Thèmes et interprétations

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BELLE EPOQUE

BELLE ÉPOQUE

 

Expression inventée dans le désenchantement des lendemains de la Première Guerre mondiale pour évoquer les années 1900, elle a souvent été brocardée par les historiens : les images rétrospectives ne colorent-elles pas le passé de teintes aimables ? La « belle époque » a longtemps incarné l'insouciance et la frivolité.

 

Progrès ?

Mirbeau a souffert d'une époque dont, à en croire certains, il aurait partagé le goût de l'outrance et la fascination pour l'érotisme plus ou moins licite. Aujourd'hui, il tire profit de l'engouement pour la « belle époque », mais il est à craindre que cette faveur, après des années de purgatoire, ne repose sur un contresens. Digne représentant de la « belle époque », lui qui fut le contempteur de cette société à l'agonie, qui ne sera sauvée de la révolution que par la guerre ?

            La misère, l'inégalité, l'injustice de l'époque dite « belle », que le Progrès n'avait pas éradiquées, Mirbeau connaît. Il sait aussi que toutes les couches de la société communient dans cette foi qui avait en ce temps la force d'une religion, selon Stefan Zweig. Cette foi était soutenue par les découvertes de la science et leurs applications (seconde révolution industrielle) : la fée Électricité, qui multiplie les villes-lumière, les automobiles (voir La 628-E8, 1907) raccourcissent les distances, la médecine fait des progrès indéniables

Mirbeau est bien de son époque. Il s'intéresse aux inventions du temps. Il la décrit et, s'il l'aime, c'est en raison des scandales qui la caractérisent et qu'il peut, à loisir, vitrioler. C'est que le “Progrès” ne peut empêcher l'homme de rester tel qu'en lui-même depuis Cro-Magnon ; la nature humaine est faite de passions qui interdisent la sérénité ; grande bataille idéologique et politique qui déchire la France : l'affaire Dreyfus. Époque où l'on passe des vieux affrontements de la Révolution au conflit moderne par excellence : la lutte des classes (Georges Sorel contre Paul Bourget).

            « Belle époque » que celle qui, selon Mirbeau, voit s'épanouir, après l'écrasement de la Commune, l'Église qui distille un poison  mortel pour les âmes : l'École qui viole la personnalité de l'enfant :la “Justice” qui n'hésite pas à couper des hommes en deux au nom de la défense de l'Ordre (c'est-à-dire du désordre institutionnalisé) ; les usines où les hommes sont traités comme des bêtes de somme avant d'être mis au rebut, pendant que Clemenceau mate les syndicalistes révolutionnaires ; le système colonial qui piétine des cultures millénaires pour asseoir sa domination.

 

Combats

            L'arme de Mirbeau est l'article de journal à la pointe assassine. En 1883, il lance un pamphlet hebdomadaire, Les Grimaces, où il arrache les masques des “gens bien”, tout en servant l'antisémitisme, bien de son époque. Mais, chose rare qui mérite d'être soulignée, il reconnaîtra ses erreurs en prenant ses détracteurs au mot : « Palinodies » (voir la notice). Suit une longue série de textes critiques, esthétiques et politiques. Si Mirbeau a dû vendre sa plume (voir Négritude), ce qu'il considère comme une prostitution plus grave que la tarification de la passe, s'il a dû sacrifier parfois (voir son théâtre) à un public misonéiste, il a su faire passer un message contestataire.   

            Les combats que mène Mirbeau sont des combats d'aujourd'hui, mais ne faisons pas de Mirbeau un apôtre de la "modernité" à la Marinetti. Si Octave est l'une des voix majeures au tournant du siècle, c'est parce qu'il prophétise avec véhémence la mort, à brève échéance, d'une société pourrie.

            « Du passé, faisons table rase » ? Mirbeau ne craint pas d'admirer les génies du passé, Michel-Ange ou Botticelli. On retiendra qu'il a défendu, prôné ou fait connaître des écrivains (Maeterlinck…) et des artistes (Monet…) que condamnaient les “gens bien” : il n'y a qu'un communard pour faire de pareilles horreurs. On retiendra qu'il a défendu, prôné ou fait connaître des écrivains (Maeterlinck…) et des artistes (Monet…) que condamnaient les “gens bien” : il n'y a qu'un communard pour faire de pareilles horreurs...

            Né angoissé, Mirbeau partage les inquiétudes de ses contemporains. « Lendemains qui chantent » ?

            Moderne, Mirbeau l'est aussi dans la recherche du mot juste, du mot qui fait mal, du néologisme, au besoin, non par souci d'originalité, mais parce qu'il faut bien trouver de nouveaux vocables susceptibles de désigner un mal de l'époque : la République, ère du « pot-de-vinat », « bourgeoisisme », « banquisme »...

            Mirbeau ne se contente pas de dénoncer les hypocrisies de la bourgeoisie. Il s'engage dans des combats qui ne sont pas gagnés d'avance. Cette « belle époque » est féroce. L'affaire Dreyfus (voir la notice) en est la preuve : acharnement de la chose militaro-religieuse contre un homme dont le seul crime est d'être juif. Contre la droite (et contre une partie de la gauche : Jules Guesde), Mirbeau, qui se méfie pourtant des politiciens, n'hésite pas à faire alliance avec Jaurès pour obtenir la révision du procès du Capitaine, il se réconcilie avec Zola qu'il avait quelque peu malmené peu de temps auparavant.

            On retrouvera dans les romans de Mirbeau, qui ne sont pas des romans à thèse, mais des romans d'accusation, les bêtes noires évoquées dans ses articles.

            Bien de son époque, les personnages de ses Contes cruels : paysans sordides (mais, à la différence de Zola, Octave montre que ces gens sont victimes du système), bourgeois hideux pour qui la raison du plus fort est toujours la meilleure et qui exercent leur cruauté sur les enfants, les vieillards, les misérables et les animaux. Les  pulsions qu'elle prétend dépasser, la société ne fait que les exacerber.                   

« Aveuglément, et toujours, avec le pauvre contre le riche, avec l'assommé contre l'assommeur, avec le malade contre la maladie, avec la vie contre la mort » (La 628-E8), Mirbeau est « le seul prophète de ce temps », affirme Apollinaire, et « le plus grand écrivain contemporain », selon Tolstoï.

 C. H.  


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