Thèmes et interprétations

Il y a 261 entrées dans ce glossaire.
Tout A B C D E F G H I J L M N O P Q R S T U V
Terme
COMEDIE-FRANCAISE

Mirbeau s’est toujours montré extrêmement sévère à l’endroit de cette institution, qui lui apparaissait comme le bastion du conservatisme théâtral. Et pourtant, c’est là que, au terme de deux longues batailles, il a réussi à faire représenter ses deux grandes comédies : Les affaires sont les affaires (1903) et Le Foyer (1908). Le soutien de l’administrateur Jules Claretie, dreyfusard rencontré lors du procès de Rennes et qui lui a proposé d’écrire pour la Maison de Molière, explique qu’il ait pris le risque calculé de soumettre Les Affaires au comité de lecture en mai 1901. Et c’est dans la foulée du triomphe européen de sa pièce qu’il a par la suite proposé à Claretie, désormais seul maître à bord, sa deuxième grande comédie, sans imaginer les sueurs froides du prudent administrateur face aux subversives provocations du Foyer.

L’hostilité de Mirbeau à la Comédie-Française s’explique par trois types de critiques :

* La première concerne le jeu des acteurs, « cabotins » incapables, selon lui, de comprendre les œuvres qu’ils interprètent et qui « n’ont appris qu’à mal parler et à se mettre des perruques sur la tête et des peintures au visage » (« Les Faux bonshommes de la “Comédie” », La France, 19 mars 1885). Et Mirbeau d’ironiser sur « le secret de cette belle et illustre  diction nasale, d’où lui sont venues la réputation, la gloire universelle et les grosses subventions » (« La Comédie-Française », La France, 2 juillet 1885).

* La seconde vise le comité de lecture institué par Napoléon dans le fameux décret de Moscou de 1812 et qui laisse aux comédiens le choix arbitraire des pièces à monter. Mirbeau dénonce l’aberration que constitue « cette institution éminemment moscovite et subventionnée » (« La Comédie-Française », loc. cit.)  : « Il n’est pas admissible qu’une bande de personnes ignares s’érigent en juges souverains de littérature et qu’un écrivain en soit réduit à toujours passer sous les fourches caudines de leurs sottises et de leurs tripotages » (« Cabotinisme », La France, 25 mars 1885). Si « la Comédie-Française, telle qu’elle est réglée, est certainement la forme d’anarchie la plus monstrueuse et la plus indécente qui se puisse rencontrer sur notre terrestre planète », c’est parce que des comédiens seuls dépend « qu’une pièce bonne soit refusée et qu’une mauvaise soit acceptée ». Pour mettre un terme à cette « anarchie » contre-nature, il suggère, tout d’abord, que les dramaturges boycottent le comité de lecture et, ensuite et surtout, que l’initiative du choix des créations soit laissée à l’administrateur (ce qui sera fait en octobre 1901, après le scandale suscité par la réception « à corrections » des Affaires sont les affaires) : « J’aime encore mieux l’insuffisance despotique d’un seul homme que la despotique imbécillité d’une bande de comédiens » (« Les Faux bonshommes de la “Comédie” », loc. cit.). Quelques mois plus tard, il propose soit une privatisation de la Maison de Molière, qui fonctionnerait alors à ses risques et périls comme les autres théâtres, soit une administration directe par l’État, qui nommerait un directeur et réduirait les comédiens à leur seule fonction, qui est de jouer (« La Comédie-Française », loc. cit.).

* Mais il ne se berce pas pour autant d’illusions sur les effets de la dissolution du comité de lecture, qu’il appelle de ses vœux, car en fait c’est l’institution même qui est en cause, car elle est devenue « un véritable musée » et elle « s’en va », comme il le réaffirme en 1902 : « Elle s’en va parce qu’elle est une survivance, depuis longtemps morte, du passé ; parce qu’elle ne correspond plus aux modes nouvelles et plus simplifiées du décorum national, ni aux besoins nouveaux et plus libres, et plus hardis d’un art qui s’émancipe de jour en jour ».  Elle ne fait en effet que « conserver les traditions » et en arrive « à ce prodige de rendre Molière presque haïssable et Racine presque ennuyeux »  (« La Comédie-Française », Le Journal, 19 janvier 1902).

Mais au moment où sa comédie vient d’être reçue et doit entrer prochainement en répétitions, il ne peut plus se permettre de rejeter une maison où il espère bien faire pénétrer un souffle nouveau : « On peut la faire revivre », ajoute-t-il donc, « il s’agit de la reconstituer ». Seulement, à défaut d’une solution idéale, il se contente d’en revenir, comme moindre mal, à une de ses préconisations de 1885, inattendue sous la plume d’un anarchiste pourfendeur de l’État : « liquider les parts sociales des sociétaires et constituer une société civile, avec un directeur nommé par l’État, qui voudra exercer un contrôle financier, en raison de la subvention qu’il continuera de verser », mais qui devra laisser le directeur « seul responsable de sa gestion » (ibidem).  

Après l’expérience des répétitions des Affaires et de la fréquentation quotidienne de ses interprètes, qu’il a appris à connaître et à apprécier, en dépit des rancœurs passées, Mirbeau reconnaîtra ses torts à l’égard des comédiens en général et des Comédiens-Français en particulier, dans un article qui paraît le jour même de la première et dont le titre constitue un mea culpa public : « Pour les comédiens » (Le Figaro, 20 avril 1903).

Voir aussi les notices Comédiens, Théâtre, Le Comédien, Les affaires sont les affaires et Le Foyer.

P. M.



Bibliographie : Pierre Michel,  « La Bataille du Foyer », Revue d'histoire du théâtre, 1991, n° 3, pp. 195-230 ;  Octave Mirbeau, Gens de théâtre, Flammarion, 1924, 274 pages.

 

 

 

 


Glossary 3.0 uses technologies including PHP and SQL