Thèmes et interprétations

Il y a 261 entrées dans ce glossaire.
Tout A B C D E F G H I J L M N O P Q R S T U V
Terme
PACIFISME

Depuis son adolescence, à l’époque où il stigmatisait le retour à la sauvagerie originelle que serait la réorganisation militaire en cours, Mirbeau a été un pacifiste radical et conséquent, et il le sera jusqu’à sa mort, désespéré par l’atroce et inexpiable boucherie de la première guerre mondiale. Il n’était évidemment pas le seul à refuser la guerre et à souhaiter un rapprochement entre les peuples, notamment entre les Français et les Allemands, mais il a certainement été l’un des plus constants et des plus influents.

* Dès 1884, il tord le cou à la légende du mauvais Allemand, « bâtie par la bêtise humaine », et montre un Bismarck vraiment ami de la France, où il est paradoxalement populaire (« La Légende du chancelier », Le Gaulois, 22 décembre 1884).

* Dans ses Lettres de ma chaumière de 1885, il entreprend de déshéroïser la guerre et met en lumière l’aberration qui fait qu’on guillotine les assassins de type artisanal, alors qu’on acclame les assassins industriels, « ceux-là qui ont le plus tué, le plus pillé, le plus brûlé », et qu’on dresse des monuments en l’honneur de « celui qui a tué trente mille hommes » (« La Guerre et l’homme »).

* Dans le chapitre II du Calvaire (1886), il se livre à une démystification en règle de la guerre, de l’armée et de l’idée même de patrie, soulevant l’ire des nationalistes et « revanchards », particulièrement nombreux dans la presse. Il leur répond dans la préface à la neuvième édition du roman, où il exprime sa propre conception pacifiste de ce que doit être le vrai patriotisme : « De tout ce qui a été écrit sur Le Calvaire, il résulte que je suis un sacrilège, parce qu'aux implacables férocités de la guerre j'ai osé mêler la supplication d'une pitié ; que je suis un iconoclaste, parce qu'en voyant la ruine des choses et la mort des jeunes hommes, mon âme s'est émue et troublée. [...] Le patriotisme, tel que je l'aime, travaille dans le recueillement. Il s'efforce de faire la patrie grande avec ses poètes, ses artistes, ses savants honorés, ses travailleurs, ses ouvriers et ses paysans protégés. [...] Il ne ressemble pas aux brutes forcenées, aux criminels iconoclastes, brûleurs de tableaux, démolisseurs de statues, qui ne peuvent comprendre que l'Art et que la Philosophie rompent les cercles étroits des frontières et débordent sur toute l'humanité » (Le Figaro, 8 décembre 1886).

* Le dernier chapitre de Sébastien Roch (1890) fait de nouveau apparaître la monstrueuse absurdité de la guerre, où d’innocents Sébastien Roch sont immolés sans la moindre raison.

* Dans nombre d’articles (notamment « Colonisons », Le Journal, 13 novembre 1892), et aussi dans Le Jardin des supplices (1899), il stigmatise les sanglantes guerres coloniales de la France, en Indochine et en Afrique, qui sont en totale contradiction avec sa prétendue « mission civilisatrice ».

* Il dénonce l’alliance contre-nature avec l’autocratie tsariste et son sanglant système totalitaire (voir « Sous le knout », Le Journal, 3 mars 1895), et plaide pour l’amitié franco-allemande (notamment dans La 628-E8, 1907).

* Pendant l’affaire Dreyfus, dans ses articles de L’Aurore, il ne manque pas une occasion pour tourner en dérision ou stigmatiser les haut gradés de l’armée, fauteurs de guerre et de coups d’État.

* En 1900, il dénonce l’intervention des puissances impérialistes en Chine, prétendument pour civiliser des peuples dotés d’une civilisation plus ancienne que la nôtre et « d’une culture morale supérieure à la nôtre » (« Chinoiserie », Le Journal, 15 juillet 1900).

* En 1904, dans les colonnes de L’Humanité, il mène campagne contre toutes « les âmes de guerre » et se plaint que les puissances européennes, qui se disent civilisées, n’interviennent pas afin de mettre un terme à l’atroce guerre russo-japonaise qui se déroule, dans l’indifférence générale, sur le territoire de la Mandchourie.

La limite du pacifisme de Mirbeau, c’est son individualisme d’intellectuel libertaire, allergique à toute forme d’organisation collective. Son idéal pacifiste, il se contente de le faire désirer au moyen des mots dont il dispose, en espérant que les happy few sauront les recueillir et s’en servir. Cela ne saurait bien évidemment suffire pour empêcher des guerres coloniales ou des guerres inter-impérialistes.

Voir aussi les notices Guerre, Patrie, Armée, Violence, Colonialisme, Anticolonialisme, Afrique,  Allemagne, Chine, Madagascar, Mandchourie, Le Calvaire et La 628-E8.

P. M.

 

Bibliographie : Aleksandra Gruzinska, « Octave Mirbeau antimilitariste », Nineteenth century french studies, printemps 1976, pp. 394-403 ; Pierre Michel, « Octave Mirbeau et Bertha von Suttner », Cahiers Octave Mirbeau, n° 15, 2008, pp. 180-191 ; Pierre Michel, « La Violence d'un anarchiste non-violent : le cas Octave Mirbeau », in Écrire et penser la violence politique en littérature au XIXe siècle (1800-1914), Actes du colloque de Nanterre des 9 et 10 avril 2010, à paraître en 2011 ; Antigone Samiou, « L’“Autre” dans La 628-E8 d’Octave Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 15, 2008, pp. 77-87.


Glossary 3.0 uses technologies including PHP and SQL