Thèmes et interprétations
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MEDECINS |
Fils d’un officier de santé provincial, Mirbeau a passé son enfance dans le milieu médical, baigné par les conversations d’un père intarissable sur son art. À l’instar du jeune narrateur de L’Abbé Jules (1888), qui doit subir les comptes rendus des opérations chirurgicales effectuées par son géniteur sur la population des alentours, Mirbeau est très vite horrifié par la barbarie dont font preuve certains praticiens. Il avouera à son fidèle confident Alfred Bansard des Bois son aversion « pour la lancette et le bistouri », qui supposent d’« avoir l’âme attachée dans le corps avec de gros boulons d’acier pour écorcher les gens vifs et les raccourcir quelquefois d’une jambe ou d’un bras ; bienheureux quand ce n’est pas de la tête » (lettre du 1er juillet 1869, dans laquelle il évoque avec humour, malgré l’horreur de la chose, une délicate opération d’ablation de la verge à laquelle il a assisté, in Correspondance générale, L’Âge d’Homme, t. 1, 2002, pp. 142-143). Nombreuses sont les figures médicales qui jalonnent l’œuvre de Mirbeau. Dès Le Calvaire (1886), les chirurgiens militaires sont présentés comme des monstres froids, peu préoccupés de soulager les souffrances des blessés, mais arrogants et imbus d’eux-mêmes. On retrouve dans plusieurs Contes cruels ces véritables bouchers, comme dans « Le Tronc » (Le Journal, 5 janvier 1896), autre satire de la médecine de guerre. Le docteur Triceps est sans doute le plus célèbre de ces personnages caricaturaux. Protagoniste de L'Épidémie (1898), il devient l’un des estivants de la ville de cure des Vingt et un jours d’un neurasthénique (1901) et achève sa carrière dans diverses chroniques journalistiques. Cynique, amoral et odieux, il est l’emblème de la profession selon Mirbeau. Le pamphlétaire a d’ailleurs également usé de sa verve polémique dans les journaux pour en dénoncer les méfaits. Lorsqu’en 1901 Élie Faure lui fait visiter Bicêtre, Mirbeau, fort ému par le spectacle qui s’offre à lui, publie dans Le Journal deux articles polémiques contre les médecins afin d’en dénoncer l’incurie et la suffisance (le 15 décembre 1901 et le 6 janvier 1902). Six ans plus tard, ce sont cinq chroniques successives que le romancier fera paraître dans Le Matin, du 29 mai au 31 juillet 1907, sous le titre générique de Médecins du jour (avec une variante pour la dernière, intitulée Médecins d’aujourd’hui), afin de révéler, de nouveau, au public les agissements criminels de la Faculté de médecine. Car le médecin de l’époque a un pouvoir de nuisance qui dépasse de très loin celui des héritiers de Diafoirus. Enorgueilli par l’essor du positivisme, qui va rapidement dégénérer en scientisme, le praticien moderne s’est assuré une emprise nouvelle sur la société. Il est désormais l’un des prescripteurs de la morale, celui qui, par le biais de l’étude physiologique, décrète la santé ou l’affection du sujet, en souligne les symptômes de vitalité ou ceux de décrépitude. Le scandale provoqué par la série Médecins du jour n’est pas le premier à mettre au crédit de Mirbeau. Il aura l’avantage d’attirer l’attention sur le problème du mandarinat, sur l’aveuglement scientiste qui touche la médecine et le sentiment d’infaillibilité et d’immunité d’un certain nombre de praticiens, un peu dans la lignée des Morticoles, roman que Léon Daudet a publié en 1894. L’une des cibles de Mirbeau, le docteur Doyen, avait déjà eu l’honneur d’être l’une des têtes de Turcs du numéro éponyme de L’Assiette au Beurre (31 mai 1902), entièrement rédigé par Mirbeau et illustré par Léopold Braun. À l’inverse, il faudrait enfin évoquer l’admiration de Mirbeau pour certains médecins, au premier rang desquels se trouve le docteur Robin, son médecin traitant, qui soigne aussi Alice, sa femme, et parvient à faire des miracles pour la soulager. Très cultivé et très mondain, Robin a néanmoins l’heur de plaire à Mirbeau pour sa conversation et ses compétences. Ne fut-il pas celui qui convainquit Mirbeau de l’intérêt de ce nouveau traitement : l’homéopathie ? A. V.
Bibliographie : Octave Mirbeau, Le Calvaire, Ollendorff, 1886 ; Octave Mirbeau, L’Abbé Jules Ollendorff, 1888 ; Octave Mirbeau, « Les Pères Coupe-Toujours », Le Journal, 15 décembre 1901 ; Octave Mirbeau, « Propos gais » , Le Journal, 6 janvier 1902 ; Octave Mirbeau, « Têtes de Turcs », L’Assiette au Beurre, n° 61, 31 mai 1902 ; Octave Mirbeau, Médecins du jour, Le Matin, du 29 mai au 31 juillet 2007.
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