Thèmes et interprétations

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Terme
PRIX GONCOURT

Devenu membre de l’Académie Goncourt par la volonté testamentaire d’Edmond de Goncourt, qui a inscrit son nom sur la liste des dix le 25 juillet 1890, Octave Mirbeau y siégea régulièrement à partir de 1900 et participa à l’attribution des prix annuels, décernés en décembre de chaque année, de 1903 à 1916. Dès la mort de Goncourt et l’annonce des dispositions de son testament, le 17 juillet 1896, il eut la volonté fortement marquée de faire de la nouvelle académie un contrepoids à l’influence mortifère de la « vieille sale » du Quai Conti, comme il appelait l’Académie Française, voire carrément une contre-Académie : alors que l’une, conservatoire des traditions et étouffoir des génies, se devait d’être de bon ton, de préserver dans leur naphtaline les bons usages sociaux et littéraires et d’encourager la médiocrité polie et mondaine, de préférence à la bonne littérature, immanquablement suspecte d’être potentiellement subversive, l’autre devait se fixer pour mission de débusquer des talents nouveaux, originaux et ignorés, et de leur fournir les moyens matériels de poursuivre leur tâche à l’abri du besoin. Mais il eut vite fait de se rendre compte que les dix néo-académiciens n’étaient pas forcément sur la même longueur d’onde et que la gauche de l’académie (Mirbeau, Gustave Geffroy et Lucien Descaves) était trop faible et trop rarement unie pour pouvoir peser vraiment sur les votes. Bref, aucun des candidats soutenus par Mirbeau n’a obtenu le prix Goncourt, à l’exception d’Henri Barbusse pour Le Feu, qui a bénéficié d’une exceptionnelle unanimité, en 1916, et de René Benjamin, seul candidat pour l’année 1915, et c’est seulement lors d’un deuxième, troisième, voire quatrième tour, qu’il lui est arrivé de voter pour le lauréat de l’année, qui n’était jamais que son deuxième ou son troisième choix au départ. En revanche, en parlant de ses poulains dans la presse, où ses interviews étaient recherchées, il a contribué à les lancer ou à les installer solidement dans le paysage éditorial français du début du siècle : Paul Léautaud, Émile Guillaumin, Charles-Louis Philippe, Eugène Montfort, Valery Larbaud, Marguerite Audoux, Neel Doff, Charles Vildrac et Léon Werth, entre autres, lui doivent une partie non négligeable de leur notoriété.

En s’appuyant sur les confidences faites aux journalistes en quête de tuyaux, on a su à peu près comment Mirbeau avait voté lors des quatorze années où il a été juré. Mais il a fallu attendre l’ouverture des archives de l’académie Goncourt, conservées désormais aux archives municipales de Nancy, pour qu’on puisse établir avec certitude la liste de ses votes :

- En 1903, à défaut de Philippe et de Léautaud, qui ne pouvaient être candidats, Mirbeau a voté dès le premier tour pour Force ennemie, de John-Antoine Nau, qui n’était que son troisième choix.

- En 1904, peu enthousiasmé par Marie Donadieu, il ne vote pas pour Philippe, mais pour La Vie d’un simple, du paysan bourbonnais Émile Guillaumin, au premier tour, et se rallie à La Maternelle, de Léon Frapié, au deuxième et dernier tour.

- En 1905, il s’obstine à voter aux trois tours pour son ami Jules Huret, par fidélité plus que par conviction d’avoir une chance de l’emporter, car un livre de reportages tel qu’En Amérique n’est pas un roman et ne pouvait donc pas être couronné. C’est Claude Farrère qui l’a été, au troisième tour, pour Les Civilisés.

- En 1906, il vote enfin pour Charles-Louis Philippe et son Croquignole aux deux premiers tours, avant de se rallier sans enthousiasme aux frères Tharaud, qui l’emportent, au troisième, avec Dingley, l’illustre écrivain.

