plus plausible est d’ordre littéraire. L'entreprise de grande ampleur envisagée par Mirbeau a dû lui paraître très vite au-dessus de ses forces, et de surcroît pas vraiment dans ses cordes, comme jadis La Rédemption qui devait constituer la suite du Calvaire. Et puis, tel qu’il était parti, Un gentilhomme allait à contre-sens de son évolution en matière de roman : alors que, de plus en plus, Mirbeau s'oriente vers des œuvres narratives déconcertantes par leur refus de la construction et d'un sens univoque, le sujet choisi l'aurait sans doute obligé à en revenir à un récit plus classique, plus balzacien, et à donner quantité d'explications pour rendre compte de l'histoire contemporaine, comme si la réalité historique était intelligible, comme si l’histoire avait un sens.

L'intérêt majeur des trois chapitres rédigés vient du retour du romancier sur ses débuts de professionnel de la plume. Un gentilhomme peut en effet être lu comme un roman-confession, qui devait lui permettre d’évacuer un passé qui avait du mal à passer : ses années de prostitution politico-journalistique. Comme lui, son personnage-narrateur, Charles Varnat, entre, comme secrétaire particulier, au service d'un hobereau normand aux vastes ambitions politiques, le marquis d'Amblezy-Sérac, qui devait être un homme-clef de l’Ordre Moral mac-mahonien, à l’instar du baron de Saint-Paul (voir la notice) dans l’Ariège. Comme lui, Varnat  a dû, pour assurer sa pitance (et même pour ne pas « crever littéralement de faim »), mettre sa plume au service d'employeurs successifs, ce qui lui a laissé des souvenirs durables d'humiliations et de frustrations. De nouveau, comme dans ses articles et contes des années 1880, Mirbeau assimile ce prolétariat intellectuel à de la prostitution (Varnat est même sur le point de « mettre [s]es complaisances au service de vieux messieurs débauchés et si respectables ») et la condition de secrétaire particulier à celle d'un domestique, mais en plus salissant encore : « La première condition, la condition indispensable pour remplir, à souhait, une si étrange fonction, implique nécessairement l'abandon total de soi-même dans les choses les plus essentielles de la vie intérieure. Vous n'avez plus le droit de penser pour votre compte, il faut penser pour le compte d'un autre, soigner ses erreurs, entretenir ses manies, cultiver ses tares au détriment des vôtres, pourtant si chères; vivre ses incohérences, ses fantaisies, ses passions, ses vertus ou ses crimes qui, presque toujours, sont l'opposé de vos incohérences à vous, de vos fantaisies, de vos passions, de vos vertus ou de vos crimes, lesquels constituent, pourtant, la raison unique, l'originalité, l'harmonie de votre être moral ; ne jamais agir pour soi, en vue de soi, mais pour les affaires, les ambitions, le goût, la vanité stupide ou l'orgueil cruel d'un autre; être, en toutes circonstances, le reflet servile, l'ombre d'un autre... Moyennant quoi, vous êtes admis à vous asseoir, silencieux et tout petit, les épaules bien effacées, à un bout de sa table, grignoter un peu de son luxe, vous tenir, constamment, vis-à-vis de lui, de ses invités, de ses chevaux, de ses chiens, de ses faisans, dans un état de différence subalterne, et recevoir mensuellement avec reconnaissance – car vous n'êtes pas un ingrat – un très maigre argent qui suffit, à peine, à l'entretien de vos habits. Un peu – si peu ! – au-dessus des valets d'antichambre qui vous méprisent en vous enviant; beaucoup au-dessous des amis, des invités les plus indifférents qui vous écartent, avec une ostentation humiliante, de leur intimité, vous restez perpétuellement en marge de la vie des uns et des autres... »

Voir aussi Dugué de la Fauconnerie, Domesticité, Prostitution et Négritude.

