Thèmes et interprétations
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DUEL |
Mirbeau présente ce paradoxe de s’être battu à plusieurs reprises en duel et de s’être prononcé catégoriquement contre cette pratique aberrante et barbare, à une époque où, dans certains milieux qui se piquent d’« honneur », il était encore vivement recommandé chaque fois que ce prétendu « honneur » était en jeu et que la réparation exigeait du sang. Quatre duels, peut-être cinq, sont à mettre à son actif (et non pas une douzaine, comme cela a souvent été écrit) : le 28 janvier 1883, contre Paul Déroulède, que Mirbeau avait violemment attaqué dans Le Gaulois du 11 janvier ; le 7 août 1883, contre le député d’Oran, Eugène, Étienne, vivement dénigré dans un éditorial paru le 4 août dans Les Grimaces et intitulé « Pots-de-vin » ; le 18 décembre 1883, contre Paul Bonnetain, suite à son article des Grimaces sur Sarah Barnum, « Un crime de librairie » (Les Grimaces, 15 décembre 1883) ; et le 29 décembre 1884 contre Catulle Mendès, suite à son odieux article « La Littérature en justice » (La France, 24 décembre 1884) ; enfin, le 6 janvier 1885, il n’est pas exclu qu’un cinquième duel l’ait opposé à un certain Octave Robin, au lendemain de son article « Décorations ». Lors de son séjour dans l’Ariège, en 1878, il devait se battre en duel contre un journaliste local, Jules Grégoire, qui s’est désisté, suscitant la réprobation de ses témoins.. Par la suite, Mirbeau a refusé au moins deux fois de se battre en duel, sans que personne puisse se méprendre sur ses motivations : en août 1901, contre le fils d’Émile Ollivier, qui jugeait son père diffamé dans Les 21 jours d’un neurasthénique ; puis en octobre 1907, contre le dramaturge Henry Bernstein, qui, tout en l’insultant bassement, exigeait une réparation par les armes pour un article de Comoedia,, « Le commissaire est sans pitié », où il était critiqué en tant que commissaire de la Société des Auteurs dramatiques. Aux injures du jeune blanc-bec, Mirbeau répondit par une très sèche lettre publique, À Henry Bernstein : « Monsieur, / Si ordurier que soit le ton de votre provocation, il ne pouvait ajouter au mépris que j'ai pour vous. Vos menaces me laissent aussi indifférent que votre talent. Je suis résolu à ne pas vous fournir l'occasion d'une réclame de plus. Je me suis battu assez souvent pour que personne ne se méprenne au sens de mon refus. / Octave Mirbeau » (Comoedia, 26 octobre 1907) Ayant prouvé indéniablement son courage en assumant jusque sur le pré les conséquences de ses articles polémiques, Mirbeau a pu désormais stigmatiser cette pratique fort en honneur chez des gens qui, en réalité, n’en ont guère, dans deux articles de 1888 et 1892, où il affirme notamment que « le duel est, de toutes les absurdités humaines, l’absurdité la plus absurdement absurde, et celle qui nous ravale le plus complètement au bas niveau de la brute impensante. » Citant Schopenhauer, il y voit « le triomphe de l’animalité sur l’esprit, du biceps sur le cerveau, en ce sens qu’il prononce l’incompétence des forces intellectuelles ou du droit moral et qu’il les remplace par l’autorité suprême des brutalités physiques ». Et il dénonce cette « barbare anomalie » qu’est le prétendu « honneur chevaleresque, qui n’est pas autre chose qu’une sorte de banditisme, qui met l’homme honorable à la merci de l’homme d’honneur, lequel n’est le plus souvent qu’une bête affreuse et qu’un abominable gredin ». Aussi juge-t-il préférable « de négliger certaines insultes », plutôt que de se laisser blesser ou tuer absurdement par des assassins à qui est garantie l’impunité (« Le Duel », L'Écho de Paris, 28 juin 1892) . P. M.
Bibliographie : Frédéric Da Silva, « Mirbeau et l’affaire Sarah Barnum – Un roman inavoué de Paul Bonnetain ? » Cahiers Octave Mirbeau, n° 17, mars 2010 ; Octave Mirbeau, « À propos du duel », Le Figaro, 27 décembre 1888 ; Octave Mirbeau, « Le Duel », L'Écho de Paris, 28 juin 1892 ; Nelly Sanchez, « Le Duel Mirbeau – Catulle Mendès vu par Camille Delaville », Cahiers Octave Mirbeau, n° 17, mars 2010.
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