Thèmes et interprétations
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IMPRESSIONNISME LITTERAIRE |
L’expression d’“impressionnisme littéraire”, par laquelle on désigne la tendance de certains écrivains du deuxième dix-neuvième siècle à appliquer, dans leurs œuvres romanesques, l’équivalent des techniques et des approches propres aux peintres dits “impressionnistes”, n’est pas admise par tous les chercheurs : soit pour des raisons de fond (l’abîme séparant l’art de la peinture de celui de l’écriture et qui devrait interdire les parallélismes artificiels), soit du fait des parcours d’écrivains tels que Goncourt, Maupassant ou Zola, souvent taxés d’impressionnisme, bien que les deux premiers aient été étrangers à l’impressionnisme pictural et que le troisième ait renié sur le tard son enthousiasme juvénile. Mais il semble pourtant bien qu’on puisse, sans abuser des mots, parler d’“impressionnisme littéraire” à propos d’Octave Mirbeau, qui fut l’ami et le chantre quasiment attitré de Claude Monet et de Camille Pissarro : il partageait leur esthétique, il était au plus près de leurs propres recherches picturales, ses romans suscitaient leur admiration, et il n’est pas étonnant qu’il ait tenté, dans le domaine qui était le sien, des expériences comparables à celles qu’ils menaient dans le leur. Il n’est donc pas inutile de dégager quelques traits qui puissent légitimer, à son propos, l’emploi de cette expression controversée. * Tout d’abord, Mirbeau partage aussi la conviction que, pour faire œuvre d’art, il convient de jeter sur les choses un œil innocent, c’est-à-dire débarrassé des épaisses couches de préjugés et de conditionnements accumulés qui obscurcissent la vue du commun des mortels : l’artiste est celui qui voit ce que les hommes ordinaires jamais ne verront, qui découvre, derrière les apparences, des réalités cachées et inaccessibles. Cela nécessite une ascèse douloureuse et continue et entraîne bien souvent, chez Monet notamment, des désespérances que Mirbeau a évoquées, en connaissance de cause, dans son roman Dans le ciel. En tant qu’écrivain, il s’est précisément fixé pour objectif d’obliger ses lecteurs à « regarder Méduse en face » et à voir toutes choses sans verres déformants, à travers un regard neuf qui contribue à dessiller leurs yeux. * Une œuvre d’art ne peut donc être que subjective. Dans un récit, cette totale subjectivité ne fait apparaître que ce que perçoit le narrateur ou le personnage, sans qu’on ait la moindre garantie sur la réalité objective de ce qui nous est présenté. Ainsi le monde est-il toujours réfracté à travers une conscience, qui lui impose inévitablement des distorsions : ce que nous découvrons, en lisant, ce ne sont que des impressions, souvent floues et éphémères, susceptibles de se modifier en fonction des états d’âme fluctuants du narrateur ou du personnage. C’est alors au lecteur qu’il revient d’interpréter comme il l’entend les indices qui lui sont fournis. * Si l’œil est si important, si, a fortiori, il est la condition sine qua non d’une véritable œuvre d’art, alors la raison et l’intelligence passent au second plan, voire sont carrément perçues comme des obstacles liés aux conditionnements socioculturels et qu’ils convient donc d’éliminer. L’anti-intellectualisme esthétique de Mirbeau, qui se méfie des théories, des analyses et des étiquettes, est le corollaire de son extrême méfiance, sur d’autres plans, à l’égard du scientisme et du collectivisme (voir ces mots). * Cette défiance envers la raison, qui tendrait illusoirement à faire croire que tout est intelligible et obéit à des lois fixes et immuables que l’homme serait capable de dégager et d’exploiter à son profit, a pour effet, dans le domaine du roman, de refuser de plus en plus la composition telle que l’entendaient Balzac ou Zola. Car composer, c’est imposer au “réel” des déformations arbitraires et suspectes, c’est faire croire à un univers ordonné, où tout se tient, alors que ce n’est qu’un chaos où rien ne rime à rien. De même que les peintres impressionnistes refusent de faire entrer de force, dans le cadre qu’ils ont eux-mêmes librement choisi, la matière qui n’y a pas sa place, de même Mirbeau romancier se refuse à coucher son récit sur le lit de Procuste de la composition et à faire croire mensongèrement qu’une finalité est à l’œuvre dans ses récits. Les techniques de la fragmentation et du collage (voir ces mots), auxquelles il recourt de plus en plus systématiquement, ont pour but de détruire cette illusion finaliste. * Enfin, dans le domaine des descriptions, qui sont, dans un roman, ce qui justifie le plus évidemment le rapprochement avec la peinture, Mirbeau a effectivement transposé dans la littérature « ce grand fait de la peinture contemporaine : la lumière ». L’absence de contours, la vibration de l’air, l’interaction des couleurs, la juxtaposition de taches, sont des constantes de ses textes descriptifs. Des verbes tels que « vaporiser », « iriser », « opaliser », « poudroyer » sont fréquemment utilisés pour rendre compte d’une impression floue et ondoyante produite par la nature environnante. Et, toujours, quand description il y a, c’est à travers le regard d’un personnage, ou du narrateur, à un moment précis de la journée, à partir d’un certain point de vue bien précisé, sous tel type de lumière, et à un moment où son état d’âme conditionne la perception qu’il a du monde qu’il aperçoit. Voir aussi les notices Impressionnisme, Artiste, Roman, Fragmentation et Collage. P. M.
Bibliographie : Samuel Lair, « L'Impressionnisme et ses apôtres : Zola et Mirbeau, divergence des approches critiques », Cahiers Octave Mirbeau, n° 1, 1994 , pp. 47-55 ; Pierre Michel, « La 628-E8 : de l’impressionnisme à l’expressionnisme », introduction à La 628-E8, Éditions du Boucher, 2003, pp. 3-31 ; Pierre Michel et Jean-François Nivet, « Mirbeau et l’impressionnisme », in Numéro spécial Octave Mirbeau de L’Orne littéraire, Alençon, 1992, pp. 31-46.
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