Thèmes et interprétations
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PARADOXE |
PARADOXE
« Endehors » réfractaire à la pensée unique, pamphlétaire qui pourfend tous les mensonges sociaux, démasqueur patenté de toutes les « grimaces » des dominants, Octave Mirbeau ne pouvait qu’être sensible à l’intérêt pédagogique des paradoxes, car, par définition, ils s’opposent à l’orthodoxie qu’il vomit et sont donc susceptibles de susciter la réflexion chez les « âmes naïves ». Or il se trouve qu’il a précisément été amené, en 1895, à prendre la défense d’un grand pourvoyeur de paradoxes, Oscar Wilde, qui vient d’être condamné au hard labour. Certes, il reconnaît qu’ils ne sont pas tous d’un égal intérêt et que certains sont même « excessifs ». « Mais, ajoute-t-il, qu’est-ce qu’un paradoxe, sinon, le plus souvent, la forme saisissante et supérieure, l’exaltation de l’idée ? Dès qu’une idée dépasse le bas niveau de l’entendement vulgaire, dès qu’elle ne traîne plus des moignons coupés dans les marécages de la morale bourgeoise et que, d’un vol hardi, elle atteint les hauteurs de la philosophie, de la littérature ou de l’art, nous la traitons de paradoxe parce que nous ne pouvons la suivre en ces régions inaccessibles à la débilité de nos organes, et nous croyons l’avoir à jamais condamnée en lui infligeant ce vocable de blâme et de mépris. Pourtant le progrès ne se fait qu’avec le paradoxe, et c’est le bon sens – vertu des sots – qui perpétue la routine. La vérité est que nous ne pouvons supporter que quelqu’un vienne violenter notre inertie intellectuelle, notre morale toute faite, la sécurité stupide de nos conceptions moutonnières » (« Sur un livre », Le Journal, 7 juillet 1895). En nous introduisant dans les coulisses du monde immonde, en nous obligeant à découvrir l’horrible figure de Méduse derrière les apparences avenantes des institutions et des individus moutonnièrement respectés, Mirbeau se révèle lui aussi un grand fournisseur de paradoxes. Toute son œuvre peut même être considérée comme paradoxale, puisqu’elle nous révèle l’envers des choses et nous incite à inverser la perception qu’on nous en impose pour les redécouvrir sous un jour nouveau, dans leur horrifique vérité : la République, loin d’être la chose du peuple, n’est que l’apanage de quelques-uns ; la démocratie, au lieu de remettre le pouvoir au peuple, assure au contraire la domination des élus sur le peuple ; la civilisation, au nom de laquelle on entreprend des conquêtes coloniales, se révèle une barbarie bien pire encore que celle des « sauvages » que l’on prétend civiliser ; les prêtres d’une religion « d’amour » sont en réalité des « pourrisseurs d’âmes » et, à l’occasion, des violeurs d’enfants ; les honneurs sont déshonorants ; l’école abrutit et annihile la curiosité intellectuelle et l’esprit critique des enfants, au lieu de les développer comme elle le devrait ; la famille est un lieu clos de haines recuites et d’oppressions quotidiennes ; les académies, loin de récompenser les meilleurs, couronnent les médiocres, etc. C’est en violentant de la sorte « l’inertie intellectuelle » de ses lecteurs que Mirbeau espère susciter des questionnements chez certains d’entre eux, éveiller leur sens critique et ouvrir leur esprit. P. M.
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