P. M.

 

Bibliographie : Bablon-Dubreuil, Monique, « Un gentilhomme : du déclin d'un mythe à l'impasse d'un roman »,  Cahiers Octave Mirbeau, n° 5, 1998, pp. 70-94 ; Jean-Pierre Bussereau,  « Un gentilhomme : impressions d’un lecteur », Cahiers Octave Mirbeau, n° 12, 2005, pp. 168-173 ; Pierre Michel, « Introduction »  à Un gentilhomme, in Œuvre romanesque, Buchet/Chastel – Société Octave Mirbeau,  2001, t. III, pp. 867-872 ; Pierre Michel,  « Du prolétaire au gentilhomme », introduction à Un gentilhomme, Éditions du Boucher, pp. 3-17 ; Pierre Michel, « Quelques réflexions sur la négritude », Cahiers Octave Mirbeau, n° 12, 2005, pp. 4-30 ; Anita Staron,  « La Servitude dans le sang.. L'image de la domesticité dans l'œuvre d'Octave Mirbeau », Actes du colloque de Lublin des 27-28 octobre 2003, Statut et fonctions des domestiques dans les littératures romanes, Lublin, Wydawnictwo UMCS, 2004, pp. 129-140  ; Robert Ziegler,  « Du texte inachevé à l’interprétation intégrale – La créativité de la lecture dans Un gentilhomme », Cahiers Octave Mirbeau, n° 10, mars 2003, pp. 131-144 ; Robert Ziegler,  « From texte inachevé to l’interprétation intégrale - The Creativity of Reading in Un gentilhomme » ; Robert Ziegler, « A Way Out : Un gentilhomme », ch. V de The Nothing Machine - The Fiction of Octave Mirbeau, Rodopi, Amsterdam – New York, septembre 2007, pp. 95-116.

 


UN HOMME SENSIBLE

Cette brochure de 64 pages, parue en 1919 chez Ernest Flammarion, dans la collection « Une Heure d'oubli… », n° 13, comporte pour l’essentiel une longue nouvelle grinçante, au titre ironique, Un homme sensible, parue en neuf feuilletons dans Le Journal, du 25 août au 20 octobre 1901. Elle est complétée par trois contes : « Rabalan », « Piédanat » et « La Folle ». Tous ces textes ont été recueillis en 1990 dans les Contes cruels.

Le narrateur d’Un homme sensible est un assassin et un sadique, qui a toujours pris un plaisir pernicieux à frapper  et persécuter les estropiés et les handicapés. Mais cela ne l’empêche pas pour autant d’affirmer qu’il n’a « jamais été méchant », ni de se prétendre doté « d’une sensibilité excessivement, exagérément douloureuse, qui [le] portait à plaindre – jusqu’à en être malade – les souffrances des autres… », sensibilité dont il fournit de multiples preuves remontant à son enfance. Il est amené à tuer, par jalousie et sous le fouet de l’humiliation, un pauvre bossu, que lui préfère la jolie Marie qu’il « désire », puis la jeune fille elle-même, dont l se lasse vite une fois qu’elle s’est donnée au meurtrier de son amant. Pour justifier ses crimes odieux,  il invoque l’harmonie de l’univers, la beauté de l’Espèce, la « haine du pauvre » ordonnée par la société et « toutes les données de la science moderne », qui prouvent que la nature doit impitoyablement éliminer « tous les organismes inaptes à une vie harmonieuse et forte ».

Le lecteur est délibérément mis mal à l’aise. D’abord, parce que, au lieu de s’identifier au narrateur, comme c’est le plus souvent le cas, il ne peut que le détester. Ensuite, parce qu’il découvre que, contrairement à une vision simpliste et rassurante de la psychologie, la cruauté et la sensibilité ne s’excluent pas forcément et peuvent fort bien coexister chez le même individu. Enfin et surtout parce qu’il ne sait pas très bien comment prendre le plaidoyer de l’assassin. Certes, il peut commodément l’accuser d’être de mauvaise foi. Mais cela ne saurait suffire pour se mettre à l’abri, car les arguments des « lois de la vie » justifiant l’écrasement des faibles sont courants à l’époque dans la société bourgeoise, où triomphe un capitalisme inhumain, qui prétend trouver des légitimations dans le darwinisme. Comme dans Le Portefeuille et Scrupules, Mirbeau a entrepris une démonstration par l’absurde : si le lecteur est révolté par les actes monstrueux du narrateur, il ne peut que rejeter ses justifications théoriques, et donc condamner la « morale » bourgeoise et l’économie capitaliste qui reposent sur les mêmes présupposés ; corollairement, il doit faire de la pitié pour les plus faibles et les plus démunis le fondement de son éthique.

