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PEINE DE MORT |
Comme Victor Hugo et Albert Camus, Mirbeau a toujours été hostile à la peine de mort, « qui demeurera dans l'histoire la pire des hontes de notre République radical-socialiste » (L’Humanité, 12 février 1909), et ce pour de multiples raisons. * Parce qu’il y a une évidente contradiction entre l’horrible châtiment réservé à des assassins artisanaux (« le meurtrier timide qui tue le passant d’un coup de surin, au détour des rues nocturnes »), et les multiples honneurs réservés aux plus monstrueux des assassins de l’ère industrielle, les chefs de guerre et les conquérants qui ont « brûlé les villes » et « décimé les peuples » (Le Calvaire, chapitre II). * Parce que, le plus souvent, c’est une sinistre loterie qui n’obéit plus qu’« aux besoins politiques du gouvernement », soucieux avant tout « d’occuper, d’émouvoir et de distraire », et qui modère ou lâche le couperet « suivant les sympathies brutales ou les colères irraisonnées de la foule, dans le drame du jour » (« Les Joyeusetés de la peine de mort », Le Gaulois, 24 avril 1885). * Parce que les criminels que la société punit avec la plus sanglante rigueur ne sont le plus souvent que le produit de la misère, de la frustration, de l’humiliation, et aussi de l’exemple venu d’en haut et de l’éducation qu’on leur a infligée. Pour Mirbeau, en effet, c’est la société qui porte la plus grande responsabilité dans le développement de la criminalité : d’une part, en refusant à des millions de malheureux le minimum vital et en ne répondant à leurs revendications qu’en les massacrant, comme à Fourmies, elle ne fait que récolter ce qu’elle a semé ; d’autre part, elle enseigne le meurtre et le massacre au cours des guerres, coloniales ou inter-impérialistes, et ne doit donc pas s’étonner si ceux qui ont appris à tuer en gros continuent à le faire au détail. * Parce que bon nombre de ceux qui sont exécutés à travers le monde sous les prétextes les plus divers sont en réalité innocents des crimes dont ils sont accusés, ou n’ont commis que des délits véniels ne méritant qu’une sanction minime, comme Mirbeau en fournit une éloquente illustration en imaginant le jardin des supplices chinois de son roman de 1899. N’ayant qu’une confiance des plus limitées dans le flair des policiers chargés de traquer les criminels, et n’entretenant aucune illusion sur la justice de son pays et sur les magistrats, ces « monstres moraux », qui la font tourner, Mirbeau ne saurait leur reconnaître le droit de décider arbitrairement de la vie et de la mort de leurs concitoyens, quels qu’aient été leurs actes. * Parce que la peine de mort entretient dans les masses les pires instincts sanguinaires, détourne le mécontentement populaire et corrompt le peuple en lui faisant applaudir le bourreau, comme lui-même en a été le témoin, à la Gare du Nord, en février 1909, accueilli par trente mille personnes enthousiastes lors de son retour triomphal de Béthune où il venait de faire tomber quatre têtes d’un coup : « Mais ce qui m'a le plus consterné‚ c'est que le peuple dominait dans cette foule d'assassins. Voilà donc ce qu'ont fait du peuple, lassé, écœuré des promesses jamais tenues, abruti par la misère, plus de trente années de République capitaliste et bourgeoise. Il ne sait plus où il en est aujourd'hui. À ses revendications, à ses cris de justice, à ses prières, à ses menaces, tous les gouvernements qui se sont succédé‚ aux cirques du pouvoir, répondent : “Pas de pain, mais du sang !...” On le voit même, parfois, dans les bagarres royalistes, demander un Roi ! Eh bien, qu'on lui en donne un tout de suite, un bon, un vrai : Sa majesté le Bourreau ! » (L’Humanité, 12 février 1909). * Parce que, comme il le rappelait ironiquement quinze ans plus tôt, dans une interview imaginaire du bourreau Deibler (« Chez le bourreau », Le Journal, 2 septembre 1894), le bourreau est bien la « pierre angulaire de la société », comme l’avait compris Joseph de Maistre. Si, comme le Mirbeau le fait dire ironiquement à Deibler, il a « un rôle social par-delà l’horizon restreint de [son] couperet », c’est parce qu’il est « l’aboutissement de dix-huit cents ans de christianisme et d’un siècle de révolution », et qu’il constitue avec la religion, « c’est-à-dire tout l’amour », et le gouvernement, « c’est-à-dire toute la justice », une espèce de « sainte Trinité ». De fait, accueilli « comme un sauveur », à Laval en 1894 comme à Béthune en 1909, il est, aux yeux de Mirbeau, la sanglante incarnation d’une société homicide qui repose tout entière sur l’écrasement de l’individu, que le gouvernement soit entre les mains des monarchistes et des conservateurs catholiques (« Loyola ») ou entre celles des mauvais bergers de la République prétendument progressiste (« Cartouche »). Face à cette monstruosité qu’est la peine de mort, Mirbeau ne peut qu’accorder son respect et sa pitié au condamné qui va affronter le scandale de la mort : « Devant ce mystère redoutable – quelque action qu’ait pu commettre un criminel – », même des « imbéciles sont pris de pitié », car « il y a dans ces suprêmes minutes je ne sais quoi de terrible et d’auguste, qui est peut-être la justice, peut-être le châtiment, peut-être le pardon –, il y a enfin une grande chose obscure et sacrée, qui arrête le rire sur les lèvres et fait rentrer dans la gorge les plaisanteries indécentes », note Mirbeau, qui stigmatise l’indécence du magistrat qui a accompagné Pranzini à l’échafaud (« La Gaieté du juge », Gil Blas, 20 juillet 1887). Bien avant Camus, il voit dans le condamné à mort, figure emblématique de l’humaine condition, un exemple positif à méditer quand, subissant stoïquement et sans espoir ce qu’il ne peut empêcher, il ne s’en révolte pas moins jusqu’au dernier moment contre ce que Camus appelle « un destin écrasant », à l’instar de ce condamné évoqué par Mirbeau, qui monte à l’échafaud « en riant aux larmes » après avoir « mangé le nez » de l’aumônier qui l’exhortait à une exemplaire repentance (« Notes pessimistes », La France, 26 avril 1885). Voir les notices Guerre, Armée, Justice, Prison et Mort. P. M.
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