Thèmes et interprétations

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Terme
PARODIE

La parodie est un exercice littéraire ludique, qui fait partie de l’arsenal de moyens mis en œuvre par Mirbeau, critique et polémiste, en vue de tourner ses cibles en dérision et d’interdire aux lecteurs de les prendre désormais au sérieux. Elle participe d’une vaste entreprise de démystification, voire de désacralisation (voir ces mots), au même titre que la caricature et l’interview imaginaire. Comme eux, elle suppose que le lecteur connaisse un tant soit peu la baudruche qu’il s’agit de dégonfler et puisse rire des références à son style, à ses mots, à ses procédés et à ses tics. Elle est proche en cela du pastiche, mais elle est plus rude pour l’amour-propre du personnage qu’il s’agit de châtier en faisant rire de lui et implique une exagération visant à mieux faire ressortir son ridicule.

Un premier exemple de parodie est fourni, en 1878, par une pseudo-lettre de Victor Hugo parue dans les colonnes d’une feuille de chou provinciale, L’Ariégeois, où le grand poète, souventes fois parodié, notamment par Duvert, est supposé souscrire pour offrir une épée au nouveau préfet, républicain, de l’Ariège. Mirbeau y pousse jusqu’à l’absurde, en les exagérant, les procédés rhétoriques mis en œuvre par le poète : les antithèses forcées, les rapprochements inattendus, les structures binaires et ternaires, les hyperboles, les invocations, les raccourcis audacieux, les mots forts et creux, les phrases nominales simplement juxtaposées, le tout au service d’un moi singulièrement atteint de mégalomanie : « Vous êtes une grande âme. Vous m’avez compris. Je suis la fraternité de peuple à peuple, vous la paix de parti à parti. / C’est bon, c’est juste, c’est noble. C’est l’apaisé dans le hagard. Merci. / Plus de tigres, des hommes. Plus d’hommes, des enfants. Plus d’enfants, des anges ! ! C’est pour cela que j’ai écrit l’histoire d’un crime. / La paix, c’est l’aurore. La guerre, c’est la nuit. Nuit épouvantable. Du sang dans du noir. J’ai vu cela. / La paix conquise sur la guerre par une épée : l’aurore éclairant la nuit des feux de l’acier ! L’épée-lumière ! Quel symbole ! L’épée, c’est le trait d’union qui relie l’homme à la brute. L’épée, c’est le pont jeté du tigre à l’enfant. L’épée, c’est le ruissellement d’harmonie, de bonté, de paix. L’universel dans le surnaturel. / En dessous l’abîme ! [...] »

Autre exemple de parodie, le 9 février 1896, dans un article du Journal, « Mes sabots », extrait de supposés Mémoires d’un pauvre diable : Mirbeau s’y amuse à pasticher François Coppée, qui est alors devenu sa « bête noire », si l’on en croit Goncourt, tant dans ses goûts pour les choses simples (la vieille robe de chambre, par exemple) que dans sa façon bonhomme d’interpeller le lecteur : « Je ne sais rien de charmant comme ces petites confidences d’écrivain à lecteur. […] N’est-ce pas que c’est charmant ? Dire à ses amis inconnus, mais si fidèles, que sont nos lecteurs : “Eh bien ! ce matin, ça ne va pas”… » En l’occurrence, la critique implicite n’est pas bien méchante, car seuls les procédés littéraires sont moqués, sans véritables excès : la parodie confine ici au pastiche, à tel point que, à en croire une lettre de Mirbeau à Georges Rodenbach, évidemment sujette à caution, le poète des humbles s’y serait trompé : « On me rapporte que Coppée, en lisant l’article, aurait dit : “Tiens ! On me change donc mon jour au Journal !” »...

Frédéric Febvre (voir la notice), qui constitue une troisième cible, est traité plus méchamment dans deux parodies : « Les Mémoires de M. Frédéric Febvre, vice-doyen de la Comédie-Française », (Le Journal le 12 décembre 1892) et « Le Rapport de Frédéric Febvre (Fragments) » (Le Journal, 27 janvier 1895). Autant qu’à l’acteur incarnant ce que Mirbeau appelle le « cabotinisme », c’est au présomptueux écrivain qu’il s’en prend, en mettant en lumière sa grotesque autosatisfaction, la vanité dérisoire avec laquelle il côtoie les grands de ce monde, et la vacuité des rapports que le gouvernement lui a commandés. La fantaisie et la charge ne visent pas seulement le ridicule de la forme, comme dans un pastiche, mais mettent également en cause, tout à la fois, la cabotinocratie, le snobisme et « la bêtise des officiels face à la question de l’art dramatique », comme l’écrit Nathalie Coutelet.