Voir aussi les notices Morale, Darwin, Contradiction, Capitalisme et Contes cruels et Les Vingt et un jours d’un neurasthénique.

P. M.

 

Bibliographie : Angela Di Benedetto, « La parole à l’accusé : dire le mal dans les Contes cruels », Cahiers Octave Mirbeau, n° 17, à paraître en mars 2010.


VIEUX MENAGES

Vieux ménages est une comédie en un acte, créée au Théâtre d’Application le 20 décembre 1894, reprise en octobre 1900 au Théâtre du Grand-Guignol, avec Louise France, puis publiée chez Fasquelle en 1901, dans un petit volume de 35 pages, et enfin recueillie en 1904 dans Farces et moralités  (le titre est alors au singulier : Vieux ménage). Mirbeau y reprend, après l’avoir retravaillé, un dialogue paru dans Le Journal le 29 juillet, 1894, « Les Vieux ménages ». La pièce a été reprise plusieurs fois, notamment en 1989, dans une mise en scène de Jean-Loup Rivière, et en 1999, à la Comédie-Française, avec Alain Pralon et Martine Chevalier.

Mirbeau y traite de nouveau de l’enfer conjugal, dont il a une riche expérience, et illustre une nouvelle fois les turpitudes et la tartufferie de la bourgeoisie, dont la « respectabilité » n’est que faux semblants. Il met en scène un vieux couple anonyme, qui passe son temps à se déchirer, mais qui reste uni par la pourriture et la haine, qui sont des liens bien plus durables et solides que l’amour. Le Mari, « respectable » magistrat à la retraite, catholique proclamé, impitoyable aux pauvres, et qui prétend ne pas transiger avec ses principes de haute moralité, se révèle être un coureur de jupons et, à l’occasion, un amateur de chair adolescente susceptible d’encourir des poursuites judiciaires. Quant à la Femme, vieille podagre aigrie et solitaire, qui ne peut plus accomplir son « devoir conjugal », elle lui conseille cyniquement de jeter son dévolu sur sa nouvelle et jolie voisine divorcée, qui n’a donc plus de propriétaire en titre, plutôt que de lui « prendre [ses] bonnes », qu’elle se plaît à houspiller, dernier plaisir qui lui reste.

Ces personnages sont odieux, en tant qu’incarnations de l’ordre bourgeois, hypocrite et répressif, dont ils illustrent la férocité. Mais la vieillesse, l’incommunicabilité et une irrémédiable solitude sont aussi leur lot, et, en tant qu’êtres humains condamnés au mal-être inhérent à la condition humaine et qui en souffrent, malgré leurs sordides vilenies, il n’est pas totalement impossible d’éprouver pour eux un peu de pitié, d’autant qu’ils ne sont jamais que le produit, en même temps que le symptôme, d’une société profondément malade. Deux institutions sont particulièrement visées : la “Justice”, douce aux puissants, dont elle ignore les crimes, mais impitoyable aux pauvres, classe dangereuse ; et le mariage monogamique, qui n’est qu’un hypocrite maquignonnage au terme duquel les époux sont deux ennemis également frustrés et vindicatifs..

P. M.

 

Bibliographie : Georges Dupeyron, « Sur deux pièces d’Octave Mirbeau », Europe, juin 1967, pp. 189-191 ; Tomasz Kaczmarek, « Farces et moralités.d’Octave Mirbeau », Studia romanica posnaniensia, n° XXXII, Poznan, 2005, pp. 146-148 ; Pierre Michel,  « Introduction » à Vieux ménages, in Théâtre complet de Mirbeau, Eurédit, 2003, t. IV,  pp. 33-36

 

 

 

 


Page:  « Prev ... 3 4 5 6 7
Glossary 3.0 uses technologies including PHP and SQL