Thèmes et interprétations

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Terme
MISANTHROPIE

Mirbeau a été souvent considéré comme un misanthrope, que ce soit pour le déplorer ou lui faire un mauvais procès, ou au contraire pour l’en louer, comme Romain Rolland parlant de sa « saine misanthropie », dont Léon Werth aurait hérité. La cruauté dont témoigne toute son œuvre et le dégoût que lui inspirent, par exemple, les « insupportables collections de toutes les humanités » qu’il a été amené à côtoyer toute sa vie, et dont se plaint le narrateur des Vingt et un jours d’un neurasthénique (1901), lors de sa cure dans les Pyrénées, semblent plaider en faveur de cette interprétation. Mirbeau est convaincu, d’une part, que les hommes ne sont que de grands fauves dont le vernis de civilisation camoufle mal les instincts homicides, et d’autre part, que la société bourgeoise a pour fonction de les déshumaniser pour en faire de « croupissantes larves ». Si l’on ajoute que l’amour est une cruelle duperie et que les femmes ont, selon lui, pour mission naturelle de torturer les mâles, on conviendra qu’il est difficile, en effet, d’aimer les hommes dans ces conditions.  Et pourtant...

Trois nuances d’importance méritent en effet d’être apportées.

* D’abord, la haine ou le dégoût qu’il éprouve pour une bonne partie de ses congénères ne sont que l'envers de ses enthousiasmes déçus, et la cruauté de ses déceptions est proportionnelle à l'ampleur de ses ferveurs et de ses espérances. C'est pour avoir trop aimé les hommes et trop attendu d'eux en retour qu'il a été de plus en plus porté vers la misanthropie, comme le note avec pertinence son ami Georges Rodenbach : « Sa haine ne provient que de trop d'amour ».

* Ensuite, il n’a jamais englobé tous les hommes dans un même rejet, et sa lucidité habituelle lui a toujours permis de distinguer parmi eux quantité d’individus dignes d’amitié, d’estime ou d’admiration. Non seulement les « grands dieux » de son cœur que sont Rodin, Monet, Pissarro ou Mallarmé, mais aussi des gens simples, modestes paysans, ouvriers, artisans, jardiniers, employés, instituteurs, qu’il a eu l’occasion de rencontrer et d’apprécier. Et, avec tous ceux qu’il aime – et ils sont nombreux ! –, il n’a jamais lésiné et s’est toujours montré d’une générosité et d’une serviabilité sans pareilles.

* Enfin, quelle qu’ait pu être l’ampleur de ses déceptions, il sait pertinemment que c’est la société qui, combinant sa nocivité à la loi du meurtre qui régit le monde animal, porte l’écrasante responsabilité du triste tableau offert par l’humanité, et il n'en persiste pas moins à l’aimer, à la défendre envers et contre tout, et à élever des temples à l'amitié, qu’il sacralise. Nul n’étant méchant volontairement et chacun ne faisant, le plus souvent, que suivre le chemin tracé par la nature et la culture, pourquoi faudrait-il haïr ? C’est la leçon qu’il nous offre, et qu’il se donne sans doute aussi à lui-même, dans la première des Lettres de ma chaumière de 1885, où, réfugié dans sa « chaumière », il écoute « la chanson du vent » : « Pourquoi haïr ? dit la chanson. Ne sais-tu donc pas ce que c’est que les hommes, quelles douleurs les rongent et les font saigner, les riches et les pauvres, le vagabond qui, le ventre affamé, s’est endormi sur la berge de la route, ou le voluptueux qui se vautre, repu, sous les courtines parfumées ! Ne hais personne, pas même le méchant. Plains-le, car il ne connaîtra jamais la seule jouissance qui console de vivre : faire le bien. »,

Voir aussi les notices Amitié, Amour, Cruauté, Pessimisme, Larve et Neurasthénie.

P. M.

 


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