La cible la plus méchamment traitée par Mirbeau est son ancien ami Paul Bourget. Dès 1886, à certains traits, on pouvait déjà le reconnaître à travers le peintre Loys Jambois de « Portrait » (Gil Blas, 27 juillet 1886 ; texte repris, avec des variantes, dans « L'Unique – Scènes de la vie décadente », L'Écho de Paris, 22 mars 1889), à qui il fait dire, par exemple : « Oh ! du lait de martre de zibeline ! Boire du lait de martre de zibeline ! [...] La nature ! Ah ! quelle barbarie ! Et comme elle manque de suggestion ! [...] Souffrir, souffrir ! Toujours souffrir ! Oh ! que j’aime ! » Mais alors, plus qu’aux postures et impostures du romancier snob, Mirbeau s’en prenait surtout au préraphaélisme contre-nature. En revanche Paul Bourget est l’unique cible d’une série de dialogues bouffons parue à l’automne 1897 et intitulée Chez l’Illustre Écrivain. Le critique y tourne impitoyablement en dérision, non seulement la psychologie en toc de Bourget, modèle de l’Illustre Écrivain, mais aussi son snobisme caricatural, son absence réelle de goût malgré ses prétentions, son réclamisme impénitent, la pauvreté de son style, son exploitation éhontée et commerciale de « l’adultère chrétien », qui constitue une « bonne affaire », et le culte que lui rendent des mondaines « timides et troublées » qu’il prétend « hypnotiser » et qu’il rêve de séduire. Le romancier à succès, le psychologue au dérisoire « scalpel », n’apparaît plus dès lors que comme un grotesque histrion, gonflé d’une importance usurpée et qui organise sa propre mise en scène. La parodie tourne à la farce et débouche tout naturellement sur le théâtre.

Mirbeau lui-même a fait l’objet de parodies, et force est de reconnaître que, comme Victor Hugo, il s’y prête tout particulièrement. La plus célèbre et la plus réussie est celle de Paul Reboux et Charles Muller dans À la manière de... (Grasset, 1910, pp. 7-24). Intitulée ironiquement « Pour les pauvres » – ce qui était déjà le titre d’une des nouvelles d’Amours cocasses –, elle fait référence à la fois à sa pratique des interviews imaginaires et à sa dénonciation de l’exploitation de la misère des prolétaires et de la déshumanisation des corps humains telle qu’elle se manifeste en particulier dans Les 21 jours d’un neurasthénique et dans Le Jardin des supplices. Le narrateur y visite les usines à pauvres de Georges Leygues, une des têtes de Turc de l’écrivain, en compagnie du directeur, lequel est fier comme un pou de ne rien perdre d’exploitable dans la « matière première » constituée par ses 45 000 pauvres (« pas un atome de déchet », proclame-t-il). Il finit par s’irriter de l’excessive assurance de son cicerone et ne peut plus se contenir : « Exaspéré, je perdis toute mesure, et, approchant mon visage du sien, je criai : / — Et les trous du cul, en fais-tu quelque chose ? / Il répliqua tranquillement : / — Des coupe-cigares… » Le même Charles Muller avait déjà fourni une parodie du Foyer, en trois actes et sept scènes dans une série intitulée « Nos chefs-d’œuvre à rebrousse-poil » (Fantasio, 1er janvier 1909, pp. 382-385). Une autre parodie de Mirbeau, que nous n’avons point vue, a été insérée dans un volume publié en 1952 à Buenos Aires, chez Emece, sous le titre Antología apócrifas.

Voir aussi Interview imaginaire, Caricature, Démystification, Dérision et Désacralisation.

P. M.  

 

Bibliographie : Vincent Laisney, « “Une comédie bien humaine” : L’interview selon Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 14, 2007, pp. 140-149 ; Françoise Sylvos, « Grotesque et parodie : le naturalisme anticlérical d’Octave Mirbeau », in Rire des dieux, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, collection des Cahiers du CRLMC, 2000, pp. 371-380.

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