- En 1907, Mirbeau semble avoir voté pour Simone Bodève et son roman prolétarien La Petite Lotte aux trois premiers tours (mais le détail des votes n’est pas donné dans les archives, cette année-là) et s’est rallié à Émile Moselly et à ses Terres lorraines, au quatrième, comme moindre mal face à Jean Vignaud, propriétaire du Petit Parisien.

- En 1908, Mirbeau ne vote pas pour Henri Barbusse, dont L’Enfer est pourtant un roman tout à fait mirbellien, parce que Barbusse a une bonne situation et n’a pas besoin du prix. Mais il s’avère curieusement que, sans le savoir, il a voté, par correspondance, au premier tour, pour le richissime Valery Larbaud, auteur d’un volume publié sans nom d’auteur, Poèmes par un riche amateur, et qui était alors totalement inconnu. Puis, aux tours suivants, pour Monsieur le principal, de Jean Viollis, afin de barrer la route à Francis de Miomandre, auteur d’Écrits sur l’eau, qui l’emporte néanmoins au troisième tour.

- En 1909, de nouveau il vote au premier tour pour un inconnu, Victor Cyril, auteur d’un recueil de six nouvelles intitulé La Main sur la nuque et qui met en scène de pauvres diables, puis se résigne à soutenir En France, des frères Leblond, élu à l’unanimité au troisième tour.

- En 1910, il livre un baroud d’honneur pour Marguerite Audoux, dont il a lancé Marie-Claire à grand fracas, mais sans espoir de l’emporter, car elle a reçu le prix Fémina-La Vie heureuse une semaine auparavant, ce qui était déjà jugé incompatible avec le prix Goncourt. Au deuxième tour, il se rallie sans rechigner à Louis Pergaud, un de ses admirateurs, dont De Goupil à Margot l’emporte au troisième tour.

- En 1911, Mirbeau vote pour Fermina Marquez, de Valery Larbaud au premier tour, pour L’École des indifférents, de Jean Giraudoux au second, puis pour Jours de famine et de détresse, de Neel Doff, écrivaine prolétarienne et néerlandaise, aux quatre tours suivants. Mais c’est Monsieur de Lourdines, d’Alphonse de de Chateaubriant, qui est couronné.

- En 1912, c’est pour Charles Vildrac, auteur de Découverte, qu’il vote pendant six tours, avant de se rallier à L’Ordination, de Julien Benda, au septième. Mais c’est Les Filles de la pluie, de Savignon, qui obtient le prix.

- En 1913 s’est livrée la plus longue et la plus indécise des batailles, finalement remportée, à la surprise générale, par l’outsider Marc Elder et son Peuple de la mer, préféré au Grand Meaulnes. Pendant les onze tours Mirbeau a voté fidèlement pour La Maison blanche, de son jeune ami et continuateur Léon Werth, qui l’aide alors à achever Dingo.

- En 1914, à cause de la guerre, le prix n’a pas été décerné.

- En 1915, unanimité pour Gaspard, de René Benjamin, seul en lice.

- Enfin, en décembre 1916, deux mois avant sa mort, Mirbeau vote par correspondance pour les deux prix décernés pour les années 1914 et 1916 : pour Le Feu, de Barbusse, et Sous Verdun, de Maurice Genevoix, à qui est préféré l’obscur Adrien Bertrand. Mais il avait auparavant tenté en vain de promouvoir la candidature de Ma pièce, de Paul Lintier, mort à la guerre, à titre posthume.

Même si Mirbeau n’est pas parvenu à faire de l’Académie Goncourt une institution au-dessus des querelles de clans et d’éditeurs et entièrement vouée à l’émergence de talents novateurs, tous ses votes révèlent sa volonté de défendre bec et ongles des écrivains originaux, dont il a décelé et promu le talent. Il a vraiment joué un rôle de découvreur et de passeur.

P. M.

 

Bibliographie : Sylvie Ducas-Spaës, « Octave Mirbeau académicien Goncourt, ou le défenseur des Lettres promu juré », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001, pp. 323-340 ; Jean-François Nivet, « Octave Mirbeau, toujours seul », Cahiers Edmond et Jules de Goncourt, n° 10, novembre 2003, pp. 45-56.

 

 


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