Thèmes et interprétations

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Terme
FAMILLE

Ce n’est pas Octave Mirbeau qui a proféré « le fameux « Familles, je vous hais ! », mais toute son œuvre atteste, plus encore que celle d’André Gide, de cette haine, à la fois viscérale et raisonnée, pour une institution sociale qu’il juge oppressive et destructrice. Dans ses premiers romans et dans un grand nombre de ses contes et nouvelles, il présente des familles petites-bourgeoises étriquées, misonéistes, étouffantes, où le souci du patrimoine tend à effacer les liens affectifs, quand il n’entretient pas des haines recuites, où les enfants subissent de plein fouet une autorité paternelle exorbitante, imbue d’elle-même et le plus souvent obtuse (par exemple, le père Roch, dans Sébastien Roch, 1890), où la peur du qu’en dira-t-on préserve soigneusement de tout signe extérieur de personnalité, où les parents transmettent immuablement aux enfants le « legs fatal » des prétendus « liens du sang », des « préjugés corrosifs » et de l’assujettissement aux traditions et au désordre social. C’est en effet dans la famille, avant même l’école et l’Église, que commence pernicieusement le processus de « déformation » que – par antiphrase ? – on a coutume d’appeler “éducation” et qui constitue en réalité une aliénation aux effets durables : seuls quelques enfants, parce qu’ils tiennent tête et manifestent leur liberté en résistant, fût-ce par la simple force d’inertie (c’est notamment le cas des futurs artistes), échappent à cet étouffement de leur personnalité ; les autres sont à jamais broyés.

C’est au chapitre VIII de Dans le ciel  que le narrateur, qui est ici le porte-parole de l’auteur, instruit le plus radicalement le procès de la famille : « Ce que j'ai voulu, c'est, en donnant à ces souvenirs une forme animée et familière, rendre plus sensible une des plus prodigieuses tyrannies, une des plus ravalantes oppressions de la vie, dont je n'ai pas été seul à souffrir, hélas ! – c'est-à-dire l'autorité paternelle. Car tout le monde en souffre, tout le monde porte en soi, dans les yeux, sur le front, sur la nuque, sur toutes les parties du corps où l'âme se révèle, où l'émotion intérieure afflue en lumières attristées, en spéciales déformations, le signe caractéristique et mortel, l'effrayant coup de pouce de cette initiale, ineffaçable éducation de la famille. [...] Tout être, à peu près bien constitué naît avec des facultés dominantes, des forces individuelles, qui correspondent exactement à un besoin ou à un agrément de la vie. Au lieu de veiller à leur développement, dans un sens normal, la famille a bien vite fait de les déprimer et de les anéantir. Elle ne produit que des déclassés, des révoltés, des déséquilibrés, des malheureux, en les rejetant, avec un merveilleux instinct, hors de leur moi; en leur imposant, de par son autorité légale, des goûts, des fonctions, des actions qui ne sont pas les leurs, et qui deviennent non plus une joie, ce qu'ils devraient être, mais un intolérable supplice. Combien rencontrez-vous dans la vie de gens adéquats à eux-mêmes ? » Dès lors il ne reste plus à l’école, à l’Église et à l’armée qu’à parachever ce « meurtre d’une âme d’enfant » que constitue le dressage par la famille.

P. M.


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